Inconnu à cette adresse
Inconnu à cette adresse de Kressmann Taylor, mise en scène de Delphine de Malherbe
San Francisco, 12 novembre 1932 : Max Eisenstein, 50 ans, juif américain, écrit à son associé et ami allemand, Martin Schulse, 49 ans, rentré à Münich avec sa famille.
Il lui donne des nouvelles et les comptes de la galerie Schulse-Eisenstein, une affaire prospère de commerce de tableaux. Il s’inquiète cependant de l’avènement d’Hitler.
Martin lui répond avec la même bonhomie mais s’avoue séduit par le dictateur : « Franchement, Max, je crois qu’à nombre d’égards, Hitler est bon pour l’Allemagne (…) Mais je m’interroge : est-il complètement sain d’esprit ? « . Quelques lettres plus tard, il écrira : « Ici en Allemagne, un de ces hommes d’action énergiques, essentiels, est sorti du rang. Et je me rallie à lui ». La correspondance entre ces deux amis va se poursuivre jusqu’en mars 1934. Au fil du temps, la trahison de l’un déclenchera la vengeance de l’autre…
La mise en scène sobre et dépouillée permet aux comédiens de consacrer toute leur énergie au texte. On n’est pas loin d’une lecture mais la tension soutenue qu’ils lui insufflent redonne du suspens à cette histoire, écrite outre-Atlantique en 38, préfigurant avec justesse le devenir tragique de l’Allemagne. Jean Benguigui interprète un Max débonnaire et chaleureux qui, nuançant son jeu au millimètre, se durcit progressivement et qui ne tombe jamais dans le mélo de la situation. Martin Lamotte donne un Martin plus frontal et monolithique. Une histoire intime d’amour et de vengeance en une heure, qui résonne , grâce aux acteurs, dans toute son humanité et sa cruauté, avec la grande Histoire.
Étrange destin que celui de la nouvelle de Kathrine Kressman-Taylor, publiée dans une revue américaine en 1938 puis adaptée au cinéma en 44 dans une réalisation de William Cameron Menzies…En 95, l’auteur a 92 ans quand Story Press réédite Inconnu à cette adresse pour fêter le 50e anniversaire de la libération des camps de concentration. La nouvelle est alors traduite en vingt langues et publiée en France, aux éditions Autrement en 99, elle se vend à plus de 600.000 exemplaires.
Depuis plus d’un an, l’adaptation de cette nouvelle est à l’affiche du Théâtre Antoine. Ce sont des comédiens de toute génération et venus de tous les horizons qui se succèdent pour incarner Max et Martin: Jean Benguigui et Martin Lamotte ont été précédés de Richard Berry et Franck Dubosc ; Stéphane Guillon et Gaspard Proust ; Jean-Paul Rouve et Elie Semoun ; Michel Boujenah et Charles Berling ; Gérard Darmon et Dominique Pinon, avant de céder la place à François Rollin et Ariel Wizman en avril. Il faut voir, et/ou lire cet Inconnu à cette adresse.
Mireille Davidovici
Théâtre Antoine jusqu’au 27 avril. T: 01-42-08-77-71.
Le livre est édité chez Flammarion jeunesse