Perte d’Innocence (Innocence Lost)
Perte d’Innocence (Innocence Lost) de Beverly Cooper, mise en scène de Roy Surette.
C’est l’histoire tragique de Steven Truscott, en 1959, à Clinton , une petite ville du sud -ouest de l’Ontario.
Le jeune homme de quatorze ans avait été condamné à la peine capitale pour le meurtre brutal d’ une amie de douze ans et cette parodie de justice avait laissé une blessure profonde sur toute la région. La Cour d’appel de l’Ontario a fini par acquitter en… 2007, Steven Truscott, du meurtre de Lynne Harper.Aujourd’hui âgé de 66 ans, il a toujours clamé son innocence et a dû vivre une partie de sa vie sous un nom d’emprunt…
La pièce, créée en 2008, vient d’être remontée, coproduite par le Théâtre Centaur de Montréal et le Centre national des Arts d’Ottawa. Dix comédiens jouent quelque trente-huit rôles dans cette pièce fondée sur les archives du procès: témoignages, entretiens et articles de presse. dont s’est inspirée Beverly Cooper. Conçue en deux moments, la pièce de cette écrivaine canadienne est à la fois un drame historique et une œuvre de mémoire, narrée par la petite Sarah, l’amie fictive de Steven, qui rappelle l’affaire et nous en explique, de son point de vue, tous les détails.
La première partie illustre la vie tranquille de Clinton où se trouve une base de l’Armée de l’air, et où a eu lieu ce meurtre atroce. Les camarades d’école de Steven sont profondément bouleversés par les événements et, lors du procès qui clôt cette première partie, on voit le procureur de la Couronne confondre les jeunes témoins de la défense, transformer leurs déclarations en affirmations suspectes, pour appuyer les accusations portées contre Truscott.
Mais l’accumulation de détails de la vie quotidienne pèse trop lourd sur cette chronologie méticuleuse de la vie du jeune homme, et l’ambiance des années 50 est traduite de façon trop monotone. Le recours aux plans filmés, projetés en fond de scène, aurait pu évoquer des inquiétudes, des débuts de tension qui ne sont pas vraiment exploités. Même chose pour le procès qui aboutit à la culpabilité de Trusscott: ce qui avait provoqué une véritable onde de choc à Clinton mais qui n’a ici aucune efficacité dramatique.
Toute l’accusation s’appuie sur des conjectures, des déclarations de témoins déformées, voire des mensonges purs et simples. Mais le texte et la mise en scène n’insistent pas assez sur leur nature plus que suspecte et, à l’entracte, nous aurions dû sortir outrés! En fait, c’est toute la relation de ce procès qui ne fait pas ressortir la gravité de cette affaire.
Et les quarante-cinq premières minutes que dure l’interrogation des témoins, auraient dû être concentrées pour rendre le procès plus intense, plus choquant, et éviter ainsi cette illustration de la vie banale à Clinton et les faiblesses d’un jeu trop réaliste. Les quelques beaux effets d’éclairage et de scénographie ne réussissent pas à donner de l’intérêt à une mise en scène et à un texte qui traduisent mal cette parodie de justice.
Dans la deuxième partie, le rythme est plus soutenu, et le metteur en scène utilise mieux l’espace pour évoquer la situation, quand arrive une journaliste-jouée avec beaucoup de verve par Fiona Reid-qui mène une enquête sur les irrégularités du procès et qui veut écrire un livre prouvant l’innocence du condamné.
Nous découvrons ainsi le désarroi de la pauvre Sarah qui constate, après avoir soutenu son ami, qu’en fin de compte, Steven doit être reconnu coupable, puisque la Cour l’a déclaré coupable! Ce qui fait froid dans le dos. Mais ce changement important d’attitude chez Sarah n’est pas développé avec assez de clarté, alors que s’accumulent les contradictions prouvant l’innocence de Truscott, d’autant plus que les jeunes témoins ont refusé d’avouer qu’ils n’avaient pas dit la vérité devant la Cour.
Il devient évident que Truscott est innocent mais on ne connaîtra jamais le nom du vrai coupable-et le pays ne veut pas qu’il soit officiellement déclaré innocent! Ce serait reconnaître les failles du système juridique, idée impensable à l’époque…
C’est le moment de la « perte de l’innocence »: on comprend alors que la justice peut se tromper et la pièce révèle donc un grand problème de notre société qui n’osait pas, du moins à l’époque, remettre en question ce tabou. Mais l’écriture trop lourde de Beverly Cooper et la mise en scène trop timorée de Roy Surette ne nous permettent pas de cerner toute l’horreur et la complexité de la situation.
Alvina Ruprecht
Centre national des arts à Ottawa jusqu’au 16 mars.