Et la nuit sera calme

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Crédit : Franck Beloncle

Et la nuit sera calme, d’après Les Brigands de Schiller, adaptation de Kevin Keiss, mise en scène d’Amélie Énon.

Les comédiens -mélangés au public mais  on ne les remarquait pas- surgissent du premier rang et enjambent la scène, et, comme s’ils prêtaient serment ou signaient un pacte, se couvrent la tête d’un bas et s’éparpillent dans la forêt.
Le plateau vide est cerné de planches de bois brut, découpées sur toute la longueur de l’arbre, appuyées de sol à plafond (scénographie de Maxime Kurvers) . Ces planches  en demi-cercle  délimitent l’espace plateau, entre le dedans et le dehors comme le feraient des pendrillons, et le dehors reste à vue.
Et l’histoire s’engage, librement adaptée des Brigands, grand texte du romantisme allemand : celle d’un vieux comte, père de Karl et de Frantz, deux frères ennemis, portant ici la fraise de plis et de godrons comme signe de distinction et de pouvoir. Fougueux et cherchant à brûler sa jeunesse, Karl, l’aîné, déserte la famille pour vivre sa vie et délaisse Amalia, qui lui est destinée et qui l’attend. «Il est en voyage», dit-on.
Frantz, le cadet, romantique en apparence mais en fait cynique à souhait, intrigue et discrédite Karl auprès du père, qui, un temps, le renie. Un messager, très kitch, lui annonce même sa mort, entraînant, chez le vieil homme, doutes et remords. « L’espoir me torture », reconnaît-il, troublé par un songe.
Karl, affecté par la rupture d’avec son père, erre dans la forêt à la tête d’une bande de malfrats et fait autorité : «Qui parle quand je commande?» hurle-t-il, alors que s’inventorie le butin. Et Frantz continue à comploter,  vise à abréger la vie de son père et prépare sa sépulture. Le vieil homme pas même refroidi, Franz met  la fraise de plis et de godrons, et se sacre lui-même, approchant Amalia pour la séduire de force, rien moins que par le viol. La scène est savoureuse: la jeune femme prend le dessus, laissant le nouveau couronné, piteux, et lui lance l’anathème : « Mourez, vieux démon ».
Puis, vient pour Karl le temps de la reddition et le serment fait à ses compagnons : « Je ne vous abandonnerai jamais », suivi du retour du fils prodigue: «Père, je m’avance vers toi». Il prend acte alors de sa mort et des manœuvres de Frantz, se dissimule lorsqu’il rencontre Amalia qu’il ne reconnaît pas, et qui s’en trouve éperdument blessée. La pièce se termine dans le sang.
Schiller écrit Les Brigands à vingt-et-un ans,  alors qu’il sort de l’internat en médecine, et qu’il s’apprête à devenir médecin militaire; il est en révolte et exprime sa rebellion par l’écriture. La pièce est une métaphore de la jeunesse et de la révolte, du pouvoir, de la quête de liberté et de la recherche d’un certain idéal : « Tout pour tous, vive la liberté » ! proclame Karl.
Kevin Keiss a travaillé sur plusieurs niveaux de langage, désacralisés, et  parfois crus; il  joue de contrastes qui soufflent le chaud et le froid : « Coupe, espèce de zozo »  lance un acteur à un  technicien et, comme le dit si bien l’un d’entre eux : « Les mots ne veulent plus rien dire ». Amélie Énon reprend ces différents niveaux d’interprétation, croise les histoires et joue du théâtre dans le théâtre. On frôle Shakespeare, on est même dedans, avec la séquence des brigands-comédiens, interprétant une saynète, comme dans Hamlet, pour détourner l’attention de Frantz. On assiste aux préparations, travestissements et maquillages de clowns.
L’écriture scénique se construit avec  les lumières de Manon Lauriol et le son de Vassili Bertrand -notamment ses chœurs- autour de gestes en échos et de certaines correspondances. Ainsi : quelqu’un tue, la pluie tombe ; Amalia dans le fauteuil roulant du comte, témoigne du pouvoir usurpé par Frantz; ce dernier, l’auto-proclamé, reprend la position extravagante du père, sur la chaise. Ces signes de théâtre parlent et aident à structurer un ensemble un peu brouillon.
Il y a des trouvailles, comme le cadavre du père  sur une grande planche posée sur des tréteaux qui barre le plateau, et qui se métamorphose en Paulo ; le portrait d’Amalia, réalisé par Karl, prenant la pose; un vieux pick-up dont sort Le Chant du pirate, interprété par Edith Piaf ; le sol qui se soulève, poussé par les vents, avec effets de vagues et de reliefs ; les robes de carnaval et la berceuse de Karl ; la mise en action, au final, de ces  planches appuyés au sol, quand l’action se resserre. Au-delà de ces signes, on est tout au long du spectacle, ballotté de jeu à hors-jeu, à la recherche d’un degré de lecture et d’une pertinence.
La Compagnie Les Irréguliers est un collectif:  Selin Altiparmak, Jérémie Bergerac, Vassili Bertrand, Hugo Eymard, Julien Geffroy, Maxime Kurvers, Mexianu Medenou, Malvina Morisseau et Charles Zévaco sont les acteurs de cette aventure, complexe à maîtriser, et encore jeune. Il y a dans le jeu, des choses non abouties, un peu trop d’à-peu-près, mais, dans la démarche,  une vraie tentative, celle d’un récit qui se raconte.

