Ouz (Radical Calderón – 1)

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©Nabil Boutros

Ouz, (Radical Calderón – 1) texte et mise en scène de Gabriel Calderón. traduction de Françoise Thanas.

Auteur, acteur et co-directeur du collectif de création Complot, Gabriel Calderón, âgé d’une trentaine d’années, est une figure emblématique de la scène uruguayenne. Quand il parle de ses paternités artistiques, il nomme, en première ligne,  Koltès, Pasolini et Thomas Bernhardt, à côté de bien d’autres. Sergio Blanco,  qui fait partie du collectif, dit de sa dramaturgie : «Elle est comme un scanner de pointe qui met à nu notre société uruguayenne, héritière des pires archétypes rétrogrades que peuvent être la famille, la religion, la culture, le pouvoir, l’éducation. En portant un regard tellement local, il arrive à faire que son théâtre devienne universel» (cf. entretiens avec Jean-Pierre  Han, dans Frictionshors-série sur Calderón).

Quand il préparait un spectacle à la Comedia Nacional de Montevideo il y a plusieurs années, Adel Hakim, qui connaît bien l’Amérique Latine, rencontre Calderón. Le metteur en scène présentait l’une de ses pièces, à minuit et demi, dans une petite salle de la capitale, archi-pleine.

Ils  parlent ensemble du politique comme de l’artistique, puis animent un stage en France, et décident d’un projet commun. Le directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry l’invite en résidence de création, et ils animent des ateliers théâtre, puis préparent cette Trilogie, en se répartissant le travail, chacun apportant sa vision de l’imaginaire uruguayen.
Ouz est mis en scène par Gabriel Calderón et Ore par Adel Hakim, dans un jeu de regards croisés, le principe étant de travailler avec la même équipe d’acteurs, en langue française et dans la même scénographie d’Yves Collet. Ex, sera présenté en avril, en langue originale et avec des acteurs uruguayens. Les trois pièces viennent d’être éditées en  français chez Actes Sud, Ouz et Ex dans la traduction de Françoise Thanas, et Ore, dans celle de Maryse Aubert.
Ouz (le village) est donc le premier opus de la série des Pièces fantastiques. Françoise Thanas, quand elle évoque l’écriture de Calderón,  en note la complexité: «Elle est plurielle. Un langage quotidien, parfois très cru côtoie un langage recherché, avec quelques envolées poétiques et parfois aussi de l’emphase». L’action se passe en sept journées. Le prologue et l’épilogue sont contés par un présentateur habillé en clergyman (Anthony Audoux), sorte de directeur de conscience. Dans Ouz, c’est Dieu en effet qui mène la danse, et avec cruauté. Il ordonne à Grace (Véronique Ataly) avec qui il entre secrètement en communication, de sacrifier l’un de ses enfants. Croyante et bien-pensante, cette mère réfléchit à la stratégie et surtout au choix possible : son fils Tomás (Matthieu Dessertine), beau, intelligent et plein de projets,  ou Dorothéa, sa fille préférée et étrange, autiste sans défense (Bénédicte Choisnet)  ? Problème de conscience.

