Freaks

Freaks, mise en scène d’ Anne Bitran et Catherine Gendre

Freaks 6437e7b3770af0da5cc9e691fab5c41f-300x151Avant son  installation prochaine au Théâtre Mouffetard, l’équipe du Théâtre de la Marionnette à Paris multiplie des interventions artistiques singulières et toujours pertinentes sur la région Ile- de-France. Comme des représentations en appartements de L’Émission de Sabine Révillet monté par Johanny Bert (voir Le Théâtre du Blog),  d’Ahmed philosophe conçu par Patrick Zuzalla dans les établissements scolaires,ou des Bénévoles par le Tof Théâtre dans des bibliothèques et comités d’entreprises…
Ceux qui n’ont pas vu le film de Tod Browning sur les monstres, ont peut-être assisté au beau spectacle de Geneviève de Kermabon aux Théâtre des Bouffes du Nord avec de  » vrais » monstres. La compagnie des Rémouleurs, grands magiciens d’images, ont créé depuis trente ans, de beaux spectacles qui ont marqué les mémoires. Comme Ginette Guirolle, leur première marionnette de bar, L’Histoire du Soldat, Lubie sur des musiques de Luciano Bério et de Bela Bartok, du Nouveau spectacle extraordinaire, d’après Edgard Poe au château de la Roche-Guyon…

Nous découvrons un beau café, celui d’Agnès, situé au bord du canal, à quelques pas du Théâtre du fil de l’Eau à Pantin. La salle est bourrée et on remonte des chaises du sous-sol. Mais où le spectacle va-t-il pouvoir se jouer? La belle Anne Bitran, moulée dans une longue robe noire comme sa partenaire, annonce le déroulement de la soirée: « Tout le monde pourra s’asseoir, dit-elle,  il y aura un entracte, et on  continuera à boire et à se restaurer après le spectacle. Nous vous avons annoncé des monstres, vous allez voir des monstres. »

Et on les voit manipuler amoureusement sur le bar qui sert de castelet, une énorme tête blanche  aux yeux exorbités. Dialogue  tendre et douloureux: elles déclinent plusieurs formes de monstres, dont les cyclopédiens exocéphales, en font évoluer un dans une bouteille qui sortira, une fois sa croissance terminée, en forme de pot.
Il y a aussi le mariage de sœurs siamoises au long cou, en robe rouge, célébré sur une musique orientale avec d’étonnantes projections au plafond. On voit un monstre émerger d’une valise, danser et s’enrouler sur le comptoir. Les manipulatrices ont un vrai rapport avec les monstres qu’elles frôlent de leurs beaux visages, alternant amour et répulsion : » Ils n’ont pas demandé à naître, vous pourriez être l’un d’eux ! »

Dans la deuxième partie, autant d’images fortes: le monstre blanc vomit les cailloux dont il s’est nourri, enroule avec sa langue, la tête de sa manipulatrice, attrape les sœurs siamoises… Avant un final tiré d’Ubu-Roi d’Alfred Jarry, il y eut un moment étonnant: un habitué du café est entré boire un verre et est resté stupéfait devant le spectacle…

Edith Rappoport

T.M.P. jusqu’au 29 mars T. : 01-44-64-79-70. Les représentations ont lieu dans des cafés de Pantin, Aubervilliers, Saint-Denis et Paris.
http://www.remouleurs.com/


Archive pour février, 2013

L’Emprunt Edelweiss


L'Emprunt Edelweiss edelweiss

© Tristan Jeanne-Valès

L’Emprunt Edelweiss, une fantaisie française, un spectacle de et avec Hervé Blutsch, avec la connivence de Jean Lambert-wild.

