Féerie
Féerie au Moulin Rouge
Moulin Rouge, cette simple association de deux mots fait naître dans l’imaginaire de chacun et dans le monde entier, un ensemble d’images mythiques appartenant au patrimoine de Paris, que cela soit Toulouse-Lautrec, La Goulue, le Cancan et ses figures de danse uniques au monde ou encore l’incroyable présence de Mistinguett , meneuse de revue…
D’où la difficulté de concevoir une revue intemporelle qui puisse nourrir les rêves d’un public international soit deux fois 900 personnes par soir-qui se presse avec curiosité et envie dans ce lieu tout de rouge et d’or vêtu.
Depuis 1889, cet endroit répertorié aux monuments historiques et qui a fait naître le music-hall, a connu de nombreuses heures de gloire, et a reçu de nombreuses vedettes :Charles Trenet, Charles Aznavour, Liza Minelli, Franck Sinatra ou Elton John.
Deux représentations se déroulent donc chaque soir et sans aucune interruption dans l’année. En 1957, Doris Haug, metteur en scène actuellement avec Ruggero Angeletti, fonde sa troupe de danseuses Les Doriss Girls, au nombre de soixante aujourd’hui. Le directeur du Moulin-rouge Jacki Clerico, décédé en janvier et aujourd’hui remplacé par son fils Jean-Jacques, a proposé dès 62, une nouvelle formule: soit le dîner-spectacle, ou le spectacle seul.
Ce dîner nécessite entre les deux séances, une grande célérité des serveurs pour débarrasser et réinstaller la salle en une demi-heure. Cent-vingt personnes s’occupent ainsi du service chaque soir, sur un total de quatre cents qui travaillent au Moulin Rouge. Depuis 1963 et le succès de la revue Frou-Frou le directeur, par superstition, ne choisit plus que des titres de revues débutant par la lettre Féerie (1999) est la dernière créée. Coût de création: huit millions d’euros! Et la prochaine revue, avec un budget de dix millions d’euros, est déjà prête mais le succès de Féerie avec 98% de remplissage retarde son avènement.
Le Moulin Rouge ne se couche jamais: le jour, les cuisiniers préparent les repas du soir, les couturières réparent les costumes, de nouvelles danseuses répètent les chorégraphies d’origine, chorégraphies qui appartiennent au répertoire, que cela soit les six minutes endiablées du Cancan qui nécessitent un échauffement intensif préalable, ou les autres numéros dansés, toujours rythmés, qui s’enchaînent sans aucun faux-pas.
L’occupation du plateau, à certains endroits très étroit , demande une extrême précision des danseuses qui doivent tenir compte du volume de leurs costumes. La nudité , même si elle existe parfois pour le buste parfait et les jambes longilignes de ces danseuses, est en permanence mise en valeur par les costumes. Mille costumes de plumes et de strass entrent en jeu chaque soir, et sont avec les changements de décors rapides et les effets de lumière, les maîtres de l’image.
Ce sont en effet les images que l’on retient du spectacle. D’emblée, le spectateur part en voyage , quand il entre dans la salle, un spectacle à elle toute seule avec , sur ses murs, des témoignages du passé et de petites lampes rouge sur chaque table, créatrices d’intimité. Ce voyage dans le temps est relayé par la revue avec ses numéros de cabaret au milieu des séquences dansées, en particulier Marc Métral, un exceptionnel ventriloque. Le Moulin Rouge est un des endroits où de tels numéros sont encore visibles aujourd’hui et a donc un rôle de conservation du patrimoine du spectacle vivant.
Plus simplement, pour le public, il symbolise une capitale, Paris, légère, joyeuse, séductrice et insouciante comme le champagne consommé ici, à raison de 240.00 bouteilles par an. Un Paris où les artistes et les femmes de rêve se côtoient, une image bien lointaine de la réalité d’aujourd’hui… Mais le Moulin Rouge existe pour faire rêver ce public, et y réussit grâce à la passion qui anime tous les artisans de cette maison, de la vendeuse de programme, jusqu’aux meneuses de revue.
En 1941 Francis Carco disait déjà: « Les flonflons d’Offenbach n’ont presque plus d’échos dans notre affreux monde de businessmen, d’agents et de financiers ». Sauf peut-être au Moulin Rouge!
Jean Couturier