L’humanité tout ça tout ça

L’humanité tout ça tout ça,de Mustapha Kharmoudi, mise en scène de Véronique Vellard

 

L’humanité tout ça tout ça humanite-tout-ca-tout-ca-615-300x285Une mère et sa petite fille remettent leur destin entre les mains d’un passeur, pour franchir clandestinement la frontière. Elles quittent un pays en guerre où les hommes meurent au combat et les familles éclatent ; destination la France, avec l’espoir d’une autre vie.
Mais que trouvent-elles de l’autre côté de la frontière, après toutes les embûches du passage ? La mendicité, «amanji siyoupli», la consommation, la tentation, le vol, le rêve sans suite car sans argent : « Maman elle dit oh là là, tout ça tout ça… Je vois les bonbons, j’ai envie le bonbon, je dis rien… Je vois les habits des enfants, je dis maman chérie je veux la robe elle est rose… Maintenant je vois les nounours, je vois les poupées. Je cours, je tombe »… La mère abandonnera l’enfant pour lui permettre de survivre.
Chaque jour, aux frontières, se jouent des destins et se perdent des vies. On ne choisit pas son pays de naissance. Cette lutte de certains, à la recherche de paix et d’un peu de liberté, est un sujet politique et de société, qui nous concerne, tous.
Interdit de séjour au Maroc pendant plusieurs années, militant pour l’intégration des immigrés au Maroc et en France, Mustapha Kharmoudi s’empare du sujet. Il ne nomme pas le pays d’origine, induisant l’universalité du propos, mais illustre l’angoisse du passage et l’incertitude, l’absence de lendemain, par les mots de la petite fille, qui raconte. La ligne de fracture entre l’avant et l’après, la peur de l’autre et la perte des repères, l’exploitation et la commercialisation de la misère, ne laissent pas indemnes.
Et pourtant, je ne suis pas entrée dans l’histoire : est-ce la langue sur laquelle j’achoppe ? Je la trouve, sur le plateau, fastidieuse et appliquée en originalité, une langue minimale, entre le pipicaca de la petite enfance et un dialecte, revu et corrigé :
« La voiture elle s’arrête. Maman elle dit il faut pas tu bouges, il faut pas tu parles. Je dis à son oreille maman j’ai faim ; elle dit plus fort à mon oreille idiote tu penses qu’à ton ventre ; je dis non je pense à la pomme le monsieur gentil il m’a donnée. Elle dit il faut pas tu t’approches de ce salaud. Je dis il est gentil, il m’a fait le câlin, il m’a donné la pomme »…
Est-ce le concept de mise en scène (signé de Véronique Vellard, assistée de Julie Vuoso) auquel je n’adhère pas ? Les ballons blancs, par grappes, qui emplissent le plateau, se veulent-ils signe d’enfance, ballons lestés par des chaussures qui pourraient indiquer la marche vers… les tout petits pas… les chaussures posées en sortie de mosquée ? Après les ballons, allons-y pour les chaussures…
Est-ce le récit de la comédienne, (Caroline Stella), dont la prouesse est déjà de connaître le texte, mais où on ne se retrouve pas  ? Pourquoi ce ton, dans la partition, entre le sériel et le surjoué, pour faire comme une petite fille, et sans relief quand elle porte la voix de la mère ou celle du passeur ? Pourquoi la perche-t-on, comme sur un tabouret, n’utilisant pas, de ce fait, l’espace du plateau ? Pour nous rappeler qu’elle est petite?
Je n’ai pas trouvé l’épaisseur des signes, à la Barthes, dans cette « Humanité », ni les plis de Deleuze. Je n’ai pas trouvé la terre mère ni le chaos de l’exil ; il me manque la couleur, l’odeur, l ‘inquiétude intérieure, l’arrachement ; le fil de la détresse vraie, la musique nostalgie et l’angoisse qui tétanise. Ce pays aléatoire, de l’autre côté, vu par ses stéréotypes, est-ce l’unique vision de ceux qui nous rejoignent ?
Le spectacle existe, les lumières de Guillaume Parra donnent de l’intime et le son de Stéphane Monteiro, de la contextualisation ; il est un objet emballé, mais dans l’emballage, je ne trouve pas le trésor annoncé.

Brigitte Rémer

 

Le Tarmac, 59 avenue Gambetta. 75020, du 12 février au 2 mars

Le texte est publié chez Lansman Editeur, col. Le Tarmac chez Lansman

 


Archive pour février, 2013

L’Effet scènes des Scènes nationales


L’Effet scènes des  Scènes nationales du 18 au 24 mars.