          Hervé Blutsch, personnage insolite du théâtre français contemporain, a une parenté avec nombre d’écrivains américains: il a pas mal bourlingué et fait beaucoup de choses dans sa vie… Né à Paris en 68, il a grandi en Autriche, a enseigné le français en Indonésie, a commencé à écrire pour le théâtre il y a une vingtaine d’années et on pu voir ses pièces comme Le Canard bleu, ou Marie-Clotilde jouées à Paris, et en même temps, publiées. Il s’est aussi lancé dans l’import-export  de profilés cintrés… (sic) Puis  a ouvert des salons de coiffure en Italie et  un centre de soins capillaires bio à Bâle. (Sic, sic)  Mais la crise financière ayant eu raison de ses ambitions, il se consacre depuis 2009 à son théâtre. Et c’est sans doute bien ainsi, si on en juge par cet Emprunt Edelweiss où il se met lui-même en scène pour la première fois.
Rien d’autre sur le plateau qu’une grande table bricolée, avec quelques lampadaires autour, table  qui fait office de studio d’une station-radio,  dont il est à la fois le seul animateur et l’ingénieur du son, passant  d’un invité à l’autre, d’un auditeur au  téléphone à l’autre- et qui ne sont tous en fait que lui-même avec une voix bidouillée. Son conducteur sous les yeux, il manipule les boutons de commande. Le vert puis le rouge s’allument, et , assis sur son fauteuil tournant, il n’arrête pas de jongler avec son micro dans une gestuelle délirante. C’est,  bien entendu, complètement foutraque et,  en dehors de toute réalité, mais c’est aussi intelligent que finement observé.
La voix est sotte à merveille et  passe du feuilleton:  » Cette semaine, votre feuilleton vous est offert par la fédération des producteurs de fruits et légumes bios de Basse-Normandie: « manger sain,manger bio et puis manger de saison « : slogan est répété sans arrêt! : « Et je vous rappelle quant à moi que le feuilleton est interprété par les jeunes de l’atelier théâtre du lycée Jean Rostand à Caen. À tout à l’heure, Patrice. Hervé Blutsch jouant Patrice Plio : « À toute à l’heure! « Hervé Blutsch lance le feuilleton. (Tout est enregistré, sauf les monstres et les effets spéciaux qu’il déclenche en jouant sur son clavier et en suivant une conduite . De temps en temps, il en profite pour boire,ou  se détendre.
Puis il lance  une émission historique due à un certain Léon Godet :  Mémoire de France avec pour  fond  musical, une  Suite pour violoncelle seul de Bach,  un tic-tac d’horloge, et  le bruit de la mer, et pour conclure; une sirène de cargo au loin. Suit  Theme for Ernie  de McCoy Tyner et une pub.
.Hervé Blutsch jouant Léon Godet  : « Il faut dire que le Général était plus grand que moi…Insert off radio : Mémoire de France. Hervé Blutsch jouant Léon Godet: «   Et le protocole voulait qu’il n’ait pas à se baisser…
Insert off radio : Léon Godet : L’homme qui parlait dans l’oreille du Général de Gaulle. Hervé Blutsch jouant Léon Godet  … donc, j’avais un petit marchepied, je me mettais à côté de lui, je montais sur mon marchepied, je m’approchais de son oreille et je lui disais : « mon Général, pchi pchi pchi, mon Général pcha pcha pcha, pchipchoupchou pchipchoupcha » je sais plus exactement ce que je lui disais, mais enfin, quand même, je lui disais des choses importantes »
Blutsch connaît visiblement bien les milieux de la radio,et avoue entendre des émissions à longueur de journée. Quand il imite celles où l’on répond aux auditeurs ou quand il  parodie  France-Culture, c’est  d’une rare insolence et provoque des rires en cascade dans le public. Longue moustache et cheveux ébourrifés-le tout postiche- Hervé Blutsch est plus vrai que nature et  a mis au point un solo au comique exemplaire. Grâce à un savant dosage de faux premier degré et de second degré, avec un mélange de voix tout à fait étonnant, contrebalancé de temps en temps par des airs de jazz,  de Chostakowitch ou   de Bach, le  cocktail qu’il  joue en direct et par enregistrements interposés, emporte l’adhésion du public dès les premières minutes.
Hervé Blutsch, espèce de clown poétique hors normes, réussit à tenir 90 minutes, ce qui n’est pas à la portée de tous les auteurs/comédiens qui se lancent dans ce genre de monologue sans filet… Mais comment ne pas être séduit par ce solo/performance aussi brillant que rigoureux-il y a, derrière, un solide  travail d’écriture et de montage mais  dénué de prétention. Et  Jean Lambert-wild a bien fait de l’inviter à Caen.
Des bémols? Oui sans doute, les quinze dernières minutes n’ont pas vraiment le même souffle-cas d’école classique-et pourraient sans dommage passer à la trappe ou, au moins,  être concentrées.  Et,  comme le propos  se perd alors  un peu  et  qu’il y a une certaine saturation de la voix amplifiée, que  la scène est  sous-éclairée, on a tendance à moins bien écouter. Et la mise en scène de la fin est mal ficelée…
Bref, le travail, on l’aura compris, était  encore un peu brut de décoffrage le soir de la première et  le spectacle a besoin d’être rôdé.Il ne se joue pour le moment que jusqu’à vendredi. Donc, si vous n’êtes pas de la paroisse,et pas toujours disponible, il y a peu de chances que vous puissiez le voir. Mais il devrait logiquement être joué bientôt à Paris puis en tournée. S’il passe près de chez vous, comme disent souvent dans leurs chroniques ,nos amis Brigitte Rémer et Jean Couturier:  » Ne faites surtout pas l’impasse ».
Le comique n’est pas très présent dans le théâtre français contemporain plus enclin aux crises de désespoir sur fond d’alcoolisme, alors, c’est une bonne occasion à saisir…

Philippe du Vignal

Comédie de Caen jusqu’au 15 février.

Hommage à l’archange Gabriel Garran

Hommage à l’archange G.G.

Hommage à l’archange Gabriel Garran g_garranCe samedi 9 février,  Lucien Attoun avait organisé à Théâtre Ouvert un hommage à Gabriel Garran. Salle pleine. La foule des anonymes et des  amis: Armand Gatti, ébouriffé dans son blouson de cuir noir, flanqué de Jean-Jacques Hocquart, Jacques Ralite, Catherine Tasca, Roland Monod, Monique Leroux, Jean-Pierre Thibaudat…
Gabriel Garran, écharpe bleu clair, lit son autobiographie. L’enfance d’un fils d’immigrés juifs polonais à Belleville, le drapeau hitlérien sur l’Hôtel de ville, la disparition du père à Auchswitz, la fuite dans la Drôme.
Après de nombreux métiers, la rencontre avec le théâtre: c’est  Les frères Karamazov, mise en scène d’André Barsacq au Théâtre de l’Atelier. Et Adamov, qui l’aborde au café L’Old Navy,  boulevard Saint-Germain: “Vous êtes toujours au dernier rang et jamais vous ne parlez… Lisez-ça”. Il lui tend  Vassa Gelesznova  de Gorki, qu’il met en scène au Théâtre du Tertre. Adamov, le compagnonnage d’une vie, de Off Limits aux  Retrouvailles que Garran monta au Théâtre de la Tempête en 2011. Quelques jours après la rencontre avec Adamov, c’est celle de Jack Ralite, grâce à Vladimir Pozner.
Le maire-adjoint d’Aubervilliers n’a rien à offrir à Garran, mais… au moment de la poignée de main finale:”Au fait,lui dit-il,  il y a un petit groupe de moniteurs qui voudraient faire du théâtre, vous voulez les voir ?”. Ils étaient sept, ils seront bientôt 80. Avec eux tout commence, avec eux c’est l’aventure puis la réussite du théâtre de la Commune que dirigea longtemps Garran.
Jack Ralite fait l’éloge du “ fondateur”, quand Garran parle des jeunes: “ C’est parce que nous les avons écoutés que nous avons réussi, rien de grand ne peut être fait si l’on n’écoute pas les jeunes ; ce qu’ils ont à dire ils le disent avec des actes, c’est l’intelligence en actes. ”
Après Aubervilliers, Garran fonda le théâtre international de langue française (TILF). Le comédien congolais Pascal N’zonzi, qui a partagé l’aventure, témoigne de sa passion pour le continent africain, la Caraïbe, Césaire… Lucien Attoun voulait aussi honorer Garran le poète. Pascal N’zonzi, Bruno Subrini, Anne Alvaro, Pierre Vial, Philippe Adrien disent des poèmes extraits de trois recueils,  L’ange divulgué ,  Froissé Emotif ,  Séisme , maintenant rassemblés dans  Esquisse pour une préhistoire  (Archimbaud Editeur).Pierre Vial, de sa voix rugueuse, fait remarquer que la poésie de Garran possède une grande diversité d’expression: désespoir, colère, autodérision…
Enfin, apparaît au fond de la scène la photo d’un jeune homme devant un tableau noir. On lui a dessiné à la craie deux ailes dans le dos, sur la tête une auréole et les mots: Archange Gabriel. On reconnait Gabriel Garran jeune.
Entre sur le plateau un jeune homme, brun, timide, mais décidé. Nathan Zanagar, autre double de Garran qui  chante sur le poème  Ma géographie française … mon territoire en pointillé / mes exils de terre glaise / les voici en brindilles / garçon courbé des campaniles /mi-roitelet mi-ectoplasme ». Hommage de la jeunesse à “ Gaby” en majesté.