La mission s’annonce bien difficile et ce monde clos bascule, de l’hystérie au délire. Grace, par la voix de Dieu, se fait rappeler à l’ordre, pour n’avoir pas encore achevé son ouvrage. Elle invente donc tous les stratagèmes, sur un mode des plus légers et se coince dans un engrenage, aux yeux de « celui qui voit tout et est partout », jusqu’à l’écrasement total de la famille, enfants et mari, qui passent à la moulinette.
Et toute la ville s’en mêle : José, le boucher, sûr de son bon sens, mouillé dans des affaires d’adultère (Etienne Coquereau), sa fille Catherine, qui découvre son homosexualité débridée (Bénédicte Choisnet), le curé Maykol, libidineux à souhait (Philippe Cherdel), Leona et Flona, deux voisines nymphomanes, sautant sur toutes les occasions, (Louise Lemoine Torrès et Ana Karina Lonbardi), Jack le mari, atteint de crétinisme aigu (Eddie Chignara) jouant de travestissement et de changement de sexe, pour reconquérir sa femme.
Sur un rythme endiablé, (et une musique de Sylvia Meyer), ce cauchemar hésite entre divertissement et tragédie. Traité de façon radicale et comme un objet du plus pur mauvais goût, d’excès de tous moments, de dérapages contrôlés, où se mêlent religion, famille, homosexualité, pédophilie, recherche d’identité et hypocrisies. C’est un théâtre de subversion où le curé retrousse ses jupes,  où la mère s’offre à Dieu,  à moins que ce ne soit à Diable, où le père se transexualise et où les enfants ne sont pas si innocents. Et,  quand le pot aux roses est découvert, on reste coi.
Le jeu est extrême et démultiplicateur, et le metteur en scène travaille l’autodérision, la provocation et l’illusion. Les acteurs s’y prêtent avec une énergie et une saveur amplifiées. On se croirait chez Almodovar et Copi réunis. Ils font rire et inquiètent, maîtres d’un jeu d’excès haut en couleurs, comme est le texte, transgressif et délirant, violent et drôle.

La mise en scène accentue encore l’absurde d’un double jeu, paranoïde et déjanté.  «Mais je ne veux pas vous retenir davantage, retournez à la tranquillité de vos vies et oubliez ce cauchemar que nous, nous oublierons », dit le dernier prêche du présentateur. « C’est un théâtre qui divertit en même temps qu’il dérange » reconnaît aussi l’auteur.

Brouillage des genres et dérapages de langage, garantis. Laissez-vous déranger !

Brigitte Rémer

Théâtre des Quartiers d’Ivry-Studio Casanova, jusqu’au 14 avril : Ore et Ouz, spectacles en français, en alternance ou en dyptique - Tél. : 01 43 90 11 11 et www.theatre-quartiers-ivry.com – (Ex sera présenté du 17 au 21 avril, en espagnol, surtitré)

Ouz suivi de Ore et de Ex  sont publiés  chez Actes-Sud Papiers (www.actes-sud.fr)

Gabriel Calderón : Frictions Hors-série n° 5 (www.revue-frictions.net)

 


Archive pour 26 mars, 2013

Le Prix Martin

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Le Prix Martin d’Eugène Labiche, mise en scène de Peter Stein.

C’est une des dernières grandes pièces (1876) de cet auteur (1815-1888)  que les metteurs en scène du 20 ème siècle n’ont jamais  cessé de mettre en scène. C’est au tour de Peter Stein, co-fondateur de la fameuse Schaubühne de Berlin qui vit maintenant en Italie et qui y monte plutôt des opéras,  de le mettre en scène .
La pièce n’est pas un vaudeville avec chansons mais plutôt un comédie de mœurs comme on disait alors, féroce et noire, qui tourne au jeu de massacre jubilatoire, et dont les formidables dialogues sont déjà teintés de surréalisme et d’absurde. (Ce n’est sans doute pas pour rien que Philippe Soupault aimait aussi Labiche). Du genre: – Don Hernandez, ramenez-moi chez ma mère ! dit Loïsa- Ta mère ! c’est moi qui serai ta mère, lui répond le cousin guatémaltèque de Ferdinand Martin. -Quel beau jeu que le bésigue- C’est attachant et ça n’absorbe pas, répond Agénor à Martin.  
 Les personnages, à trois âges de la vie,  sont tous  emportés dans un tourbillon de relations sexuelles. Ferdinand Martin,  bourgeois et fier de l’être, assez vaniteux, a eu l’idée d’un prix: le Prix Martin qui serait décerné à « l’auteur du meilleur mémoire sur l’infamie qu’il y a à détourner la femme de son meilleur ami ».
 Mais évidemment, Madame est, et depuis longtemps, l’amante d’Agénor Montgommier, le meilleur ami de Monsieur… qui  s’aperçoit, très en colère, qu’ils tracent sans  scrupule une marque à la craie sur sa veste noire pour convenir de leur rendez-vous. Ferdinand Martin est furieux de se voir ainsi transformé en ardoise et cocufié. Les deux vieux amis seront vite « en froid » , comme ils disent, mais,  bizarrement,continuent à se voir et à rester proches sinon l’intrigue en resterait là!
 Quant aux  jeunes et ridicules époux, Edmond et Bathilde Bartavelle qui découvrent les joies du sexe, ils passent leur temps à faire l’amour sans vouloir l’avouer à leur entourage. Arrive  alors un cousin éloigné de Martin que ce dernier supporte mal, un Guatémaltèque d’opérette,  Hernandez  Martinez, roi des Chichimèques qui n’est pas insensible non plus aux charmes de Loïsa Martin et qui la séduira sans difficultés.
« Devenus veufs tous les deux », comme ils disent, le mari et l’amant  font la paix à la fin de la pièce-et  formidable idée de Labiche- reprennent leur partie de bésigue, toujours surveillée par Pioncieux, le valet de Martin comme au début, mais, cette fois, dans une douce mélancolie… Finalement, on se demande si les deux rivaux, tour à tour cocufiés, ne sont pas soulagés et heureux  de  se retrouver  enfin entre eux, enfin débarrassés  de  cette Loïsa, enfin enlevée par le cousin guatémaltèque…

