Oh! Les beaux jours
Oh! Les beaux jours de Samuel Beckett, mise en scène de Marc Paquien.
Oh les beaux jours (Happy Days): la pièce en deux petits actes et à deux personnages, fut écrite et publiée en anglais (Grove Press 1961); elle fut créée à New York en 61. Puis Beckett en écrit une version française en 62, qui fut jouée en 63 à la Biennale de Venise par Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault puis reprise à l’Odéon, toujours dans la mise en scène de Roger Blin qui avait créé Godot huit ans plus tôt. Jouée très souvent ensuite par Madeleine Renaud, puis un peu partout en France et dans le monde, ce monologue d’une heure exige une interprète de tout premier ordre. On avait vu ainsi Fiona Shaw à Chaillot dirigée par Deborah Warner puis Adriana Asti mise en scène par Bob Wilson en 2010 (voir Le Théâtre du Blog).
Marc Paquien avait réalisé cette mise en scène à La Rochelle puis à la Scène nationale de Sète/Le Chai Scalli et le spectacle avait été repris au Théâtre de la Madeleine l’an passé avec Catherine Frot. »Dans une étendue désertique d’herbe brûlée, se dresse un petit mamelon aux pentes douces dans lequel Winnie est enterrée, d’abord jusqu’au-dessus de la taille. Winnie se souvient qu’en la voyant, un passant s’était demandé : « À quoi ça rime ? … fourrée jusqu’aux nénés dans le pissenlit… ça signifie quoi ? ”
Effectivement,au premier acte, on ne voit de Winnie que le buste, et au second, plus que la tête. Son mari, pas très loin d’elle, prononcera juste quelques mots. Elle , près d’elle et à portée de main, une ombrelle et son fameux cabas en toile plastifiée noire des années 50, qui est presque devenu un objet fétiche du théâtre contemporain, où elle a entassé un tas de petits objets dérisoires, dont une brosse à dents, qui font partie de son être intime, fétiches et talismans de sa mémoire. A moitié enterrée, Winnie subit souffrances et décrépitude mais refuse de sombrer dans ce qu’elle appelle dans une belle formule » les bouillons de la mélancolie » et possède une volonté inébranlable de dignité. “ Tiens-toi, Winnie ”, se dit-elle, “ Advienne que pourra, tiens-toi. ” Elle est sans doute presque à la fin de sa vie mais, comme une petite fille, elle trouve tout merveilleux et ne cesse de répéter: » Oh! quel beau jour! »
Catherine Frot a peut-être l’âge du rôle, bien quelle n’ait pas encore celui de Madeleine Renaud quand elle l’a créé (63 ans)-prenez votre calculette théâtrale-mais, comme elle en parait allègrement vingt de moins, cela fait un peu drôle de la voir toujours aussi jeune, jouer la plus très jeune Winnie, alors qu’on la connaît depuis trente ans, après avoir joué aussi bien Ibsen, Tchekov que des auteurs contemporains, avec cette voix légèrement acidulée et cet inimitable côté espiègle qui n’appartient qu’à elle, drôle et émouvante à la fois, dans la coquetterie à deux sous de Winnie. On la voit depuis quelque temps moins sur les scènes, et davantage au cinéma mais c’est un beau cadeau qu’elle fait au théâtre français .
Et il y a un sacré silence dans la salle quand elle se met à chanter L’Heure exquise! Elle atteint souvent le sublime dans ce soliloque pas facile à jouer et qui demande une concentration et une diction exceptionnelle pour que le personnage de Winnie puisées être crédible. A côté d’elle, Jean-Claude Durand, dans le rôle un peu ingrat de mari obéissant, est tout aussi impeccable. Comme la mise en scène, la direction d’acteurs de Marc Pacquien sont aussi de premier ordre, et la scénographie de Gérard Didier qui a imaginé un rocher gris en plis, le spectacle remporte un beau succès et a de… beaux jours devant lui. Même si les places sont un peu chères, vous ne regretterez pas d’être monté jusqu’au Théâtre de l’Atelier, d’autant plus qu’en prime, vous aurez droit au bon et généreux sourire de Charles Dullin dont la photo reste accrochée dans le hall.
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Atelier.
Le texte de la pièce suivi de Pas moi (1963) est édité aux Editions de Minuit 1963; 96 pages 6,50 €