Adieu Wlad

Adieu Wlad,

Adieu Wlad dans actualites znorkoNon, Wladyslaw Znorko n’est pas mort en 2058,comme il l’avait écrit avec ironie, dans un texte qui portait bien sa marque- mais ce grand poète de la scène n’était pas du genre à vivre cent ans!
Sans être dans une forme olympique, il vivait, plein de  rêves et de projets, mais,mardi matin, il ne s’est tout simplement pas réveillé. Sa  compagne Catherine Verrier était là, attentive comme toujours près de lui, mais les pompiers n’ont pas réussi à le ranimer.

Hasard  de l’existence, Jérôme Savary dont on vous reparlera dans quelques jours, est mort d’un cancer, aussi cette même nuit à l’hôpital. Bref, deux compagnons de route disparus  à quelques heures de différence, c’est quand même dur pour nous…Et comme si l’histoire bégayait, juste un an après la disparition de ma Laurence Louppe… (Voir Le Théâtre du Blog).

  » Né, dit-il, comme tout le monde, à l’Hôpital de la Fraternité de Roubaix au printemps (il est arrivé mille quatre cent trente quatrième sur le registre de la ville de l’année 58, score dont il n’est pas mécontent,(…) « une panne de carburant l’arrête entre Saône et Rhône ; il y fonde le Cosmos Kolej. Des petits vélos fleurissent sur les murs de la ville. On les retrouvera plus tard dans les livres d’art sur Lyon. Parmi ses objets-fétiches, roues de bicyclettes un peu faussées, ampoules de récupération, robes de baptême ou de communion un peu fanées, il échafaude des performances perpétrées dans les gares et autres lieux d’errance urbaine ».

 Pendant sept ans, il avait vécu en Irlande, à Dunquin, village le plus à l’Ouest de notre continent. Puis, après bien des détours, Wladislas Znorko, il y a dix ans déjà, décida d’installer le Cosmos Kolej, au nord de Marseille, dans le quartier  Saint-Antoine,  au lieu dit La Gare Franche.
Dans une grande maison 1900, où il avait à la fois ses bureaux, un atelier de répétitions,  sa chère cuisine, et des chambres pour lui et sa compagne et ses nombreux amis de passage. Et un grand jardin où il cultivait son potager et où, en plus de quelques poules, Cinq belles oies et Kino, son adorable et inséparable gros chien, lui servaient de gardiens. A côté, une friche industrielle, qu’il avait réussi à aménager en salle de spectacle.

Très vite, ce quartier populaire n’avait plus eu de secrets pour lui, et il connaissait tout le monde. Il m’avait montré avec enthousiasme une valisette de couteaux qu’il avait achetée à très bas prix dans  un café où l’on pouvait  commander des tas de choses « tombées du camion ». Et le fait que ces couteaux étaient d’une  qualité très douteuse dont il n’était pas dupe, le remplissaient de joie!

Merveilleux Znorko! La Gare Franche, on le sentait, était son domaine: il y a une ancienne et adorable grande cuisine où, pendant ses fréquentes nuits d’insomnie, il préparait de grandes marmites de soupe…
Il vivait aussi dans son appartement près de la gare Saint-Charles qu’il avait aménagé dans un ex-entrepôt colonial dont, m’avait-il dit, les escaliers à larges marches permettaient aux ânes de monter pour apporter les marchandises. Appartement-bibliothèque-musée où il entassait, soigneusement rangés, tous les trésors dérisoires  ou non qu’il avait chinés un peu partout…

Wladislas Znorko était en effet aussi proche de la peinture que du théâtre,  et il aimait s’entourer de tableaux (Alechinsky, etc…) mais aussi de nombreux petits objets : découpages coloriés, voitures et  wagons de trains miniature,  mode d’emploi obsolètes. Il m’avait offert un cadeau dont il m’avait fait remarquer très sérieusement la somptuosité: c’était une lame de rasoir, d’une horrible qualité et emballée dans du papier jaune, cadeau que l’on trouvait dans les tonneaux de lessive Bonux!
On lui doit des spectacles, au début très influencés par le grand Tadeusz Kantor, polonais comme lui  l’était  par son père, ouvrier métallo dans le Nord à qui il vouait un grand amour. Entre autres:  La Cité Cornu, Ulysse à l’envers, Boucherie chevaline, Le Grand MeaulnesChveik au terminus du monde, Les Boutiques de cannelleÀ la gare du Coucou suisse et jusqu’au dernier, Le Passage du cap Horn,  petite merveille de poésie. Tous ses spectacles étaient marqués par une recherche picturale et plastique, avec, ce qui est plus rare et qui le rapproche aussi de Tadeusz Kantor, un mariage des plus  réussis entre image et bande sonore.
Il m’avait longuement montré à la Gare Franche, les détaillant longuement,  nombre d’éléments de décor poussiéreux dont il n’arrivait pas à se séparer, comme dans une sorte d’exorcisme, comme un enfant garde  ses vieux jouets,  lui qui, abandonné par sa mère, avait eu une enfance détruite…