Quant à Pioncieux, c’est un frère de lait de Martin, ce qui ne l’empêche surtout pas de le mépriser et de l’humilier- il doit même porter , lui, tout maigre, les vieux pantalons taille XXL de son maître. Enfin, pour les domestiques comme lui, obligé de suivre son maître, les vacances en montagne, même s’il est mal nourri,  ce dont il se plaint, ont  aussi du bon: il aura la grande gentillesse d’initier la jeune Suisse-assez naïve, et pas si naïve que cela-qui s’occupe d’une auberge dans les montagnes.
En effet, la pièce commence à Paris dans un salon bourgeois mais tous les personnages se retrouveront  à Chamonix, puis en Suisse, puisqu’Agénor a décidé d’accompagner aussi le couple. Martin a en effet projeté, avec la complicité de son cousin, de  se débarrasser son rival en Suisse, mais Agénor résistera à cette tentative de le faire tomber dans une gorge profonde, puis  à un médicament trop fortement dosé par MartMnaus de chance, Agénor  ne boira pas le bol de tisane mais celui de  bouillon que Pioncieux s’était préparé…

 Personne n’est épargné dans  le jeu de massacre concocté par Labiche et les Parisiens, avec un luxe de phrases méprisantes et  xénophobes,  tapent sur les Américains du Sud, les touristes, le pauvre Pioncieux et la Suisse. Martin répète d’un air méprisant: « Oh! La Suisse! » ou glisse accablé:   « C’est le mont Valérien en plus haut! « ,
« Comme le remarque finement Jourdheuil,  » Nous sommes passés,  et notamment grâce à ces regards venus d’ailleurs (les metteurs en scène étrangers) que sont des mises en scène comme celles de Stein, d’un Labiche considéré comme simple distraction bourgeoise à un Labiche charriant une humanité étrange ».
Et il a raison de dire que le regard de Peter Stein est un peu comme celui d’un ethnologue. Cette galerie de personnages que sont  Martin, sa famille, ses amis et les domestiques, tiennent des propos qui sont souvent à la limite de l’absurde: « Onze, je n’ai pas été jusqu’à la douzaine, dit Martin en parlant de ses maîtresses ».  » Ce que j’aime en vous, ce n’est pas votre physique, il est médiocre »  dit Loïsa, ou  » J’ai fait vœu de ne plus tromper mon mari, dit-elle aussi  à Agénor, ce qui signifie pour elle qu’elle veut vivre avec son amant! Ou encore: « Ne m’appelez plus,Ferdinand, nous sommes en  froid, » dit Martin à Agénor  après avoir appris qu’il était l’amant de sa femme.  » J’étais jeune, j’étais beau et j’appartenais à l’état-major, dit enfin Agénor.