René Gaudy

Comme Gabriel Garran à Aubervilliers, Raymond Gerbal faisait partie des cinq pionniers du théâtre en banlieue, avec Pierre Debauche à Nanterre , Bernard Sobel à Gennevilliers et José Valverde à Saint-Denis. Gerbal vient de mourir, dans le silence quasi-absolu de la presse…
Né en 24, il s’engagea d’abord dans le théâtre d’agit’prop des années 50 avec  Drame à Toulon  contre la guerre d’Indochine. Puis, toujours dans l’esprit militant, il créera Franc-Théâtre avec José Valverde et Henri Delmas, soutenu par l’association Travail et Culture.
Il fonda le théâtre Romain Rolland de Villejuif en 64 et le dirigea pendant plus de quinze ans. En 67, il monta Dix jours qui ébranlèrent le monde , d’après John Reed, pour le 50e anniversaire de la Révolution d’octobre, devant 6.000 spectateurs. Il  y accueillera de nombreux spectacles de qualité et fut à l’initiative des Rencontres du jeune théâtre qui existent encore. Une figure injustement oubliée, dont Philippe Madral a témoigné dans Le théâtre hors les murs.
C’est aussi l’occasion de rendre hommage à Françoise Kourilsky disparue cet automne. Animatrice, avec Bernard Dort et Emile Copferman, des revues  Théâtre populaire  et Théâtre Public, elle  dénicha à New-York le mythique Bread and Puppet, qu’elle fit inviter au festival de Nancy et que Garran  accueillit en 68 à Aubervilliers, et auquel elle consacrera un livre (La Cité Editeur 1971). Elle avait aussi  écrit  un ouvrage sur le théâtre aux Etats-Unis qu’elle connaissait particulièrement bien (La Renaissance du livre, 1967).

R. G.

Bien triste nouvelle

En Égypte ancienne, le chat, domestiqué 3.000 ans avant J. C., est avant tout un animal protecteur. Il chasse les serpents et les rongeurs, et  protège les récoltes  de blé,  ressource vitale et contribue  donc à éliminer aussi  des  maladies  comme  la peste. Comme les autres animaux sacrés,  il était interdit de le  tuer ou de  le maltraiter, sous peine  de prison, voire de  mort. Incarnation de la déesse Bastet, des milliers de chats furent momifiés et, à leur décès, en signe de deuil,  la famille se rasait les sourcils.
La lettre qui suit, pleine de sensibilité et d’humour, nous a été envoyée par Sylvie Suzor, comédienne maintenant installée depuis huit ans en Belgique -pour des raisons personnelles et non fiscales!- et nous ne résistons pas, avec son accord,  au plaisir de  la publier.

Ph. du V.


Chers amis,

Bien triste nouvelle dans actualites deauville-decembre-08-039C’est avec la plus profonde tristesse que je vous annonce le décès de ma douce Marie -Minette, ce mercredi 23 janvier 2013. Elle est allée rejoindre notre Loulou Chat, décédé le 16 octobre dernier.
Marie était un chatte noire exceptionnelle qui  aurait  atteint l’âge respectable de vingt ans le 25 avril prochain. Elle était née à la Roquebrussane, chez la mère de Marie Grech , une de mes  collègues du cabinet d’ avocats Jeantet, et  je me souviens comme hier de l’ avoir harcelée, afin de connaître, avant de l’adopter, la couleur de son nez et  de ses coussinets.
Depuis son adoption, elle a tout partagé avec moi : mon désamour pour le droit et les avocats parisiens, ma préparation d’audition à l’École du Théâtre National de Chaillot, les répétitions, puis plus tard, les travaux de mise en scène, de scénographie,et d’ écriture…
Les seules choses que Marie-Minette ne souhaitait pas faire: les tournées (Kirghizistan: trop loin et trop froid, Italie et Venise: trop humide, trop long séjour et de plus, elle avait vécu  douze ans de suite avec des Italiens!  Allemagne: trop noir  et  on ne l’aurait plus vue à cause de la couleur de son poil, France: trop de bruit pour rien…) .
Mais elle apprenait tout à mon retour mais  gardait  une préférence pour mes souvenirs  de la première tournée d’un  spectacle consacré à Guitry dans les contreforts de notre chère Russie.