 L'Effet scènes des  Scènes nationales leffet-scenesLes Scènes nationales? Piqûre de rappel: en 82, souvenez-vous pour ceux qui étaient déjà nés, c’était la deuxième année de François Mitterrand à la Présidence de la République  et le budget du Ministère de la Culture, sous le règne de Jack Lang, était passé de 0,47 % à 0, 75 % du budget de l’Etat. E en 90, les huit Maisons de la Culture, les vingt  centres d’action culturelle et les vingt cinq centres de développement culturel, s’étaient regroupés sous l’appellation Scènes nationales.
Ce sont actuellement les héritières de la politique de décentralisation culturelle menée depuis la Libération que Charles Dullin, avec une belle lucidité, avait conseillé de mettre en place.  Actuellement réparties sur 56 départements, et non-comme l’indique la brochure édité pour l’occasion, sur 54 et  deux territoires d’outre-mer, entité juridique qui n’existe plus depuis 2003, elle sont implantées dans des villes et agglomérations de taille importante comme Nantes  ou Amiens, ou moyennes comme La Roche-sur-Yon,  Dunkerque, Foix, Belfort, Aubusson, Brest, Bourges, Narbonne, Sète, etc, sans oublier… Basse-Terre et Fort-de-France.
Mais-La France étant un pays compliqué, et le Ministère de la Culture encore plus et pas très performant quant au maillage du territoire-il reste un beau  désert au centre et le Sud de la France: le Cantal, l’Aveyron, la Corrèze, la Haute-Vienne, le Lot- il y a quelque huit ans, François Hollande avait demandé en 95 que sa bonne ville de Tulle dispose de ce label mais en vain… Saura-t-on jamais pourquoi ces régions  sont ignorées par les énarques culturels et considérées par eux comme des territoires négligeables! Cerise sur le gâteau, pour compliquer les choses, il y a aussi un réseau de scènes conventionnées… et des centres dramatiques nationaux et régionaux.
Lieux pluridisciplinaires, les Scènes nationales ont un nombre des salariés permanents et intermittents assez variable mais elles bénéficient du soutien financier de l’Etat et des collectivité locales. Elles  accueillent et soutiennent nombre de projets; et c’est un bilan tout à fait positif dont la France n’a pas à rougir. Il y a en effet peu d’équipes du spectacle vivant qui n’aient un jour ou l’autre  collaboré avec une des Scènes nationales pour la création de spectacles importants comme, par exemple,  Le Suicidé, mis en scène par Patrice Pineau avec un budget de 400.000 €, ou pour de plus petites formes.
Ainsi, Gérard Bono à Aubusson, a pu accompagner  Wajdi Mouawad ou le Collectif Les Possédés. Pour la troisième année de suite, comme l’a rappelé, lors de la conférence de presse, le président Jean-Pierre Angot, président  de l’Association des Scènes nationales, elles ont décidé de programmer, histoire de mettre un coup de projecteur sur leur action, cet Effet Scènes: un festival qui met  l’accent sur la création; en effet, on verra dans 68 endroits quelque 500 spectacles, expositions, rencontres, films, etc…) produits ou coproduits, à raison de 5, 8 millions d’ € chaque année dans ce réseau. Avec des artistes et des compagnies de toute discipline( théâtre, danse, musique, vidéo, etc…).  Ainsi verront le jour, entre autres, pendant cette semaine, Le Couloir des Exilés de Marcel Bozonnet à Amiens, Le Labo de Cyril Teste qui a été en résidence à Cavaillon, ou Les Concerts de Quatuor Diotima à Orléans.
Mais Aurélie Filipetti arrivera-t-elle à convaincre le premier ministre et le président de la République de maintenir sur les bases actuelles, l’intervention financière de l’Etat? On peut émettre quelques doutes malgré les  déclarations optimistes et les félicitations aux directrices et directeurs- comme celle de  la sénatrice Marie-Christine Blandin ou de Michel Orier,l’actuel directeur de la Création artistique au Ministère, et ancien directeur de la Maison de la Culture d’Amiens il y a dix ans et qui mena à bien le chantier de réhabilitation de celle de Grenoble.
Comme dans bien d’autres domaines artistiques, les schémas actuels ne correspondent plus toujours ni à une demande qui a beaucoup évolué,  ni à un public qui s’est beaucoup diversifié depuis une dizaine d’années. Et il y a un phénomène constant dont il faudra bien tenir compte: les jeunes artistes et les nombreux collectifs artistiques qui  naissent un peu partout, se méfient, et, non sans raison, de plus en plus des institutions.
Mais, comme on le sait, l’administration française aime beaucoup les changements à condition… que l’on ne remette pas en question la puissante et vieillotte machinerie de l’Etat  qui fonctionne le pus souvent sur d’anciens principes moteurs  qu’il est urgent selon elle de ne pas modifier…Et notre amie Edith Rappoport ne cesse ici, avec raison,  de le faire remarquer…

On l’a vu en particulier dans l’enseignement du théâtre et des arts plastiques où le Ministère n’a pas fait preuve depuis  dix ans, de beaucoup de courage et de lucidité… C’est même le moins que l’on puisse dire.Dans Le Théâtre et  le Prince, Robert Abirached, qui fut un temps directeur du Théâtre et des Spectacles faisait remarquer que l’investissement de l’Etat impliquait toujours plus de responsabilités. Et donc faire émerger  des esthétiques originales entraîne alorsdes obligations financières à court mais aussi à long terme… Mais c’est le prix à payer si on veut voir émerger dans quelque vingt ans des créateurs comme hier Valère Novarina, et,  plus  récemment, Joël Pommerat. Et cela demandera à la fois lucidité politique et volonté  de revoir les nominations dans le petit monde de la Culture… On souhaite bien du plaisir à Aurélie Filipetti.

Philippe du Vignal

Festival Effets Scènes du 18 au 24 mars. Pour connaître le programme intégral: www.scenes-nationales.fr

La maison Février et la plume dans tous ses états

La maison Février et la plume dans tous ses états !

 