Brigitte Rémer

Théâtre de la Bastille, jusqu’au 13 avril, sauf les 19, 25, 30, 31 mars et les 1er et 8 avril . www.theatre-bastille.com


Archive pour 20 mars, 2013

Jeux de cartes 1: Pique

 

 

Jeux de cartes 1: Pique file_1464_cartes_pique-5

©Erick Labbe

 

Jeux de cartes 1: Pique, textes de  Sylvio Arriola, Carole Faisant, Nuria Garcia, Tony Guilfoyle, Martin Haberstroh, Robert Lepage, Sophie Martin, Roberto Mori, dramaturgie de Peter Bjurman,  en français, anglais et  espagnol surtitrés, mise en scène de  Robert Lepage.

 

Quelques années après qu’il ait  débuté au Québec, sa fameuse pièce La Trilogie des dragons connaît un succès fabuleux un peu partout dans le monde. Robert Lepage est à la fois, le plus souvent, auteur du texte de ses pièces, metteur en scène, acteur mais aussi réalisateur de quelques films. Il a créé,depuis quelque vingt ans qu’on le connait en France, nombre de spectacles qui furent très remarqués comme, entre autres,  Le Polygraphe (87) et Les Plaques tectoniques (88), Les Aiguilles et l’Opium(91) La Face cachée de la lune (2000). Et, en 2008,  pour le 400 ème  anniversaire de Québec où il est né, Robert Lepage créa Le Moulin à images,  fresque audiovisuelle projetée la nuit sur des silos à grains  du port, sur cinq cent mètres  de longueur et trente mètres de hauteur, où il racontait l’histoire de sa ville.
 Chaque fois, Robert Lepage reconstruit son espace  dans les salles modulables qui lui sont proposées. Avec une forte implication dans les nouvelles technologies. Comme le dit son remarquable scénographe Jean Hazel, “Robert est un metteur en scène extrêmement sensible à l’espace. Il adore mettre tous ses collaborateurs sur la corde raide, y compris les scénographes”. Imaginez ici les Ateliers Berthier avec un dispositif essentiellement bi-frontal, quadri-frontal si l’on veut, puisqu’il y a quelques rangées de spectateurs devant chacune des deux tables de régie. Au milieu, un scène ronde absolument plate avec un  parquet, petit bijou scénographique, muni d’une bande tournante à la périphérie « Le jeu de cartes dit Robert Lepage invitait à ce rassemblement autour d’une table en rond.(…) Mais quand nous avons commencé à développer le spectacle, nous avons eu besoin d’un carré au centre d’un rond: le symbole de la civilisation, de l’homme qui s’impose sa mathématique dans un monde plus organique ».
Ce plateau rond comporte donc  un carré central, avec une petit plateau qui descend à la demande, de nombreuses trappes, de petits escaliers, des portes qui se dressent à l’instant précis où l’on en a besoin, et une foule d’accessoires qui surgit des profondeurs du sol, comme par magie, que ce soit un lit deux places, un bar avec ses bouteilles, etc… Au-dessus du plateau, un grill comportant quatre écrans vidéo rétractables en hauteur, et des accessoires comme douze chaises en altuglass transparent. Magique, mais, bien entendu, il n’y a pas, là-dedans, plus de magie que de beurre en broche mais un travail souterrain  de plusieurs excellents   techniciens, qui, munis de casques audio, puisqu’ils ne voient pas grand chose, font, sans doute courbés en deux, un travail de virtuoses pour donner toute sa continuité à un spectacle composé de très courtes séquences.