Alors que je répétais mes textes, de son côté, elle répétait ses miaous, jusqu’à trouver le ton juste. C’était là une chose normale pour elle, car elle aimait surtout  le thon,  même si elle avait une préférence pour les filets de sole, tout juste pêchés au large de Deauville, le dimanche matin. Elle aimait aussi la brioche, le beurre et les broncolis.
Marie n’était que délicatesse, sensibilité et amour. Elle était aussi  très intelligente et possédait un grand sens de l’observation (tous les chats ou oiseaux de la région s’en souviennent! ) et de l’ordre (elle n’aimait pas que ses jouets traînent hors de son panier, ni que les souris  passent dans son jardin de Deauville en toute anarchie, ni mes tentatives de trous de plantation  qu’elle rebouchait aussitôt,  ni ses frères dormant sur des mauvais coussins..).
Elle était très félimine : les câlins devaient avoir lieu entre nous seules, aux heures prévues, et ne pouvaient se dérouler sans être déjà parfaitement coiffée et brossée (je parle là toujours de Marie et non de ma propre chevelure). Vous conviendrez tous qu’il est rare de voir un chat porter tant d’attention à sa coiffure et son apparence.
Une certaine légende aurait voulu que Marie ait travaillé dans le monde de la recherche nucléaire, de l’atome et de la physique quantique. On le l’a pas vu sur la photo de remise de son prix Nobel de physique: Georges Charpak l’avait  poussé hors du champ  et avait  ensuite  prétexté une absence de vaccin contre la rage pour qu’elle n’entre pas en Suède le jour de la remise des prix !
Marie n’ a rien dit, ce jour là, de ses peines, mais aurait, d’après certains, également choisi de taire ses doutes face aux travaux du super-accélérateur de particules de Genève en l’absence d’un réel zéro absolu terrestre (« Reproduire les conditions du big-bang, c’est bien, mais les reproduire à moitié et non parfaitement, c’est du plagiat chinois »,  avait-t-elle déclaré). Et comment vais-je pouvoir maintenant expliquer la présence de tant de livres de physique chez moi ? Qui  surtout  va me rappeler  que je dois prendre mes médicaments contre la schizophrénie atomique ?
Marie s’est endormie  dans la paix,  entourée d’amour, comme elle le fut toute sa vie,et  en nous témoignant  attachement et délicatesse. Jusqu’au dernier moment, elle est restée d’une magnifique beauté, Elle sera enterrée dans son jardin de Deauville, dès que la neige me permettra d’y aller.
Pour le moment, je reste accablée, même si je sais que notre vie commune a été la plus belle et la plus longue qu’on puisse souhaiter. Je suis encore dans les pleurs et le deuil et  ne me fais pas  à l’idée qu’une autre saison viendra où je pourrai accueillir d’autres petits chats près de l’école de Trouville.
Je tenais toutefois à vous dire la douloureuse nouvelle et vous rappeler combien il est possible d’aimer un chat noir. Merci à Hugues, Françoise, Elisabeth, Silvia, Anna, Philippe… pour leur  soutien cette semaine.

Bien amicalement.

 Sylvie Suzor

La Pensée de Leonid Andreïev

La Pensée de Leonid Andreïev, mise en scène d’Olivier Werner.

Le spectacle est actuellement repris au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis du 27 janvier au 15 février 2014, lundi, jeudi, vendredi à 20H30, samedi à 18H30, dimanche à 16H30, relâches le mardi et le mercredi. T : 01 48 13 70 00

 

La Pensée de Leonid Andreïev olivier_wernerOlivier Werner-traducteur, adaptateur, metteur en scène et interprète – poursuit avec constance sa trilogie de l’enfermement avec La Pensée de Leonid Andreïev, un  spectacle qui fait suite à After the end de Dennis Kelly, donné cet automne à la Fabrique mc11 à Montreuil, et précède La Coquille de Mustahfa Kalifé pour la rentrée 2013.
Pour lui, La Pensée de Leonid Andreïev traite du lien étroit entre incarcération physique et incarcération mentale. Leonid Andreïev (1871-1919), anti-tsariste puis antibolchévique, est un visionnaire quant au destin de la Russie du vingtième siècle .
Chroniqueur judiciaire, alcoolique et hanté par la mort, il n’en découvre pas moins sa propre vocation littéraire. Peut-être a-t-il imaginé le thème ombrageux de La Pensée lors d’un cas réel rencontré professionnellement.
Kerjentsev, un médecin,  possède  une pensée à la fois libre et sous contrôle qui pourrait être le véritable personnage de la pièce. Quand  on  le découvre dans un espace froid et réduit, au sol de caillebotis métalliques et sur-éclairé par des  tubes fluo, Kerjentsev (Olivier Werner) est interné dans un hôpital psychiatrique. Meurtrier de son meilleur ami, il a un statut juridique encore indéterminé et  écrit huit feuillets  où il s’adresse aux experts médicaux chargés d’observer son état mental et qui vont  décider de  son sort : asile ou  prison à vie.
Le meurtrier malgré lui ( ?) s’adonne à une introspection des plus précises, une auto-analyse vertigineuse qui,  finalement, met en scène deux êtres qui ont  les symptômes désignés d’une forme de schizophrénie. Si, en effet, le criminel fait preuve de lucidité et de clairvoyance, quant aux conditions exactes de son « histoire » tragique, il lui manque en même temps la capacité à proposer une vue d’ensemble de sa situation. Il n’arrive pas à délier les fils emmêlés des raisons de son acte et de sa jalousie.
La démence est finalement le refuge du discours apparemment  « bien sous tous rapports » de l’accusé. L’écriture des feuillets que leur auteur porte à la connaissance des experts-spectateurs suit les circonvolutions d’une réflexion  très maîtrisée, d’une méditation qui se déroule peu à peu dans le vide et le néant de l’incohérence à mesure que passent le temps et l’infini du discours.
Olivier Werner est un dément parfait, bien mis, correct et bcbg, toutes marques qui pourraient cacher un déséquilibre latent. Le comédien fait les cents pas dans sa cellule, dévidant une logorrhée de paroles pourtant articulée et  construite,  sur le plan formel, mais dont le sens échappe toujours.
C’est en serviteur du verbe seul que l’acteur s’impose sur le plateau, dominant et brillamment dominé par une langue qui l’enserre et l’enferme peu à peu dans le filet de la démence d’un pantin masqué. Plus on porte foi à ses propos de beau parleur, plus on doute. Qui est fou ? L’interprète, le personnage… à moins que ce ne soit le spectateur.
Une plongée troublante dans les arcanes d’une conscience introuvable, enfuie ou échappée dans les limbes d’un au-delà de soi et de la raison. Une vraie performance qui tient le public en haleine.