La maison Février et la plume dans tous ses états fevrier« Mon truc en plume Plume de zoiseaux De z’animaux Mon truc en plume C’est très malin Rien dans les mains Tout dans l’coup d’reins « . Chanté par Zizi Jeanmaire sur des paroles de Serge Gainsbourg, ce refrain a immortalisé l’existence de la plume au music-hall.
La maison Février, depuis sa création en 1929, n’a cessé de travailler la plume pour le monde du spectacle.
A l’époque florissante des cabarets, les directeurs de salles comme les Folies-Bergère, le Lido, le Casino de Paris, l’Alcazar, La Paradis Latin ou Chez Michou travaillaient avec cette maison, qui a employé jusqu’à 28 plumassières. Elles ne sont plus que trois permanentes aujourd’hui …
La maison Février , reprise en 2009 par son plus prestigieux client, Le Moulin-Rouge, est aujourd‘hui installée  dans ses locaux.  Le Moulin-Rouge a voulu conserver ces métiers d’art français indispensables à la création artistique, et possède le label Entreprise du Patrimoine Vivant délivré par le Ministère de l’Economie et des Finances et par celui de l’Industrie, qui l’ont  distinguée, pour son savoir-faire artisanal d’excellence, où tout est fabriqué à la main!
La Comédie-Française, l’Opéra de Paris, le Cirque du Soleil ont recours à elle.Et depuis plusieurs années,  la maison Février travaille avec la haute couture (entre autres, Chanel, Jean-Paul Gautier, Christian Lacroix…), des modistes, et la Garde Républicaine  comme l’Académie-Française font appel  à cette maison.
Le simple particulier peut également être client de cette maison à part. Chapeaux, boas, éventails, ornements de tout style proviennent de plumes d’élevage. Celles de coq et faisan viennent de Chine et celles d’autruches d’Afrique du Sud. Mais toutes doivent  être dotées maintenant d’un certificat vétérinaire. Certaines plumes d’espèces protégées par la convention de Washington depuis 73 ne sont plus utilisées comme celles du héron, de l’aigrette-chère à Mistinguett-ou de l’oiseau de paradis, mais quelques exemplaires en sont encore précieusement conservés.
Il y a une vraie poésie dans les ateliers le travail  des  créations en cours  comme par les  noms employés: nageoire d’oie, faisan lady ou faisan vénéré… Féerie, la revue du Moulin-Rouge est jouée chaque jour deux fois et demande un constant entretien de ses costumes et de ses plumes,  comme , par exemple, les seize costumes identiques pour les seize Doriss Girls en plumes d’autruche rouges. (Mais il y en tout  soixante danseuses!).Le travail de coloration et de mise en forme d’une plume d’autruche demande un travail de deux jours à trois semaines ! Les plumassières ont toutes été élèves du lycée Octave Feuillet.
C’est une belle maison qui entretient la flamme de ce peuple non migrateur et qui apporte  grâce et légèreté à un pays qui en manque si souvent !

Jean Couturier

www.maisonfevrier.fr  www.patrimoine-vivant.com

Félicité

Félicité d’Olivier Choinière, mise en scène de Frédéric Maragnani.

 

Félicité felicite-dolivier-300x200Heureuse rencontre que celle de Choinière et de Maragnani! Olivier Choinière, enfant terrible de la scène québécoise, n’a pas cessé ,depuis sa première pièce, Le Bain des Raines (96),  de bousculer les normes du théâtre.
Ici encore, il tisse un récit à plusieurs niveaux, porté par Caro, une caissière de grand magasin, qui devenue Oracle (son prénom à l’envers), va, avec l’aide de ses trois collègues de travail, nous transporter dans des univers radicalement opposés.
Ce sont les destins inverses de Céline Dion, icône rayonnante de succès et de maternité et de l’une de ses fans, Isabelle, séquestrée depuis l’enfance par sa famille pour servir d’esclave sexuelle. Ce qui les relie : une lettre écrite depuis son lit d’hôpital par Isabelle  à Céline qui s’apprête à accoucher.
Les quatre récitants seront tour à tour membres du personnel du magasin, et protagonistes de ces deux histoires croisées.
Choinière, qui a puisé aussi bien dans la chronique people que dans le fait divers sordide, procède par tuilages successifs de personnages et de situations. Le metteur en scène, qui affectionne les défis et les expériences textuelles s’est glissé avec habileté et une évidente jubilation dans la forme stratifiée de Félicité.
Une grande table carrée surplombée de  tubes fluo est, tour à tour, comptoir de magasin, lit d’hôpital, cuisine d’Isabelle, appartement de luxe de Céline, et lieu de tous les récits… Anne Benoit est transfigurée par son récit : tout comme la pauvre Caro, qui méprisée de tous, elle accède enfin à la félicité d’un oracle.
Une belle et réjouissante aventure de théâtre à découvrir

Mireille Davidovici

 

Le Tarmac  (ancien T.E.P.)159 avenue Gambetta 75020 Paris  jusqu’au 2 mars


0143448080

www.letarmac.fr

 

A lire : Félicité, Montréal, Montréal, Dramaturges éditeurs et aussi Le Bain des raines, Montréal, Dramaturges éditeurs, Jocelyne en dépression, Montréal, Dramaturges éditeur

Carnages

Carnages, texte et mise en scène de François Cervantès

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Les quatre cents places de la Cartonnerie sont  pleines pour la nouvelle création de François Cervantès qui, parallèlement au Prince séquestré, texte intime pour deux artistes égyptiens, (cf. Théâtre du Blog du 18 février) présente aussi Carnages,dans le cadre de Cirque en capitales. Ce temps fort du programme Marseille-Provence 2013- Capitale européenne de la culture met à l’affiche une diversité de spectacles dans ce domaine, car «le cirque réussit cette chimie d’être à la fois un art à la pointe des écritures contemporaines et de rester un grand art vivant qui rassemble tous les publics, toutes les générations».
Cervantès, en tant qu’auteur, illustre bien cette déclaration et sa démarche d’écriture engage sa troupe,
L’Entreprise, dans une belle aventure, celle du plateau : «Au fil des années, j’ai donné plus de responsabilités aux acteurs, car au théâtre, dit-il, c’est la soirée qui est une œuvre, et l’acteur en est le maître de cérémonie». 
Carnages
est «une fête collective, à partir du répertoire des grands clowns du vingtième siècle, Pipo et Rhum, Dario et Bario, les frères Fratellini, à l’époque où ils quittaient les cirques pour entrer dans les music-halls et les théâtres, et où ils avaient une relation prodigieuse avec le public». Sept comédiens (Dominique Chevallier, Nicole Choukroun, Emmanuel Dariès, Anne Gaillard, Catherine Germain, Stephan Pastor et Laurent Ziserman) s’inventent des mondes marginaux, à partir de cette forme théâtrale du clown qu’ils développent au sein de la compagnie, depuis de nombreuses années et où ils excellent . «Le clown est un poète, et même s’il est accompagné, entouré et conseillé pendant la création de ses spectacles, au bout du compte, son acte est absolument personnel et authentique» dit le metteur en scène.

