Game.

 

Game , conception et mise en scène de Shûji Onodera.


Game. mcjapon-photoUne fois de plus, la Maison de la Culture du Japon à Paris surprend par la qualité de sa programmation théâtrale. Elle a accueilli les cinq membres de la Company Derashinera , dont Shûji Onodera, pour un spectacle à la frontière du mime et de la danse.
Le metteur en scène a été élève de l’Institut japonais du mime mais son travail est aussi remarquable pour la partie dansée. L’occupation de l’espace, l’harmonie et la fluidité des mouvements étonnent le public, qui découvre ici un bel engagement physique. Même si le mime, mode d’expression historique de l’acteur,  tombé en désuétude, est  peu visible en France
Ici, les parties mimées, plus classiques sont, comme la partie de jeux de cartes ou le voyage en train, trop répétitives et allongent inutilement ce spectacle d’une heure trente.
La fable mélange deux destinées : celle d’un petit homme banal qui voyage entre rêves et réalités, et celle d’une jeune fille, princesse des temps modernes qui croisent, sur leurs parcours, une incroyable reine qui vit dans un miroir et qui a une obsession : faire croquer une pomme rouge à la jeune fille pour la plonger dans un sommeil éternel.
Ce spectacle inclassable participe d’un théâtre d’objets qui lui donne ainsi une note poétique. Les artistes réussissent ainsi à nous emporter dans des  histoires sans paroles à la lisière du songe ; danse et  mime sont ici à la fois d’une extrême précision et d’une grande douceur.
On repense au Debureau de Sacha Guitry, quand, au quatrième acte, un célèbre mime vieillissant donne quelques conseils à son fils qui va lui succéder . « Quant à la pantomime, il faut, soyons sincère…Il faut très peu de chose en somme pour lui plaire ! Il faut, tu vas voir, c’est un rien, Il faut que, sans effort, il te comprenne bien ! Fais-toi comprendre et ça suffit ! …Quand tu veux exprimer qu’une femme est jolie, pense qu’elle est jolie et fais n’importe quoi ! Quand tu veux exprimer l’amour ou la folie, la danse, la chanson, le plaisir ou l’effroi…Pense tout simplement, tu me comprends bien : pense ! Pense à l’effroi, pense au plaisir, à la chanson, pense à l’amour, à la folie, ou à la danse Et gesticule à ta façon ! Surtout ne copie pas les gestes que je fais ! … N’oublie pas que les professeurs sont tous mauvais. Et quand on est doué, qu’ils sont des criminels, Car ils n’enseigneront jamais, hélas que leurs défauts ! Tous les gestes sont bons quand ils sont naturels… »

Jean Couturier

Le spectacle a été joué les 21, 22, et 23 mars à la Maison de la Culture du Japon à Paris.

www.mcjp.fr


Archive pour 27 mars, 2013

Ore (Radical Calderón – 2)

Ore  (Radical Calderón - 2) ore_168.nabil-boutros-bis1

©Nabil Boutros

Ore, (Radical Calderón – 2) de Gabriel Calderón, traduction de Maryse Aubert, mise en scène d’Adel Hakim.

Le sous-titre de la pièce, Peut-être la vie est-elle ridicule? écrite par Gabriel Calderónà la suite d’une résidence au Royal Court Theater de Londres, donne le ton et constitue le second opus de la série des Pièces fantastiques de sa Trilogie Uruguayenne

La pièce est en trois actes : tragédie, comédie et tragi-comédie -ce qui annonce différents styles- qui sont précédés d’un prologue mettant  en scène une équipe de reportage, fil conducteur du spectacle : une envoyée spéciale (Ana Karina Lombardi), un cameraman (Etienne Coquereau) et une perchiste (Bénédicte Choisnet), au look de Méphisto(s), de rouge et noir vêtus (costumes de Dominique Rocher) couvrent, en direct pour le journal télévisé, un événement difficile à caractériser et dont on attend les développements.
Sous la pression de la présentatrice (Véronique Ataly), l’équipe traque le scoop: une « importante activité militaire » a en effet été repérée dans la ville d’Ore où  « militaire » est un mot qui glace. L’auteur fait ici référence aux années les plus noires du pays, celles de la dictature et de la torture (1973/85).

