Ita L. née Goldfeld
Ita L. née Goldfeld d’Eric Zanettacci, mise en scène de Julie Lopes Curval et Hélène Vincent.
On est le 12 décembre 1942. Rappel des faits de cette époque noire. Depuis mai 42, le gouvernement de Vichy oblige les Juifs à porter l’étoile jaune ; en juin, Laval, président du Conseil sous Pétain déclare souhaiter la victoire de l’Allemagne! En juillet, la » France libre » devient la « France combattante » et la liaison se fait entre résistance intérieure et extérieure au pays mais c’est aussi la tragique rafle du Vel d’Hiv à Paris et 13.000 juifs sont arrêtés par la police française!
En novembre, les Allemands envahissent la zone sud de la France et occupent Toulon où la flotte française se saborde… Et l’amiral François Darlan, grand initiateur de lois anti-juives en France, que Pétain avait remplacé par Laval comme vice- président du Conseil, prend le pouvoir en Afrique du Nord. « L’Allemagne sera vainqueur. Si nous ne collaborons pas avec elle, nous ne serons plus rien. Quant à moi, j’ai choisi la collaboration ». Il conserve le commandement des armées de Terre, de l’Air et de Mer. Et, en novembre 1942, suite au débarquement allié, il prendra le pouvoir en Afrique du Nord avec le soutien des Américains, mais est abattu le 24 décembre à Alger.
Cette période noire, ce n’était pas, il y a trois siècles-Hélène Vincent marchait à peine-mais un an et demi avant la libération de Paris en août 44. Ita L. Goldfeld vit à Paris dans le rue du Petit Musc, dans le Marais. Elle avait dû déjà fuir les pogroms de la Moldavanka en Ukraine où une partie de sa famille avait été massacrée, et voilà qu’à nouveau l’histoire bégaie. Cette femme seule, que l’on sent épuisée par les privations et par le froid, ne comprend pas: pourtant, Salomon, son mari qui avait été gazé à la guerre de 14, est décédé depuis; il lui avait pourtant bien dit que la France était une terre d’accueil et qu’elle ne risquait rien à Paris. Deux de ses enfants ont été envoyés en zone Sud mais elle n’a aucune nouvelle de l’aîné qui a été déjà emmené à Drancy, de sinistre mémoire, pour des trains sans retour.
Mais elle voit bien que ses voisins -enfin pas tous heureusement- ne veulent pas être vus avec elle et qu’elle ne pourra pas compter sur grand monde en cas de coup dur. Ita voudrait encore croire à quelque chose mais lucide, elle a l’intuition qu’elle sera emmenée comme les autres pour un voyage dont on ne revient pas. Des policiers sont venus et vont revenir la chercher dans une heure, le temps qu’elle,prépare sa valise. Elle pourrait s’enfuir mais où et comment?
On la sent désespérément seule, résignée incapable de résister à la folie qui s’est emparée de l’Europe… C’est son arrière-petit-fils, Eric Zanettaci , qui a voulu lui redonner vie, une heure durant, seule sur un plateau de théâtre. Et elle raconte son mariage avec Salomon, ses joies et ses peines et sa vie dans un Paris occupé déjà depuis deux ans, dans un des hivers les plus durs depuis le 19 ème siècle, celui de l’hiver précédent 41-42. Elle non plus, une fois emmenée par des fonctionnaires de l’Etat français , ne reviendra jamais!
Sur la petite scène, un petit bureau, et quelques chaises en bois, mais Hélène Vincent est là , dès la première minute où elle entre, face public, humble mais déterminée à faire entendre la voix de cette cette femme, sans rajouter quoi que ce soit d’inutile dans la voix comme dans les gestes, pour nous faire entendre un texte qui n’a sans doute rien de génial mais qui, dans son humilité, dit beaucoup de choses sur cette époque douloureuse qui fait partie de l’histoire et sur laquelle on a déjà tellement écrit!
Hélène Vincent dit les choses calmement, simplement, ce qui rend encore plus bouleversant son personnage… On oubliera quelques erreurs de mise en scène mais, en soixante-dix minutes, c’est vraiment de la grande interprétation, mise au service de la mémoire de ces années terribles pour qu’elles ne soient jamais oubliées.
Philippe du Vignal
Théâtre du Petit Saint-Martin jusqu’au 14 avril, du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 15h.T: 01 42-08-00-32