Dans un bel espace de jeu, une ampoule pend,  une grande bassine ronde est au centre, une corde sert à la voltige et aux vols planés, un seau et des gants en caoutchouc passent de mains en mains. « Il y a quelqu’un ? ». On croise certains personnages que l’on identifie car on les connaît, pour les avoir rencontrés dans d’autres spectacles, comme Arletti et sa façon particulière de se mouvoir, ou Zig,  qui ressemble à un garde-champêtre, et qui pétarade comme une moto.

Des tableaux se succèdent, en fondu enchaîné : balais et personnages et ballet en tutu, chorégraphie pour quatre comparses qui,  gentiment, se tabassent. Zig, dont  le  chapeau laisse échapper de la fumée après un court-circuit qui suspend la musique.
Une séquence dans un  ciel habité d’elfes éthérés, avec des  antennes et à la drôle de dégaine, apporte fantaisie et poésie.  «Tu es arrivé chez les dieux» dit avec solennité Arletti, qui porte le rôle titre, celui de Dieu. On se croirait sur la lune. Cérémonial, extravagances, plantes et fumées semées dans ce jardin d’Eden… L’imaginaire est en mouvement. Au ciel, on voudrait des nouvelles de la terre et sur terre, on essaie d’imaginer le ciel!

Autre séquence, de la même veine, onirique, celle d’un garçon tout vert qu’on amène, endormi et roulé dans un tissu. Ronflements et visions l’accompagnent. Son chien ne le quitte pas, faux comme un plumeau au départ, avant apparition de l’animal, un vrai Milou sur quatre pattes. «Comment tu t’appelles?» lui demande -t-on, «Je ne me souviens pas», répond-il. Mimétisme d’une scène  entre un père et son fils adolescent : «Il se fout de tout», comme si on y était. Des ballons fluo s’envolent. Il y a de la féérie dans l’air…

La course-poursuite de l’enfant vert, comme dans une traque, qui sort et ré-apparaît avec une fluidité troublante, se dévoile, quand arrive un second garçon copie conforme et tout aussi vert, dans un jeu de dédoublement. Au final, il neige et, de la grande bassine, sort un jeune homme nu -l’enfant a-t-il grandi?- qui, très naturellement, s’habille et sort. Les lumières baissent et les applaudissements crépitent.
Il y a de l’illusion, de la prestidigitation et de la fantaisie dans ce spectacle, minutieusement écrit mais qui  donne pourtant une sensation de liberté, par son expression ouverte et maîtrisée, déclinée entre réel et imaginaire. La scénographie de François Cervantès,  Christophe Bruyas qui signe aussi les lumières, et  Xavier Brousse créateur du son, participent à l’élaboration d’un paysage dynamique et poétique, dans lequel on se laisse volontiers dériver.

Brigitte Rémer

Théâtre Massalia/Friche la Belle de Mai, La Cartonnerie, Marseille, jusq’au au 23 février .Espace Diamant d’Ajaccio, le 5 mars.  Théâtre de Sartrouville, CDN, du 16 au 19 avril. Grenoble MC2, du 14 au 24 mai. Théâtre National de La Criée, Marseille, les 6 et 7 juin.

Les arnaqueurs

Les Arnaqueurs d’Ilirjan Bezhani, traduction de Christiane Montecot, mise en scène de Clément Peretjatko.

Belle surprise que la découverte inattendue de ce spectacle d’ombres.! Ilirjan Bezhani avait fait un premier séjour en 98 à l’Échangeur de Bagnolet, avant d’être invité au Francophonies théâtrales de Limoges et  Dominique Dolmieu, directeur de la Maison d’Europe et d’Orient, avait monté Les Arnaqueurs  l’année suivante  lors d’une saison albanaise.
Cette  « comédie tragique » relate avec un humour insolite le gigantesque krach financier qui secoua l’Albanie en 97. L’effondrement brutal de 80% de l’économie  avait provoqué une insurrection générale, des milliers de morts, et le pays était en plein chaos.
Le théâtre Collapse, pour relater cette épopée sanglante, utilise de fines et belles ombres noires découpées dans du papier, et  quatre excellents comédiens manipulent  des personnages comme Daku, l’haltérophile mal dégrossi ou  Rando, un  poète pacifiste,  qui  veulent récupérer l’argent qu’ils ont prêté, ou encore Aco, leur ami,  qui essaye   de les rassurer mais  tremble à l’idée que sa femme Donika n’apprenne qu’il a prêté l’argent économisé pour la dot de leur fille.

Une issue pour  ces personnages en mal d’argent, c’est  Juli, une femme volage qui , enceinte, envisage de vendre son futur bébé à une famille en mal d’enfant, et qui fait croire à chacun de ses amants qu’il en est le père. La simplicité de ce spectacle plein d’humour noir emporte l’adhésion des spectateurs dans la petite salle de la MEO, véritable lieu de découvertes et  foyer de vie

Edith Rappoport

Maison d’Europe et d’Orient.
http://www.collapsus.eu

Ubu sur la Table

Ubu sur la Table, d’après l’œuvre d’Alfred Jarry, adaptation  et mise en scène d’Olivier Ducas et Francis Monty.