 Et, comme toujours chez Lepage, le son, la lumière, et les images vidéo  jouent un rôle considérable- on peut imaginer la difficulté et la précision des réglages et des implantations,  pour que l’ensemble puisse fonctionner avec le jeu des acteurs. Il y a toujours eu chez Lepage, une sorte de cosmogonie personnelle proches où on sent le géographe qu’il était tout jeune.
file_1461_cartes_pique-2Et on regarde fasciné ces courtes séquences qui s’enchaînent dans un incessant  ballet d’acteurs et d’accessoires, d’écrans vidéo et de lumières pendant deux heures quarante…qui sont  destinés à produire un espace poétique dont les multiples combinaisons, devraient faire naître un univers poétique d’envergure sur le thème de la guerre. Guerre entre  individus, entre couple,  jeu de cartes sur tapis verts et machines à sous de  Las Vegas/ métaphore de la guerre, et guerre réelle cette fois à Bagdad, avec discours à la nation du sinistre Bush, auto-proclamé défenseur des valeurs de la démocratie américaine.
Jeux de carte 1: Pique obéit à de très fortes contraintes scénographiques-puisque comédiens et régisseurs sont enfermés pendant plus de deux heures dans un espace très peu haut de plafond- ce qui n’est sans  doute pas pour déplaire  à Robert Lepage qui semble s’amuser comme un fou à cette suite de petites scènes parfois muettes, la plupart à deux personnages. (De toute façon, il n’y a que six acteurs pour incarner, le temps de ces très courtes scènes) et on pense inévitablement au fameux Shorts Cuts d’Altman réalisé il  y a vingt ans et  adapté de Raymond Carver avec ses nombreux  personnages et l’entrelacement de différentes plusieurs histoires. Ici, ce sont des soldats, hommes d’affaires, femmes de chambre et groom d’un grand hôtel réunis au tour d’un buffet/dîner pour le personnel, un couple dont le mari est accro au jeu, etc. C’est, servi par des acteurs exemplaires, bluffant de vérité. 
Et cela fonctionne? Oui et non. Oui, par exemple,  dans cette scène très orageuse où un mari qui a tout perdu  au jeu retrouve sa femme sa chambre d’hôtel qui lui apprend qu’elle vient  de passer la nuit à faire l’amour avec un autre et qu’elle va le quitter, ou cette scène très  violente où un homme d’affaires danois qui menace avec un revolver, une très jeune pute en soutien-gorge et porte-jarretelles de cuir noir cloutés. Elle va,  à sa demande va lui lier les mains avec une ceinture de peignoir et  finit par lui enfoncer le revolver dans la bouche et tire, avant de lui subtiliser tout son argent.
Il y a aussi ce viol d’un jeune militaire par ses copains et cet entraînement de soldats danois à la  fouille dans un faux village irakien…  Mais le plus souvent, comme dans ces scènes de bar, qui reviennent plusieurs fois, le texte de ces petits dialogues,  qui manque singulièrement d’unité, semble sorti tout droit d’improvisations et n’a rien de bien  convaincant; bref, ces flashs de scènes de vie quotidienne font souvent long feu….