Je lui avais demandé  de diriger un atelier pour les élèves de dernière année de l’Ecole du Théâtre national de Chaillot, et ils avaient été tout de suite sous le charme de ce grand gaillard qui, excellent pédagogue quand il se  sentait en confiance,  leur ouvrait, avec beaucoup  de savoir-faire et de générosité, toutes grandes ouvertes, les portes de ses rêves scéniques.
Et  je n’ai jamais  regretté de l’avoir invité,  même s’il avait dû arrêter le stage pour cause de grande fatigue.
C’est un des intervenants qui auront le plus apporté à ces jeunes comédiens, dont plusieurs ont ensuite fondé la compagnie Gérard-Gérard.
Ils s’étaient sentis déçus après son départ imprévu. Mais, comme il leur avait promis, cinq ans après, il les avait repris en stage chez lui pendant  huit jours car il estimait avoir une dette envers eux! Et ils devaient monter prochainement un spectacle ensemble sur les courses cyclistes… Ce genre de fidélité dans la grande famille du  spectacle est  assez rare pour être signalé.

Quand on connaissait un peu Wladislas Znorko, frappante était la parfaite osmose entre ses spectacles-en particulier et sans doute le dernier, le plus beau, ce Passage du cap Horn, dont la seconde partie devait être jouée au prochain festival d’Avignon-et les lectures de cet homme de théâtre, secret et compliqué, grand amateur d’art, en particulier d’art brut, allaient, entre autres, de la Bible, à Benjamin Péret, de Georges Haldas le poète vaudois récemment disparu, à Hrablal, Nicolas Gogol, Miguel de Cervantès, Alexandre Vialatte ou Henri Calet mais aussi Michel Pastoureau, le grand archiviste spécialiste des couleurs dans l’art. Mais le metteur en scène aimait aussi beaucoup, lui qui aimait tant les trains. les numéros spéciaux du magazine La Vie du rail.
À titre homéopathique sans doute, mais tous ces ouvrages, tous ces textes  étaient bien présents dans son travail scénique. Comme nombre de créateurs, il semblait ne pas faire grand-chose mais en fait, travaillait tout le temps, et cette vision poétique de la scène, qu’il assumait seul à l’exemple de Tadeusz Kantor, était aussi empreinte d’une belle rigueur dans la direction d’acteurs.
Entouré de comédiens fidèles dont plusieurs depuis une vingtaine d’années, il aura occupé une place à part dans le paysage du théâtre contemporain français, avec une générosité et une modestie exemplaires.

Il n’était pas du genre à vouloir coûte que coûte, comme tant de metteurs en scène,  une direction de centre dramatique…Alors que ses spectacles ont été joués au Théâtre de la Ville et au Théâtre de la Cité Universitaire, et dans de nombreuses capitales étrangères. Il avait aussi réalisé  réalisé deux films en 16 mm, et noir et blanc : Koursk (8mn) intégré dans le spectacle éponyme et Le Vietnam dans mon Jardin. Avec, tout à fait  revendiqués, de très petits moyens techniques.
Ce créateur avait de très attachant, une grande intelligence du théâtre, mais du théâtre conçu comme une œuvre d’art tout à fait personnelle. Et revendiquée comme telle, et  faisant partie intégrante de sa vie. Et chaque rencontre avec lui, éclairait d’une belle lumière, les jours suivants.

Adieu, Wlad. Merci de nous avoir donné de si  beaux spectacles, merci aussi de nous avoir donné un exemple de travail théâtral loin des tiédeurs et de des compromissions, nous t’oublierons pas.

Philippe du Vignal

L’enterrement de Wladislaw Znorko aura lieu demain vendredi à la Gare Franche (quartier Saint-Antoine) à 14 heures 30.