Ubu sur la Table ubu_sur_la_tableDenis Marleau avait  déjà interprété Jarry à sa manière, et ses créations chorégraphiées de toutes ses pièces ( Ubu Cycle)  au Centre national des arts d’Ottawa  dans les années 80-90 , quand il était directeur artistique du Théâtre français  ont sûrement laissé leur marque sur les mises en scène actuelles de l’avant-garde du 19 ème siècle.
Actuellement, une nouvelle génération de comédiens québécois bourrés d’énergie tentent leur chance avec Ubu: son  grotesque, sa cruauté et sa stupidité destructrice y sont toujours mais l’esthétique théâtrale en a radicalement changé.  

Sur une petite table, transformée en scène miniature, Francis Monty et Olivier Ducas, acteurs féroces doués d’un sens impeccable du temps,   font littéralement vivre des objets  dans une forme de bricolage théâtral, où le moindre  bout de métal ou  la moindre forme en plastique  peuvent devenir un acteur redoutable, quand ils sont manipulés par ces joyeux lurons: la petite  brosse se transforme en mère Ubu,  la théière en Roi de Pologne, les fourchettes enfoncées dans des baguettes,  en bataillons de soldats, etc …
 Pendant une heure (la suite viendra sans doute), ils font parler, danser, voler et agir une foule d’objets, accompagnées de bruitages aussi vivants que les acteurs,  pour montrer à leur manière la victoire d’Ubu sur le Roi de Pologne. Les insultes fusent, la vaisselle vole et  les hurlements interrompent  les discours saupoudrés d’expressions locales et d’improvisations,  quand une réplique semble manquer. Le duo clownesque d’Olivier Ducas et Francis Monty doit autant au vaudeville qu’au mime et à l’esprit du cinéma comique américain: Laurel et Hardy, Abbott et  Costello,  ou les Marx Brothers.
Les comédiens entrent dans la salle, et bavardent avec les spectateurs, puis font sauter toutes les barrières pour tomber dans un chaos orchestré.   Une soirée qui se termine dans la confusion où, la fin, ils sont plongés, semble signifier leur  impuissance devant ces objets qui les envahissent et qui leur  échappent.
Le Théâtre de la Pire Espèce, qui continue ses tournées à travers l’Amérique,est  joyeusement impertinent, et c’est bien ainsi…

Alvina Ruprecht

Centre national des Arts d’ Ottawa du 12 au 16 février.

Le prince séquestré

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© Christophe Raynaud de Lage

 

 

Le Prince séquestré, texte et mise en scène de François Cervantès.
Création France-Egypte

Un personnage, appelons-le l’homme du dedans, vêtu d’un pyjama de satin clair sous un peignoir à rayures, cheveux blancs frisotés débordant du bonnet, se cache, derrière trois énormes sacs dont sortiront plus tard quelques vêtements, le résumé de sa vie, (Hassan El Geretly). Il est rejoint par un autre personnage, blessé, costume brun défraîchi, chemise rose, cravate au vent, qui éponge son visage, tuméfié (Boutros Raouf Boutros-Ghali, alias Pisso), nommons-le l’homme du dehors. Ce duo, chaussé de nez de latex, décline ses arpèges en différentes teintes, d’un air philosophal, assis sur un banc.
La scène est fermée d’une palissade d’où arrivent les bruits de la ville, un jour de rébellion. Derrière, la rue est agressive et l’ambiance surchauffée due à Xavier Brousse pour le son.
« Je suis content de te voir », dit celui du dedans. « On se connaît» ? demande l’autre, du dehors. Rencontre cruelle de deux amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps et qui ne se reconnaissent plus, dans un monde déchiré. Ils jouent de leurs cordes sensibles, l’un avec empathie et l’autre, avec distance, jusqu’à ce qu’ils se trouvent un point commun en la personne de Retly, l’employeur autoritaire, pour l’homme du dedans, l’ami, pour celui du dehors.
Et nous voilà plongés au cœur d’un polar, quand celui du dedans, confiné à l’extrême, déclare avoir assassiné son patron à coups de couteau, pour pouvoir s’échapper, au grand étonnement de l’autre qui se tourmente et mène l’enquête: « Pour quelles raisons» demande-t-il ? » .  « Un rêve de liberté », s’entend-il répondre.
Le jeu oscille entre questions, exaspération, transgression, admiration, tentative de rapprochement et faux départs : « Tu vas partir» ? interroge celui du dedans. Chacun des personnages, a un ici et un là-bas : « Là-bas, tu as des amis »? « Oui j’ai des amis » . « Combien » ? Et l’autre, dans la joute qui les oppose, reprend la main, fièrement : « Je vais te dire qui je suis, je suis un Prince d’Ecosse, moi ! J’avais un château, un cheval, des rocs, la mer…» »Il y a de la tendresse entre les deux, il y a du rêve et quelques arrangements.
Dans ce no man’s land, le temps suspendu évoque l’univers de Beckett, dans En attendant Godot. Les personnages essaient de se reconnaître et de faire passer le temps, de se ré-inventer des identités, une dignité, de faire des projets, tandis que la réalité s’estompe. Le jeu du dedans-dehors brouille les pistes, entre l’enfermement et l’inconnu, jusqu’à l’incompréhension qui crée le quiproquo par le glissement des jeux de maux, jusqu’à ce que la rupture se consomme.
Le duo devient alors duel et l’homme du dehors, en une crise imprévisible, s’acharne sur celui du dedans, le violente et pour l’effacer de sa mémoire, disperse ses affaires au vent.
Coup de théâtre, jeux de dédoublement et clins d’œil ferment le spectacle : Retly soi-même, l’employeur assassiné, apparaît, sous les traits du personnage du dedans qui a quitté perruque et faux nez pour se présenter comme un honorable patron aimant et chercher l’absent.
De la rencontre entre Hassan El Geretly et François Cervantès, deux chefs de troupe, l’un au Caire, l’autre à Marseille,  est née cette proposition de travailler sur la figure du clown de théâtre, qui n’existe pas en Egypte. Rodé à l’exercice, le directeur de L’Entreprise, François Cervantès assisté de Catherine Germain, a écrit le texte et assuré la mise en scène, à partir d’éléments biographiques et contextuels de l’équipe égyptienne. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite…
Cervantès signe aussi la scénographie, avec Christophe Bruyas, également créateur des lumières. L’Entreprise a ouvert les portes de son théâtre avec générosité, dans un esprit de partage d’expériences, inscrivant Le Prince séquestré dans sa démarche et l’incluant dans le programme Cirque en capitales de Marseille-Provence 2013, dans lequel la Compagnie a créé et joue un second spectacle, Carnages.
« C’est une expérience nouvelle », dit Hassan El Geretly, metteur en scène, créateur et directeur du Théâtre El Warsha depuis 1987, qui a entraîné avec lui Boutros Raouf Boutros-Ghali, alias Pisso, un compagnon de route depuis de longues années, acteur emblématique de théâtre et de cinéma alternatif en Egypte. Tous deux jouent d’une belle complicité, chacun dans sa partition.
El Geretly, intéressé par l’esprit du clown et d’autres formes comme le butô, la danse, les masques et tous les spectacles codés, s’est lancé à corps perdu dans la composition de son personnage. Ses activités avec El Warsha, en Egypte, dans le Moyen-Orient et à l’étranger, sont pourtant tout autre et prennent différentes formes, allant de la tragédie grecque à la collecte de la mémoire orale, en termes de contes, danses et musiques, à travers publications, enregistrement et tournage.
Il travaille depuis toujours à la formation continue des acteurs, propose des stages animés par les nouveaux conteurs, organise des Soirées Ramadan où tout un chacun peut venir raconter, et s’investit depuis longtemps dans la transmission et la formation des jeunes générations
Dans ce cadre, Hakaya, le réseau de conteurs auquel il adhère, s’est réuni du 25 au 29 novembre dernier, avec le soutien de l’Union Européenne. El Warsha en était l’organisateur. Cette Rencontre du Caire pour les conteurs arabes a permis la confrontation des expériences, avec,
chaque matin, au centre de l’échange, un conteur-animateur et des jeux de miroirs autour de thèmes comme : qu’est-ce que c’est que raconter ? Quelle est la différence entre l’acteur ou le jeu théâtral, et le conte ? Quel est le lien entre les deux ? Quelle est le but de raconter : le but n’est-il pas dans le fait même de raconter ?
Et chaque soir étaient présentés des spectacles croisés, entre les conteurs égyptiens et les conteurs les plus chevronnés venant d’autres pays,  ainsi : Sheikh El Sayyed El Dowwi rencontrant le marocain Abdel Rehim el Makkoury, extraordinaire conteur de la Place Djemaa el Fna de Marrakech, qui a parlé du conte dans l’espace public ; Salam Yousri et sa troupe de théâtre, Limon (Taami) ; Saïd Draga face à l’algérien Amar Madi évoquant la magie des mots porteurs de messages de paix et d’amour, à partir des textes traditionnels ; Arfa Abdelrassoul et la libanaise Sara Al-Qacir qui relate les contes populaires collectés dans le patrimoine de son pays.



