Phèdre
Phèdre de Jean Racine, mise en scène de Michael Marmarinos
Phèdre, victime de sa passion pour Hippolyte, le fils de son mari Thésée, roi d’Athènes qui a disparu pendant la guerre de Troie, et porté mort. Phèdre bourreau qui, au retour inattendu de son mari, et sur le conseils d’Œnone sa nourrice, accuse Hippolyte d’avoir porté les yeux sur elle. Déclenchant des morts en cascade, avant d’expirer au pied d’un Thésée maudissant les dieux de s’être, à sa demande, déchaînés contre son fils.
La pièce pourrait se résumer à cela et malheureusement, on y reste: un drame bourgeois confiné dans une demeure BCBG avec vue sur la Méditerranée, avec, au loin, une île. Mais des vers de Racine, de leur musique abrupte, qu’entendons nous ? Ils nous parviennent comme étouffés, quand ils ne sont pas sussurés ou hors-champ…
De l’amour violent qui déchire Phèdre, que percevons-nous, sinon une agitation fébrile ? La gracieuse Elsa Lepoivre ne manque pourtant pas de talent et parvient, mais parfois seulement, à nous communiquer son trouble.
Que reste-t-il du fantastique de la pièce, marquée par l’omniprésence occulte des dieux ? Phèdre n’est–elle pas, par Minos, petite-fille de Zeus, et Thésée apparenté à Poséidon qu’il invoque à tout bout de champ ? La réapparition miraculeuse de Thésée, la passion incontrôlable de Phèdre possédée par Vénus, la vengeance inouïe des dieux sur Hippolyte, rien de tout cela ne paraît fait pour surprendre dans ce Phèdre.
Même si on est en Grèce, par le décor et la radio qui déverse un constant flux de paroles et de musique, même si des mots aux sonorités magiques tels que Trézène, Mycène, Minos, Pasiphaé… parlent à notre imaginaire ; même si les lumières sur la mer, le jour qui tombe à l’horizon procurent une ligne de fuite, une respiration à l’espace. Une des réussites du spectacle est le film projeté en fond de scène qui évoque discrètement la Grèce de toujours.
Les interprètes peinent à sortir de l’intimisme imposé par la mise en scène et il faut un micro à Eric Genovèse (Théramène) pour donner toute son ampleur au récit de la mort d’Hippolyte. La pièce prend soudain une autre couleur, plus proche de Racine. Mais où est la superbe du vainqueur de Minotaure ? Samuel Labarthe l’esquisse sans être porté par l’ensemble, On le sent plus à l’aise quand le chagrin le foudroie, d’autant que c’est Théramène qui prend alors en charge ses répliques, didascalies comprises.
Seul, Pierre Niney, (Hippolyte), relève de bout en bout le défi de cette pièce énigmatique : il garde, sous le verni et la dignité de son rang, la fougue naturelle, la liberté farouche qui convient au fils de la reine des Amazones. Digne fils de héros il ne se laisse pas démonter ni aller à des compromissions.
Le spectacle ne manque pas d’élégance et d’intelligence, la direction d’acteurs et la réalisation sont soignées, cohérentes, mais Michael Marmarinos est resté en-deçà de la tragédie de mots qu’il annonce dans le programme.
Mireille Davidovici
Comédie-Française Salle Richelieu jusqu’au 26 juin