Mais, comme il se passe toujours quelque chose sur le plateau et que l’on est fasciné, comme des enfants, par cette incessante transformation du décor, que les acteurs sont immédiatement crédibles et ont une grande présence, on ne s’ennuie pas tout à fait, sauf dans la dernière heure, où on a l’impression de faire du sur-place et où cela devient  vraiment longuet, surtout à la fin qui semble  se perdre dans un tourbillon de fumée rouge aspirée vers le haut …Et cela se termine sans que cela finisse vraiment! Cette dernière scène est très réussie sur le plan esthétique mais inutile,  et l’on peine à en trouver le véritable sens.
Au final, un spectacle d’une grande beauté esthétique mais, côté texte, Lepage nous avait habitué à mieux! Mais quelle mise en scène-parfaitement maîtrisée jusqu’au bout-et quelle direction d’acteurs! Sylvio Arriola, Nuria Garcia, Tony Guilfoyle, Martin Haberstroh, Sophie Martin, Roberto Mori sont tout à fait remarquables. Et quelles lumières (Louis-Xavier Gagnon-Lebrun), quelle conception sonore (Jean-Sébastien Côté) ! Mais dommage, cela tourne un peu à vide. D’habitude, un  Robert Lepage, cela vaut toujours le coup d’y aller voir mais, cette fois, on est déçu et le compte n’y est pas. Mais, comme ce Jeu de cartes:1 Pique est le premier volet d’une série de quatre,  (suivront Cœur, Carreau, et Trèfle),  on peut encore avoir de l’espoir…Robert Lepage, avez-vous du cœur? On verra bien…

Philippe du Vignal

Ateliers Berthier/Odéon, jusqu’au 14 avril.

L’immédiat

 

L’immédiat conception de  Camille Boitel.

«Il semble que l’homme est un tissage de défaillances, d’accidents et de déséquilibres… Nous nous levons… la chute nous guette …partout l’immense croche-patte du monde ». Pour Camille Boitel, l’ordre de choses ne va pas de soi : tout nous échappe, et nous-mêmes nous glissons, nous tombons. Le tout est de se relever. Et, c’est avec jubilation,  que nous assistons à un exercice d’équilibriste déséquilibré, à un joyeux désastre.
Dans un grand capharnaüm d’objets qui se démantibulent, tombent du ciel, oscillent,  comme animés d’une vie indépendante, les corps de  circassiens, hommes et femmes confondus, luttent contre le bris des choses, la pesanteur, l’apesanteur, pantins mus par des forces centrifuges. Ils apparaissent et disparaissent dans un ballet de pendrillons baladeurs, d’armoires à double fond, et de divers engins à roue.
Et ça ne s’arrête jamais. Ils ont beau, avec de grands balais, déblayer les amoncellements de chaises, armoires, déchets… le désordre revient toujours: le monde est de guingois, jusqu’au théâtre lui-même qui bruit et s’agite de partout, des cintres aux couloirs. Et, au final, l’homme sera englouti sous un amas de détritus d’objets manufacturés. Mais ce n’est pas grave, il s’en remettra, paraît -il.
Acrobate, danseur, comédien, musicien, formé à l’école d’Annie Fratellini, Camille Boitel aux commandes de la compagnie Lamèreboitel, fait surgir des figures plutôt que des personnages à l’instar de cet Homme de Hus qui lui valut le prix Jeunes talents du cirque en 2002. Sous sa conduite, les acrobates sont comme les rouages d’une énorme mécanique infernale.

Il utilise en effet le cirque pour évoquer en filigrane la surconsommation et  la place de l’individu dans la société
mais  L’immédiat n’a rien de démonstratif. Y président la malice, la cocasserie, et surtout un « humour désastreux et désastré ». Un spectacle salvateur qui donne à rire de nos petits ou grands malheurs !

Mireille Davidovici

Nouveau théâtre de Montreuil jusqu’au  4 avril. T : 01-48-70-48-90

 

L’immédiat

© Cauvet


 

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