Femme de chambre
Femme de chambre , errance féminine, adaptation du roman de Matkus Orths et mise en scène de Sarah Capony.
C’est un moment de la vie de Lynn Apatek, une jeune femme d’une trentaine d’années: elle a quitté récemment un hôpital psychiatrique et demande à l’un de ses ex, patron de l’ hôtel Eden, un travail de femme de chambre qu’il lui accorde volontiers. Elle a une démarche un peu hésitante et semble perdue quand elle doit se se retrouver d’autres repères… Lynn se consacre à fond à son travail, histoire de remplir une vie que l’on soupçonne bien vide. Lynn n’ a ni amis ni famille, si ce n’est une mère qui habite loin- on ne parle jamais d’un père!-à qui elle téléphone de temps en temps depuis une cabine.
Les propos échangés sont d’une rare banalité:sa mère parle fleurs et jardins et Lynn produits ménagers efficaces contre la saleté et la poussière, sa grande ennemie. Elle est en effet vite devenue experte en la matière et sait comment rendre impeccable et préparer une chambre en un temps record, avec beaucoup de professionnalisme. Cela en devient une sorte de seconde nature… Ce travail des plus banals est devenu une sorte de refuge personnel dont elle veut tirer le maximum d’intérêt. Elle en arrive même-cela devient obsessionnel- à nettoyer des chambres non occupées au grand étonnement de son patron!
Et Lynn développe une observation bientôt portée au paroxysme: on n’est pas loin ici de Sophie Calle avec L’Hôtel (1981). L’artiste qui présentait une très belle installation l’an passé au Festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog) avait obtenu une place de femme de chambre dans un hôtel vénitien pour un remplacement de trois semaines), et avait photographié les vêtements et objets personnels des clients. Lynn, elle, ne les photographie qu’avec son intelligence et sa sensibilité mais fascinée par cette absence/présence d’hommes et de femmes dont elle partage l’intimité comme personne, elle observe tout à la loupe et, par effraction ce qui donne encore plus de piment! essaye de connaître la vie de ces gens qui dorment dans cette chambre 304, des gens qu’elle ne verra évidemment jamais. Lynn vit donc,comme par procuration et ira même jusqu’à se glisser sous le lit pendant que des clients occupent la chambre! Comme cet homme et cette femme voulant un enfant qui se retrouvent pour faire l’amour…. Ou cet homme marié qui vient retrouver Chiara, une belle et jeune prostituée à qui il demande de l’attacher puis de le battre et de l’étrangler avec sa cravate…
Lynn, fascinée par la jeune femme, récupère la carte de Chiara, note son téléphone et et l’appelle pour lui demander de profiter,elle aussi, de ses charmes, contre de l’argent bien entendu. Chiara, quand même étonnée, accepte. L’attirance de Lynn pour Chiara lui parait réciproque, ce qui ne l’est pas vraiment, et faire l’amour avec elle chaque semaine,devient alors un rituel hebdomadaire dont elle éprouve un profond besoin- c’est devenue une addiction- et elle doit demander des avances sur son pauvre salaire pour pouvoir la payer. Autre rituel: elle a aussi un rendez-vous régulier avec un psy qui semble désemparé par le drôle de personnage qu’elle est mais ces séances apportent, de par leur régularité, un équilibre à Lynn et la réconfortent un peu, même si l’entretien est, à chaque fois, vide de sens.
Lynn, très seule, devient vite amoureuse de Chiara qui, en bonne professionnelle, reste distante mais sait quand même lui offrir les caresses attendues contre monnaie sonnante. Elle lui propose alors de partir avec elle pour des vacances qu’elle prendra totalement en charge. Mais Chiara sa défilera en douceur et la pauvre Lynn ne prendra pas le train et reviendra à l’hôtel, plus paumée qu’avant, alors qu’elle est en congés, et encore plus en quête de son identité.
L’adaptation qu’a faite Sarah Capony de femme de chambre est assez bien vue et elle a su avec la complicité de l’auteur, faire un bon découpage de Femme de chambre, et donner un bon rythme à cette suite de courtes scènes, ce qui n’est pas évident quand il s’agit d’un roman.
La mise en scène d’une grande sobriété est, d’évidence, influencée par celles de Joël Pommerat mais il y a pire école! Et, malgré la répétition voulue de certaines moments dans la chambre d’hôtel, Sarah Capony maîtrise bien les choses; on sent qu’elle a porté ce projet depuis longtemps et a fait le maximum, avec ses copains comédiens pour faire aboutir ce projet. Elle réussit, dès le début du spectacle, à installer l’univers de substitution que Lynn a réussi à se créer.C’est sans à-coups, net et ciselé. La direction d’acteurs, pour une aussi jeune metteuse en scène, est des plus solides et elle a-ce qui fait aussi partie du métier- bien choisi ses comédiens: (Erwan Daouphars, Hélène Viviès, Gaétan Vassart, Flore Grimaud qui sont tous très crédibles et Coco Felgeirolles, (remarquable dans le rôle de la mère). Il y a toutefois un bémol: Sarah Capony a choisi de jouer elle-même le rôle de Lynn mais elle n’y est pas toujours très à l’aise, surtout au début où on la sent tendue, et où sa diction s’en ressent. Mais cela dit, c’est un travail de grande qualité.
Femme de chambre a été lauréat du Prix Théâtre 13 et c’est justice.
Philippe du Vignal
Le spectacle s’est joué au Théâtre 13/Seine jusqu’au 24 mars. et sera joué le 19 mai à 20h30 à la maison du théâtre et de la danse d’Epinay-sur-Seine.