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3 commentaires

  1. theatrin dit :

    Merci pour cet article ! un bel hommage que mérite cet artiste.

  2. LIVCHINE dit :

    En Irlande j’avais dit le bateau ivre pour les vaches, il m’en reparlait souvent. Je le revois dans la cuisine du théâtre de Fos sur mer , nous venions de donner Terezin, il était là simplement, sans parler. Nous étions liés peut être par l’amour de la vodka glacée. Il me laisse une énorme empreinte dans le lobe gauche, une image d’une insoutenable beauté : une énorme locomotive à vapeur qui fonce sur le public dans une abondante fumée et un fracas hors du commun . Comme fabricant d’images et de bande sonore il était le meilleur.

  3. Édith Rappoport dit :

    merci pour ce bel article. Je joins le mien qui a recueilli quelques commentaires.
    ZNORKO MON AMOUR, 4 mars 2013
    Publié le 5 mars 2013 par edithrappoport
     
     
     
    Un appel de Nicole Gautier, ce matin m’anéantit. Wladyslaw Znorko a rendu ses dernières armes à la Gare Franche, cette nuit à Marseille. Catherine Verrier, son ange gardien avait appelé encore une fois les pompiers qui n’ont cette fois rien pu faire pour empêcher l’inéluctable.
     
    Znorko, notre première rencontre avait eu lieu en 1985, grâce à un photographe qui nous avait mis en contact. Je cherchais des spectacles de rue pour les Stars du Trottoir au Théâtre 71 que je dirigeais aux côtés de Pierre Ascaride. J’avais reçu une drôle de belle lettre manuscrite avec un beau dessin, dépourvue de toute adresse ! Nous avions invité Der Zug, Wlad avait déjà la passion des trains visible dans tous ses spectacles, qui ne le quittera pas, puisqu’il s’est installé vingt ans plus tard à la Gare Franche de Marseille grâce à Philippe Puigserver qui l’a accompagné pendant des années. Philippe vient lui aussi de disparaître voilà un mois.
    L’une de mes plus grandes fiertés de directrice de théâtre , c’est d’avoir accueilli pendant un mois La petite Wonder, au Théâtre 71 en 1986, encore les trains, une belle découverte, la presse le comparaît déjà à Tadeusz Kantor (qui était venu mettre en scène au Théâtre 71, Les cordonniers sur l’invitation de Guy Kayat le fondateur du Théâtre 71). Beaucoup d’autres spectacles ont suivi, Les saisons de Maurice Pons à Feyzin, Ulysse à l’envers au Festival d’Avignon,  La maison du géomètre, À la gare du coucou suisse à Lille, Le traité des mannequins, Les boutiques de cannelle, ces deux derniers spectacles accueillis par Nicole Gautier au Théâtre de la Cité internationale.  Toujours des émotions indicibles…Nous étions allés rendre visite à Wlad en Irlande à Dunquin où il s’était installé pendant quelques années pour préparer son Ulysse à l’envers. 
     
    Et puis, il y a eu l’installation du Cosmos Kolej à Marseille,  Le Koursk accueilli à la Friche de la Belle de Mai. Puis l’installation à la Gare Franche, vieille friche en ruines à côté du Plan d’Aoû, sur les hauteurs des quartiers Nord avec une vieille maison fraîchement restaurée depuis deux ans. La compagnie se structure, accueille des compagnies en résidence auxquelles Znorko ne prête guère attention.  Les travaux pour le mise en sécurité de leur salle de spectacle étaient en passe de se réaliser cet été ! Pour son dernier spectacle Le passage du cap Horn avec Florence Masure et Philippe Vincenot, vu  à Clermont Ferrand, accueilli par le Très tôt Théâtre en décembre 2011, Znorko était absent, déjà terrassé par l’une des nombreuses crises qu’il avait surmontées pendant des années. Il devait lire aujourd’hui à la Gare Franche Les guerriers nus de Jean-Marie Lamblard qu’il envisageait de monter…Son corps y est resté, ses amis le pleurent.
    Le Cosmos Kolej devait présenter sous chapiteau la deuxième partie du Passage du Cap Horn, sous chapiteau au Festival d’Avignon.
    Je suis allée chercher ce matin un cadre pour un dessin joyeux qu’il m’avait offert : »Pour Édith, ce petit tour de manège ».
    http://www.cosmoskolej.org

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