Véronique Hotte

  Spectacle vu à La Fabrique mc11 à Montreuil. et repris du 11 au 14 avril  T : 01-47-21-74-21 puis au Théâtre des Trinitaires à Valence du 18 au 20 avril. forage26@gmail.com


Les Bulles

Les Bulles de Claire Castillon, mise en scène de Marion Vernoux.

Les Bulles  lesbulles-300x200Ce recueil de trente-huit petites nouvelles, désignée chacune par un prénom, a été publiée en 2010. Après plusieurs lectures des Bulles lors de rencontres avec ses lecteurs, l’auteur a demandé à Marion Vernoux, réalisatrice et scénariste de films, de faire vivre ses personnages sur un plateau de théâtre.
Le spectacle débute par la projection d’un film où Claire Castillon nous fait la lecture d’une de ses nouvelles. La scénographie assez laide (une cloison blanche percée d’une fenêtre centrale), réduit surtout l’espace à un couloir à l’avant-scène, ce qui accentue le côté « confession au public”. Mais le jeu se déroule aussi parfois derrière la paroi vitrée d’ un petit appartement parisien.
Dans les tranches de vie d’homme ou de femme qui nous sont montrées ici, Emilie Caen, Olivia Côte et Jean-Baptiste Verquin jouent chacun plusieurs personnages, tous envahis par la solitude! Mais c’est surtout Olivia Côte, un Louis de Funès au féminin, qui, par sa capacité à incarner des femmes proches de la folie, retient surtout l’attention du public.
Claire Castillon, nous fait redécouvrir avec habileté la cruauté parfois mesquine de nos rapports humains au sein de ces “bulles de vie” que sont le couple, la famille ou la bande d’amis… Le public féminin rit beaucoup, à tel point que Les Bulles semblent avoir été écrites pour les lectrices de Marie-Claire, et l’identification du spectateur avec Berthe, la mère abusive, Annabelle dont la vie est bouleversée par sa première grossesse, ou Sven et son impuissance sexuelle, est ici totale. Mais d’autres portraits sont moins bien dessinés..
Les Bulles
sont un spectacle sans doute inégal, mais bien interprété, qui aurait pu avoir sa place dans l’excellent Grand Journal de Canal-Plus que dirigeait alors Pierre Lescure, maintenant directeur du Théâtre Marigny.

Jean Couturier

Théâtre Marigny, salle Elvire Popesco.

Fracas

 

Fracas par L’Art Éclair-Olivier Brunhes

Fracas fracasNous avions rencontré Olivier Brunhes en 82, il jouait dans Bavures de Daniel Lemahieu au Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi.
Nous l’avons retrouvé vingt-cinq ans plus tard à Lilas-en-Scène. Entre temps, il avait mené une carrière d’acteur aux côté de Laurent Terzieff et continuait à faire des incursions comme acteur, notamment dans Stuff Happens de David Hare aux Amandiers.

Depuis deux ans,  Olivier Brunhes travaillait avec Olivier Couder pour une expérience hors norme, s’interrogeant sur la différence : « C’est quoi au juste cette histoire de différence ? De handicap ? De hors-cadre ? De hors-norme ou de hors la loi ? « 
Fracas fait ainsi résonner les paroles d’un groupe de douze  acteurs fracassés par la vie, qui sont venus jouer ou pas, et il a fallu remplacer au pied levé certains d’entre eux, autour d’un texte sur leurs douleurs et de leurs joies, écrit par Olivier Brunhes à partir de leurs improvisations.
Quelques extraits proférés avec une belle vigueur: « Nous sommes des imparfaits du subjectif, nous n’avons pas beaucoup répété, c’est fatiguant, nous préférons nous amuser, c’est meilleur pour la santé (…) tu sais très bien que je fais le contraire de ce que tu me demandes, non ? (…) Crise, ce mot nous laisse dehors, ce mot nous pousse sur des voies glacées, sans titre de transport, un gros trafic sous le crâne (…) Au commencement était le verbe, à la fin il n’y a plus rien, alors je ponctue la mort, je signalise des fracas, de toutes façons je ne fréquente plus que moi-même (…) Désormais j’évite la concurrence des fratries désabusées (…) Le plus féroce ici, c’est l’homme (…) Mon espérance de vie est de 46 ans  » .

Olivier Brunhes, dont certains textes ont été lus à la Comédie Française, a publié son premier roman La Nuit du Chien chez Actes-Sud en 2011. Une écriture fulgurante sur le monde comme il ne va pas…

Edith Rappoport

Spectacle vu  à La Fabrique de Montreuil.

Fracas sera présenté du 20 au 24 mars à 21 h au Théâtre de Belleville, Tél 01 48 06 72 34
et au Grand Parquet , 35 rue d’Aubervilliers en juin 2013
Pour en savoir plus Théâtre du Cristal 01 34 70 44 66

Troïlus et Cressida

Troïlus et Cressida de William Skakespeare, texte français d’André Markowicz, mise en scène de Jean-Yves Ruf.