el-warshaEl Warsha a aussi présenté, lors des rencontres Hakaya, un spectacle Zawaya, (Les angles) composé de témoignages dont celui d’un officier de l’armée ; des ultras du football ; d’une militante des droits de l’homme ; de la mère d’un garçon tué ; d’un homme de main (appelé là-bas, baltageyya). Et les conteurs de l’oasis de Siwa s’exprimant en langue amazigh, ont animé, avec leurs musiciens, une grande fête.
El Geretly faisant le bilan d’années de travail, dit que de plus en plus de groupes, qui ont commencé à apprendre dans le sillon d’El-Warsha, utilisent le conte comme instrument essentiel de leur pratique théâtrale. Les choses se sont ensuite cristallisées, poursuit-il, au moment de la Révolution, pour mieux ressurgir ensuite, chargées : ainsi Les monologues de Tahrir, spectacle réalisé à partir d’une trentaine de témoignages sur la Révolution ; l’émergence d’un groupe d’artistes féministes Ana el Hakayya, (Je suis le conte), ou Like Jelly, au départ groupe de musiciens, qui s’est mis à raconter des histoires parlant de la vie quotidie
nne en Egypte, sur un mode mi-chanté mi-conté.
Le travail réalisé à Marseille avec Cervantès, sur le clown de théâtre, s’inscrit dans la continuité et les recherches d’El Warsha, qui, au-delà du conte, des musiques, de la danse et du théâtre, étend son vocabulaire. Fasciné par les systèmes d’apprentissage et le savoir, El Geretly insiste sur le fait que ce partenariat, ainsi que le travail en réseau, l’aide à se « coltiner la réalité », en toute indépendance.

Brigitte Rémer

Théâtre Massalia – Friche la Belle de Mai, La Cartonnerie, du 5 au 10 février, puis en tournée en Egypte, au printemps.

Ubu-Roi

Ubu-Roi d’Alfred Jarry, mise en scène de Declan Donellan.

Ubu-Roi aa3a3e00-7790-11e2-8806-79fc77f0a67a-493x328Il ne se passe guère de saison où la célèbre pièce de Jarry ne soit jouée. Cette fois, c’est Declan Donellan, habitué de longue date du Théâtre des Gémeaux, qui reprend le flambeau.
Avec un  version « légère » d’Ubu-Roi pour six  comédiens qui jouent: le père  et la mère Ubu, le capitaine Bordure, le roi Venceslas de Pologne et la reine Rosemonde sa femme, et Bougrelas leur fils,  ainsi que les autres personnages secondaires: les palotins, l’armée russe, l’armée polonaise, etc…. Quant aux multiples lieux  de la pièce: le palais royal, le champ de bataille la forêt etc.. situés en Pologne, France, Espagne, etc… tout se passe dans la  belle salle-à-manger-intelligemment imaginée par Nick Omerod-avec cheminée et moulures aux murs crème, avec aussi une grande table, des canapés et par-derrière,  une cuisine et une entrée.  Comme l’avait aussi  imaginée aussi Antoine Vitez quand il monta la pièce à Chaillot, et, curieusement, avec les mêmes célèbres chaises Arne Jacobsen!