Peut-être, et même sans doute, ne rions-nous pas des mêmes choses que les contemporains de Labiche; ils  ne devaient pas être aussi sensibles  à ces répliques délirantes, que Ionesco n’aurait pas renié. En tout cas, surtout au début, le public, ne retient pas ses rires.  Il faut dire que chaque scène est au plus haut point  savoureuse!
La mise en scène comme la direction d’acteurs  du grand Peter Stein,  sont, comme d’habitude chez lui, tout à fait  impeccables:  Jacques Weber,  (Ferdinand Martin) , bougon, rancunier mais  bonne pâte et revenu de ses illusions, n’en fait heureusement pas trop et tous les autres: Rosa Bursztein et Julien Campani (les Bartavelle), Pedro Casablanc (Hernandez Martinez), Christine Citti (Loïsa) Dimitri Radochevitch (le docteur), Laurent Stocker (Agénor Montgommier) ont un jeu tout à fait ciselé et sont vraiment leur personnage dès qu’ils entrent en scène. Mention spéciale cependant à Manon Combes qui  joue admirablement cette parfaite idiote de Groosback, la servante d’auberge suisse, et à Jean-Damien Barbin qui incarne le pitoyable Pioncieux,le valet de Martin, avec une gestuelle et un accent bétifiant tout à fait étonnants, surtout quand il marche en retenant  son pantalon trop grand qui lui  tombe sur les pieds….La charge est cruelle- il y a du Buster Keaton chez lui- mais les rires sont garantis.  
Peter Stein a joué très finement les choses et n’a pas cherché à moderniser la pièce ni à l’adapter, et il a eu raison, même si elle accuse un léger déficit dans la seconde partie, moins brillante et moins efficace que la première. Mais difficile de couper des scènes chez Labiche, même si certaines sont un peu longuettes. Les costumes d’Anna-Maria Heinreich-très réussis-sont proches de ceux de leur époque. Grandes robes avec faux-culs, redingotes noires, etc.. Mais la scénographie de Ferdinand Woegerbauer n’est pas aussi inspirée… Et l’ensemble, plastiquement assez laid, n’a guère d’unité. Pour signifier que l’action se situe à  Paris, il y a de grandes toiles de fond/ agrandissements de gravures d’époque, et les murs et les meubles du salon tout autour sont noirs  et,  en clin d’œil qui se veut drôle mais qui ne l’est pas vraiment, on voit un morceau, côté cour et côté jardin, reproduit du cadre de scène  à l’avant-scène. Et ensuite, il y a encore  des toiles reproduisant des gravures paysages de montagne. C’est dommage pour une mise en scène aussi soignée mais bon, cela n’empêche en rien le jeu des acteurs,  et c’est l’essentiel!
Cela fait tellement bien de rire au théâtre et n’est pas si fréquent! Grand merci,  Peter Stein, c’est sans doute le meilleur des Prix Martin qu’on ait vu,  et, si vous en avez assez de cet hiver parisien qui n’en finit pas de finir, allez vite à l’Odéon goûter à cette cuvée, à tort peu connue, d’Eugène Labiche, cela vous fera du bien. Gustave Flaubert, si l’on en croit Jules Claretie, romancier, critique théâtral, auteur dramatique et, à la fin de sa vie, administrateur de la Comédie-Française, criait bravo et disait : « C’est du Molière ». Bien vu, Monsieur Flaubert, vous aviez bien raison!  Et notre vingtième siècle théâtral, plutôt spécialisé dans la noirceur que dans le rire, curieusement, n’aura jamais réussi à faire naître un autre Labiche…

Philippe du Vignal

Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 5 mai du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. T: 01-44-85-40-40

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