Troïlus et Cressida  imagesLa pièce parue il y a juste quatre siècles n’ a pas grand chose à voir avec L’Iliade où Troïlus, fils du grand Priam,  n’apparaît qu’une seule fois et Cressida jamais.  Shapkespeare s’est plus inspiré du roman de Troie écrit en vers et très populaire au 12e siècle par  le trouvère Benoît de Saint-Maure, puis repris par Boccace  et enfin Chaucer au 14e siècle.
Mais Cressida, la fille du devin Clachas passé chez les Grecs, dont Troïlus, le fils de Priam s’et entiché,  n’est plus ici une veuve mais une  jeune fille sans beaucoup de scrupules,  sensuelle et amorale. Et,  dès le début de la pièce, la belle Cressida est réaliste,  voire cynique, et  n’a  aucune illusion sur ce que les hommes attendant d’elle. Elle fait déjà très bien la différence entre pulsion sexuelle et amour: « Vous les hommes, vous  êtes toujours pressés! »  et n’hésite pas à traiter  Pandarus,  son oncle,  de maquereau. Shakespeare donne lui-même le ton de la pièce quand il fait dire à Thersite à propos de la guerre de Troie :  » C’est toute l’histoire d’un cocu et d’une putain! » .

 Thersite, insolent mais lucide, comprend vite les  combines  d’Ulysse et du vieux  Nestor dont-dit-il, « L’esprit était moisi avant que vos grands-pères eussent des ongles à leurs orteils et  qui vous accouplent au joug comme deux bœufs de charrue, et vous font labourer cette guerre ». Il ajoutera  avec lucidité: « Le sexe et la guerre, rien qui ne soit plus à la mode ».
La guerre de Troie a commencé il y a plusieurs années, et sans doute les Grecs comme les Troyens sont-ils fatigués; en tout cas, cela tangue quant aux décisions à prendre entre chefs dans l’un comme dans l’autre camp, et  il y a de l’orage dans l’air. Hector admet que la seule issue possible est  de rendre Hélène aux Grecs, même si, pour le moment, cela blesserait  l’honneur national de ses  guerriers troyens.
Shakespeare se livre à une joyeuse caricature des  héros des deux nations en guerre et  se place sans cesse dans une parfaite connivence avec le spectateur – c’est ce qui fait tout le charme de la pièce qui  emprunte sans scrupules à Jean Giraudoux! Cela en devient même un jeu de massacre: Ajax, a depuis longtemps sombré dans  le délire mental, Ménélas est ridicule. Hélène est idiote  et voit une  concurrente possible  chez  Cressida qui pourrait bien toucher à son  Pâris, un amoureux  aussi bête que veule et peureux: « J’aurais bien fait la guerre aujourd’hui mais ma Nell ( diminutif d’Hélène!) n’ a pas voulu! ».
 Ulysse, lui, parait bien seul et se verra refuser un baiser par Cressida, pourtant pas très avare de ses charmes avec les autres hommes.  Achille ne semble pas passionné par la guerre   et continue sous sa tente  à faire l’amour à Patrocle, son minet de service. Il finira par tuer lâchement Hector dans le dos, le généreux Hector qui n’aime pas la guerre.
Diomède le Grec, lui parle très durement du couple Ménélas/Hélène. Mais les chefs de guerre grecs et troyens,  dans les périodes de paix, échangent des propos  fort courtois, comme dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu. Quant à Troïlus, c’est un peu le pivot de la pièce, il est d’abord amoureux de Cressida ou, du moins, le croit-il, mais ses illusions tomberont vite et  la guerre l’intéressera  davantage. Et il semblera finalement accepter sans trop d’état d’âme que Cressida soit remise à Diomède en échange d’un prisonnier troyen.

Comme on s’en doute, la pièce, parfois bavarde, n’est pas du tout le pavé  estouffadou auquel on voudrait la réduire! Au contraire, elle possède de remarquables qualités d’écriture et une maîtrise du scénario qui font penser à cette autre belle pièce  pas assez connue de Shakespeare qu’est Peines d’amour perdues. Quelle invention, quelle analyse psychologique, quels jeux sur les mots, quelle poésie C’est d’une jeunesse et d’une fougue incomparable. Reste à la mettre en scène de façon la plus vivante possible…
Et cela donne quoi,  quand c’est à la Comédie-Française? D’abord, chose formidable, un texte que l’on entend bien: André Markowicz restitue au mieux la langue fleurie et poétique  de Shakespare et n’hésite pas à employer les termes crus si nécessaire, même  si certains comme « paillardise » font un peu vieillot. Et l’on sent une vraie volonté de la part de Jean-Yves Ruf de s’emparer de ce texte  dense et foisonnant à souhait, écrit en vers libres ou rimés mais pas toujours  facile à maîtriser, et qu’il aurait sans doute dû encore un peu abréger. Mais  sa mise en scène reste un peu timorée,  comme s’il n’avait pas su-ou pas pu-aller jusqu’au bout de ses intentions.
C’est tout à fait gentil de sa part d’avoir fait appel  à son grand frère Yves -qui joue par ailleurs Ulysse- pour  s’occuper de la scénographie. Mais là il y a une erreur de tir! Les grandes voiles blanches ont quelque chose d’esthétisant  qui n’aident en rien le jeu des acteurs et mieux vaut oublier les petits rideaux pseudo-brechtiens sur les côtés, le mât qui se casse et les fumigènes pour signifier la bataille… Tout cela ne vole pas bien haut et sûrement pas du côté de Shakespeare. Quant à ce mur ou ces gradins en bois face public,  censés représenter les deux camps ennemis, ils  obligent les comédiens, sur un espace très limité, à avoir un jeu  statique et bien conventionnel, alors qu’il  faudrait  une énergie et un rythme  qui font ici cruellement défaut. Et ce ne sont pas les trop fréquentes  criailleries qui peuvent y suppléer…
Par ailleurs, les costumes de Claudia Jenatsch n’ont pas beaucoup d’unité: mélange de jaquettes 18 ème siècle et de jupes et bottes très années 1970. Enfin passons! Mais le plus ennuyeux dans cette mise en scène,  est la direction d’acteurs plutôt floue et une interprétation sans aucune unité… Yves Ruf (Ulysse), Michel Vuillermoz (Hector), Michel Favory (Nestor), Christian Gonon (Enée et Calchas), Gilles David (Pandare) acteurs expérimentés, s’en tirent bien, et Loïc Corbery, incarne un Ajax, à la fois drôle et   délirant. Jérémy Lopez est lui aussi très drôle en Thersite mais… comment croire une seconde au couple Georgia Scaliet/Stéphane Varupenne, qui manque singulièrement  de jeunesse et d’énergie? C’est d’autant plus ennuyeux qu’ils sont souvent en scène.
En fait, c’est la dramaturgie et le travail préparatoire qui semblent ici aux abonnés absents; il n’y a pas de vrai projet artistique et c’est  dommage! Pour son entrée au Français, la formidable pièce de Shakespeare aurait mérité mieux que cette chose propre et gentille, sans aucune folie et un peu vieux théâtre,  sous des allures  pseudo-modernes.  Pourquoi, entre autres bizarreries, le personnage d’ Hélène, qui est un peu le double de Cressida, a-t-il disparu des écrans radar?
Rien de scandaleux mais quelle déception! La maison, décidément, reste plus celle de Molière que celle de Shakespeare… Alors à voir? Si l’on est un peu exigeant, ce n’est pas sûr, d’autant que cela dure quand même trois heures qui semblent souvent longues, même si, disons dans les dernières vingt minutes du dernier acte, Jean-Yves Ruf semblait enfin  avoir pris la vraie mesure de la pièce: tout d’un coup, les répliques s’envolent et règne alors sur le plateau une vraie folie que l’on  aurait aimé trouver auparavant et  il y a soudain d’excellentes choses !  C’est vraiment dommage que les actes précédents ne soient pas du même tonneau.
 Le public a beaucoup applaudi le spectacle, mais désolé, le compte n’y est quand même pas tout à fait ,et  nous sommes restés sur notre faim. Alors, à vous de choisir!