Le spectacle commence par un état des lieux filmé par une caméra vidéo  qui s’attarde sur  les balayettes et tapis des toilettes, et on est tout de suite dans  le pipi-caca.  Et la bouteille de vodka-filmée en gros plan- est évidemment:Made in Poland! C’est au début assez drôle mais la balade est quand même un peu longue… Ensuite, le père et la mère Ubu, grands bourgeois du 16 ème, elle,  jeune femme en belle robe et escarpins, lui ,en costume chic, fier de ses titres: capitaine de dragon, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l’ordre de l’Aigle rouge de Pologne, et ancien roi d’Aragon, mettent la dernière main à la table qui a été dressée pour leurs invités. Et Ubu lance alors sa célèbre réplique: » Est-ce parce que nous avons des invités que vous êtes si laide ce soir, mère Ubu ? »
  Ce n’est pas une mauvaise idée que d’avoir ainsi transformé cette pièce mythique,  et pas du genre facile quand il faut lui inventer une mise en scène. Et Declan Donellan, en grand artisan de la scène, sait y faire:  le spectacle fourmille  de trouvailles comme ces images, par caméra interposée, d’un gros morceau de viande  couvert de sang quand Ubu se met à tuer tout le monde dans la cuisine comme il l’avait méthodiquement prévu: ici, cela se passe à la tronçonneuse et Ubu ressort de la cuisine, le tablier blanc couvert de sang ! « Ne crains rien, ma douce enfant, avait-il dit à la mère Ubu, j’irai moi-même de village en village recueillir les impôts.  Avec ce système, j’aurai vite fait fortune, alors, je tuerai tout le monde et je m’en irai ».
Le plan de bataille est tracé au mur à coup de giclées  de ketchup,  les invités  arrivent dans une bourrasque de neige, et  il y a des  bavardages mondaines à table dont on ne perçoit que quelques mots. Aucun doute là-dessus, c’est bien vu et Donellan  possède un sens remarquable de l’image scénique. Et l’on rit souvent, et  de bon cœur-mais on ne les entend pas toujours suffisamment- à ces répliques délirantes inventées par un Jarry de 23 ans, mort onze ans plus tard de méningite.

   C’est, après Andromaque, la deuxième création de Donellan  avec les comédiens français de sa troupe,et  il discerne des parentés avec Ubu-Roi: « au sens où les deux pièces, dit-il  » traitent, en quelque sorte, de ce qui se passe quand nous nous obstinons à poursuivre des choses que nous voulons, mais qui nous sont refusées ». Soit!  Et Donellan montre bien la bassesse  et la violence du père et la mère Ubu qui veulent à tout prix conquérir puis garder un pouvoir absolu. Mais il manque  à cette mise en scène une dimension parodique, une sorte d’épique à l’envers et de délire total qui sont bien le moteur de la pièce. Le côté potache et bordélique, avec sachets de céréales répandus sur la moquette,ne suffisent  pas à rendre la cupidité, la bêtise et la brutalité, quand elle sont le fait des politiques  qui arrivent à prendre le  pouvoir et qui entendent bien en profiter, d’autant plus qu’ils l’ont longtemps convoité…
Donellan a eu la  belle idée d’avoir fait jouer à contre-emploi ses comédiens: Christophe Grégoire (Père Ubu), Camille Cayol (Mère Ubu),  Xavier Boiffier (Capitaine Bordure), Vincent de Bouard (Le Roi Wenceslas),Cécile Leterme(La Reine Rosemonde), et Sylvain Levitte( Bougrelas). Bien dirigés, ils sont très à l’aise mais ces grands bourgeois, imaginés par Donellan sont un peu trop  « sages » et propres sur eux, pour être vraiment  crédibles et, du coup, le côté très provocateur de la pièce pour l’époque, comme ses répliques célèbres: « De par ma chandelle verte, merdre de merdre, etc..  ne sont pas assez mis en valeur, et il aurait fallu trouver des équivalences qui puissent avoir des échos par rapport à la société politique d’aujourd’hui.
Bref, on regrette  que Donellan ne soit  pas allé plus loin dans la dénonciation de l’ordre militaire et bourgeois.
Alors à voir? Oui, pourquoi pas, mais avec les réserves indiquées plus haut….

Philippe du Vignal

Théâtre des Gémeaux de Sceaux jusqu’au 3 mars.

Eyolf (quelque chose en moi me ronge)

Eyolf (quelque chose en moi me ronge), texte d’Henrich Ibsen, adaptation d’Hélène Soulié et Renaud Diligent, traduction en français de Terje Sending, mise en scène et dramaturgie d’Hélène Soulié.