Philippe du Vignal

Comédie-Française salle Richelieu jusqu’au 5 mai (en alternance).

La mécanique des phénomènes

La Mécanique des Phénomènes, concept et réalisation de Cécile Saint-Paul

La mécanique des phénomènes negatifLa caméra s’attarde dans une cour d’école, comme un leitmotiv, livrant des images en noir et blanc, légèrement surannées. Le récit introspectif qui l’accompagne, empreint de mélancolie, est à la première personne.
Quand l’écran s’efface, on pénètre dans une salle de classe éclairée aux néons, et on découvre une belle profondeur de champ, avec huit bureaux, où les élèves s’installent au fur et à mesure. Quelques retardataires les rejoignent, à leur rythme.

L’endroit est désuet et les écoliers semblent sortis d’un film de Truffaut, années soixante. Chacun vaque, de manière concentrée et répétitive, à son propre rituel: le papier qui tombe, la feuille qu’on déchire, le lacet rattaché, le bruit des chaises sur le parquet… On remarque à peine le maître, sans doute ce grand au pull bleu, qui donne le ton et le titre des séquences inscrites à la craie blanche qui grince sur l’ardoise du tableau noir; parfois, une écolière au profil de rapporteuse, chuchote en aparté : « Qui, moi ? Mais non !  » Le bon élève fait et refait ses calculs, sans lever la tête et n’ira pas en récré, et le rêveur interroge les nuages.

Le spectacle est ponctué de quatre séquences de danse, du genre cours de gym ou gala de fin d’année, à partir de petits groupes qui se forment puis se dispersent : 
la danse du temps qui passe et qu’on n’arrive pas à rattraper ; la danse des gants de boxe ; la danse des papiers à la main ; cours magistral avec figurines dessinées au tableau. Moulinets appliqués et tempos rattrapés, dans une grande concentration et le plus grand sérieux, font figure de devoirs sur table.
L’homme au pull bleu lit la leçon à haute voix sans que le son ne nous parvienne et commente, règle à la main, les images en super huit au gros grain qui défilent, sur un petit écran déroulé  au coin de la classe. Une élève met ses patins à roulettes et sort, à toute allure, on la retrouve dans la cour de l’école, via le grand écran installé en fond de scène, puis,  image fugitive, étendue sur le sol.
Vient l’heure de la récitation, ânonnée, balancée, avec accrocs et pointillés, et peu importe les paroles, pourvu qu’on ait la musique, et celle de la lecture rapide que l’on ingurgite, sans en comprendre le sens…Il y a ensuite un film muet super huit en  négatif argentique.
Puis suit la récré, tous, sauf  un, sortent dans la cour et forment de petits cercles de discussion, filmés  par une caméra qui les suit. Drôle d’école où l’on fume, sans être inquiété… Transgression ? Rêve ou réalité ? Cauchemar ou provocation ? L’école est copie conforme, avec ses éternels platanes, sorte d’oasis des villes. Les bureaux changent de place :  ceux de derrière passent devant, sans échelle de valeurs. Une chaise vide, bouge, seule, par enchantement, comme celle de la patineuse.
Le spectacle est ainsi fait d’une succession de scènes, comme autant de petites touches, avec des gestes en canon et des interférences, des retours sur image, avec un  récit qui revient, comme un film conducteur, ou comme une aquarelle avec variations d’intensité et couleurs qui débordent. Les musiques, de poème symphonique à air de tango, entraînent des réitérations d’images, qui se superposent, d’écran à écran.
Cécile Saint-Paul collabore avec la compagnie Les Endimanchés d’Alexis Forestier depuis 93, comme comédienne et  cinéaste,  tout en réalisant ses propres projets. Elle travaille ici le hors-champ, en toute liberté. Le final nous montre l’arrière du décor : la caméra filme, dans la nuit éclairée par des spots, les comédiens qui  sont sortis dans la cour, et la porte de la classe vide, restée grande ouverte.
La réalisatrice-metteuse en scène utilise l’espace, avec un jeu du dedans/dehors et  construit une dramaturgie personnelle, entourée d’Anne Attali, Marc Bertin, Patrick Blauwart, Denis Gobin, Vincent Joly, Camille Maury, Corine Miret, Barnabé Perrotey, Anaïs Rousset, neuf comédiens et techniciens qui la suivent avec générosité.