 Eyolf (quelque chose en moi me ronge) ec4c7c761b44a718a7a61f1b2330e7a8Ibsen avait  écrit la pièce  en 1894,   trois ans après  être revenu en Norvège  depuis Rome où il avait passé -ce que l’on sait moins -presque trente ans…
Il mourra peu de temps après. C’est une pièce curieuse et tout à fait intéressante que l’on connaît mal mais qui est quand même assez souvent jouée. Elle avait été montée, entre autres, par Alain Françon. Avec un scénario  du genre plutôt surprenant chez un écrivain de 66 ans! Cela se passe dans une île de Norvège; c’est l’été, et Alfred Allmers, un philosophe qui revient d’une randonnée en montagne, prend la décision de renoncer à un livre et à ses recherches philosophiques pour se consacrer au petit Eyolf, son petit garçon handicapé moteur.  Rita, sa femme qui semble moins amoureuse de son mari, et  Asta, la sœur d’Alfred ne comprennent pas du tout  son choix…

Mais, coup de théâtre, juste à la fin du premier acte: la mort rôde, et, à peine a-t-on fait connaissance avec Alfred, Rita, Asta et Borgheim, un ingénieur très proche d’Asta , qu’ Eyolf va suivre une curieuse femme, chasseuse de rats et  symbole de la mort. Fasciné par elle, il va  se noyer-accidentellement?-dans l’eau d’un fjord.
La disparition d’Eyolf, dont on n’a pas retrouvé le corps, interdit à son père et sa mère de pouvoir vraiment prendre conscience de sa mort. Eyolf est donc un mort vivant.Ibsen a mis en place dans ce premier acte d’Eyolf les bases du drame: les deux trentenaires  vont vite  se déchirer et se reprocher leur  égoïsme et leur quête personnelle d’absolu.
Vieille histoire sur l’air du « jamais plus avec toi, jamais plus sans toi » mais  Rita et Alfred peuvent-ils vivre l’un sans l’autre? Et quelle sera la vie future d’Asta et de Borgheim. Eyolf disparu, le destin semble rebattre les cartes de ces  deux hommes et de ces deux femmes dont la vie a été  soudain bouleversée…

La seule solution, pour Rita et Alfred, sera de dépasser leurs querelles et de recueillir des enfants très pauvres et malheureux du hameau du bas. Et coup de théâtre du genre un peu grosse ficelle, préparé par l’astucieux  Ibsen: Asta va révéler à Alfred qui a toujours été amoureux de sa sœur… qu’elle a découvert  des lettres prouvant qu’ils ne sont pas vraiment frère et sœur, ce qui  modifie la donne, et va encore compliquer les choses…
Les mensonges, les secrets, les non-dits sur fond de vie et de mort, mais aussi de solitude, d’angoisse existentielle et de cynisme dans les relations homme/femme: bref, la folie devient contagieuse…On sent Alfred coincé entre ces deux femmes de sa vie et cabossé,d’abord par la disparition de son fils et  par la révélation de sa sœur. A l’acte III, on ne sait plus trop ce qui va se passer et les relations entre les quatre personnages deviennent de plus en plus tendues. Qui va aller avec qui? De quoi va être faite leur nouvelle existence? Ibsen, après avoir écrit quelque vingt pièces,  sait brouiller les fils à merveille.

Reste à savoir comment on peut monter l’histoire fascinante de cette famille qui doit reconsidérer sa vie, quand la mort d’un enfant a bouleversé tous ses repères existentiels. Hélène Soulié a, dit-elle, « imaginé une boîte noire celle du théâtre, véritable boîte à image. Créer un monde d’apparence et travailler sur des troubles de la perception visuelle, et interroger notre perception du réel. Balader le spectateur. Lui mentir comme le font les personnages ». On veut bien, même si on ne comprend pas où la metteuse en scène veut nous emmener. Et pour être baladé, on est baladé…  Mais plutôt ailleurs que chez Ibsen, dans un univers  comme en imagine souvent Régy pour Jon Foss, mais sans la rigueur et l’impeccable direction d’acteurs qui le caractérisent. « Les spectacle du Collectif  Exit, dit Hélène Soulié, ont une intensité particulière et leur écriture se tisse avec les gens, les lieux et se nourrit du réel, et du présent ». Malheureusement,  nous n’avons pas vu cela dans cette mise en scène quand même un peu prétentieuse…
La scénographie du moins  sur le plan pictural a quelque chose d’intéressant-juste une table grise et trois chaises noires, et un grand voile blanc  suspendu-mais c’est une erreur de débutant que d’avoir imaginé une scène avec une pente assez prononcée où les comédiens ne sont pas à l’aise, et cela ne pardonne pas. Dans le fond, une sorte de traînée bleu foncée en vidéo semble évoquer  le temps qui passe et il y aura à la fin une image de mer bleue, deux choses pas  du tout  indispensables..
Après le premier acte, s’écouleront quelques minutes interminables, où l’on modifiera le décor, pourvu maintenant  de cavités que  les comédiens évitent comme ils peuvent-affublés de micros HF(c’est très mode) qui ne servent à rien du tout sinon à uniformiser les voix, et sur la pente, il y a une inutile dégoulinade d’eau… Comprenne qui pourra. Renaud Diligent et Hélène Soulié ont situé l’action de nos jours, et là, au moins, c’est plutôt bien vu. Dominique Frot, dans un numéro  de vieille folle chasseuse de rats, accompagné d’un gros chien noir qui fait tout d’un coup irruption, est tout à fait remarquable mais les autres comédiens peinent à imposer leurs personnages. On pardonnera donc au chien qui s’ennuie d’aller ensuite faire un tour sur la scène puis dans la salle…
Et Hélène Soulié aurait pu surtout nous épargner cette longue scène où le couple se parle en fond de scène, dos au public dans une pénombre prononcée! L’univers d’Ibsen n’a jamais été d’une gaieté folle mais pourquoi recourir à cette facilité de plonger ses personnages dans la noirceur?
Quand Ostermier, grand amoureux d’Ibsen, monte sa remarquable Maison de Poupée, il le fait dans une totale clarté, et la fin dramatique  du mariage de Nora n’en est que plus évidente.

Bref, on l’aura compris, nous ne voyons pas vraiment de raison majeure de vous envoyer voir la pièce telle qu’elle est mise en scène ici. Dommage,  dommage… mais le compte n’y est pas,  et  François Rancillac ne viendra pas se plaindre si le public, comme ce vendredi, ne remplit guère son beau théâtre…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 3 mars.

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