Dans sa démarche, c’est l’image qui conduit le récit et le film est espace de représentation ; du réel à la fiction, entre le direct et l’indirect, l’écriture poétique tient du fragment et du collage.

Cécile Saint-Paul cite Gombrowicz, comme point d’appui: «L’important à mes yeux, c’est l’état d’immaturité que suscite et libère en nous toute culture aussitôt que, n’étant pas assez organique, elle se révèle insuffisamment assimilée et digérée » ; et dans le même esprit, même si ici, la classe est bien vivante et qu’il n’y a pas de mannequins, comment ne pas penser à Kantor et au cérémonial décalé de sa Classe morte.

Brigitte Rémer

Théâtre Marcellin Berthelot à Montreuil, le 2  février. Château de Blandy, le 28 avril.

Trois Sœurs

Trois Sœurs   trois_soeurs

Les Trois Sœurs de Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Claire Lasne-Darcueil.

Claire Lasne-Darcueil, dès 95, avait  fait le serment de monter intégralement le théâtre  de  Tchekhov, dans l’ordre chronologique. Après Platonov en 95, Ivanov en 99, La Demande en mariage en 2001, L’Homme des bois en 2002, et  La Mouette en 2005.
Pour la metteuse en scène sensible à l’univers de ce théâtre existentiel, l’auteur russe est un amoureux de la nature, de la gent féminine et des hommes en général, mais aussi un citoyen engagé dans la lutte contre les ravages de la misère et de la bêtise dans un pays immense. L’œuvre est un discours sur la recherche du bonheur pour tous – maîtres et valets -une parole attachante répartie entre des personnages impliqués dans le pressentiment du grand mouvement vers la Révolution russe.
Aujourd’hui, Claire Lasne-Darcueil prend des chemins vagabonds pour offrir une vision singulière de l’esprit des Trois Sœurs d’après Tchekhov. Il a, dit-elle, « consacré son existence à faire des vœux d’harmonie pour les générations futures, bénissant le progrès qui conjurait la pauvreté et l’analphabétisme, tant que ce progrès ne s’aviserait pas de détruire les elfes et les fées cachés dans les bois et dont chacun a besoin pour vivre « . Le lieutenant-colonel Verchinine (Patrick Pineau) du régiment de la petite ville  où vivent ces trois sœurs, prophétise que, seuls ses arrière-petits-neveux connaîtront une amélioration de leur existence.
On ne fait que rêver le bonheur mais on ne l’atteint pas. Le thème du temps qui passe, entre confidences sentimentales et débats philosophiques, dans l’insatisfaction des attentes personnelles, parcourt la pièce. Olga, Macha et Irina, des jeunes filles cultivées de province, fêtent l’anniversaire de la cadette en même temps que la fin du deuil paternel. Les trois sœurs, dont l’une est  mariée,  n’ont pour divertissement que les visites des officiers du régiment, occasions de discussion souriante, d’échange et de rencontre amoureuse.
Le rêve qui les hante est de retourner à Moscou, la ville  où elles ont passé leur enfance avec leur mère défunte. Mais le cours des choses,  avec leur cortège d’ennui quotidien et de trivialités,  emportera les espérances d’Olga, Macha et Irina et les empêchera de construire leur destin. Comment apaiser une souffrance profonde quand est éludée toute possibilité de consolation ?
Claire Lasne-Darcueil sait, avec un art pénétrant de la scène, combattre le désespoir et sauvegarder les elfes et les fées cachés dans les bois, et nous offrir une métaphore du rapport onirique des êtres au monde et à leurs rêves, une dimension infiniment humaine et poétique. Loin de toute volonté illustrative, la représentation joue –au sens fort du terme – du théâtre et du cinéma, grâce à la réalisation du film en noir et blanc de Martin Verdet et  Claire Lasne-Darcueil.
Du ciné-théâtre ou bien du ciné-spectacle… Le regard du spectateur se dirige ,alternativement et en même temps, de la scène à l’écran. Avec d’un côté, les  trois personnages féminins, dont la présence fantomatique n’en est pas moins intense. La grâce des trois jeunes femmes diffuse un éclat de sensualité. Anne Sée pour Olga, Julie Denisse pour Macha et Emmanuelle Wion pour Irina-excellentes-courent et dansent sur le plateau.
De l’autre côté, sur l’écran: un hors-scène qui est encore la scène avec le paysage hivernal ou estival de la Nature mère-le spectacle est composé de saisons -champs d’herbes hautes de campagne sauvage et d’arbres aux branches lourdes de feuilles frémissantes traverseés  par une  eau vive, dont les résonances musicales caressent l’oreille du public,  et  trilles entêtantes des oiseaux au printemps. Claude Guyonnet, Gérard Hardy, François Marthouret, Nicolas Martel, Patrick Pineau et Laurent Ziserman – sont les maîtres pleins de verve de l’écran.
Ils vivent hors plateau tout en s’accordant des « rencontres » avec les femmes sur la scène. D’un visage expressif agrandi à la silhouette de marionnette sur la scène, les échanges s’accomplissent à l’aide d’un geste, de la tonalité d’une voix ou de la tournure d’un dos. Les lumières sur un visage multiplient les reflets de miroir dans le miroir, et l’infiniment petit côtoie l’infiniment grand grâce au jeu des masques et marionnettes.
La main de Verchinine dont est amoureuse Macha devient sur l’écran un refuge dans lequel vient se lover la jeune femme attristée par le départ de l’amant. Cette main expressive contredit une autre toutaussi éloquente mais contrite de l’époux non aimé. Tendresse et émotion dans une ambiance de cinéma muet pour dire l’inexprimable, la force de la douleur et celle du plaisir d’être au monde.

Véronique Hotte

Cap Sud–Centre culturel à Poitiers. Jusqu’au 17 février 2013, vendredi, samedi à 20h30, dimanche à 16h. T : 05-49-62-97-47

 Spectacles à voir en février : à 20 h 30 les vendredis 1er, 8 et 15, samedis 2, 9 et 16, et à 16 h les dimanches 3, 10 et 17.

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