La tragédie, qui se noue au départ dans une famille et au plan personnel, rejoint vite la mémoire collective de l’Uruguay, comme celle d’autres pays.

 Cela débute avec une altercation entre Bernard (Philippe Cherdel) et son fils, Arnaud (Matthieu Dessertine), lorsque ce dernier annonce, de manière quasi-romantique, vouloir embrasser la carrière militaire. Le coup est rude. Sa sœur, Anna, a en effet été enlevée et séquestrée par des soldats , et probablement tuée,  et  leur mère a quitté le foyer : pour le père, la nouvelle est insupportable, il revoit la scène de l’enlèvement et construit sa haine, depuis des années.

Arrive Pierre, soldat de paille et de cruauté, sorte de marionnette pleine de mépris (Anthony Audoux) : « C’est idiot, dit-il, de penser qu’un homme, qui assassine des gens comme d’autres signent des chèques,  puisse avoir une morale comme le reste des mortels ». Puis,  Jean (Eddie Chignara), son père, général militaire, pseudo- poète à ses heures, qui décrit la barbarie avec délectation, et qui est accusé d’avoir enlevé Anna, et Bettina (Louise Lemoine- Torrès), la mère,  de retour, face à la révolte cinglante de son fils qui, tel l’ange Gabriel,  annonce : « Le drame aura lieu ici ».
Ensemble et chacun pour soi, les personnages s’acheminent vers un psychodrame, d’accusations en menaces et de délation en révélations, autour du mystère d’Anna. Bernard, l’archétype du bon père de famille, fut aussi tortionnaire, et Jean se charge de le lui dire, devant les siens -ils ont été soldats ensemble- «Tu te rappelles qu’on les descendait dans le dos, ou pendant qu’ils dormaient» ? Dehors, une autre guerre est annoncée: « Les gens sont tous dans la rue, ils courent vers l’avenue principale ».
Au second acte, la comédie commence avec l’envahissement de la ville par des extra-terrestres. Tout se dérègle et le chaos s’installe. Sur grand écran, des images (Nabil Boutros et Matthieu Mullot) montrent la ville zébrée d’éclairs et attaquée par une sorte de vaisseau fantôme, comme en caméra subjective. .
La tension est au maximum:  tables et chaises sont érigées en barricades et la panique s’empare de tous. Soudain, une lumière blanche éclabousse le plateau et dépose un alien (scénographie et lumières d’Yves Collet). Celui-ci ôte son masque et, comble du rêve éveillé, apparaît Anna, la jeune fille disparue et sœur d’Arnaud (Lara Suyeux). C’est de la pure science-fiction.
De coups de théâtre en retournements de situation, la confusion est extrême et les personnages se mettent à habiter le corps et l’identité d’un autre : ainsi, Anna est dans le corps de Bettina, Bettina dans celui de Bernard, ce dernier dans le corps de Jean, Pierre dans celui d’Anna etc… et Françoise Hardy chante à tue-tête. Tout est déréglé et devient  fou: nous sommes en pleine apocalypse.
Chacun a défini sa nouvelle identité et commence alors, au troisième acte, la tragi-comédie . Tous ont changé de peau, sauf Arnaud,  et vivent dans le corps d’un autre. Les vêtements s’échangent, les genres et les sexes se mélangent. Les images de paysages paisibles aux mouvements imperceptibles, projetées sur d’étroits écrans translucides, se décalent et contrastent avec l’action. Un oiseau traverse l’écran. Passé le choc de la rencontre avec l’alien, qui pose la question de l’autre et du sens de la vie, le système répressif se remet en marche, avec la complicité de tous.
Les différents niveaux de langage sur lesquels jouent les acteurs leur demandent une grande énergie pour passer d’un registre à l’autre : philosophique, distancié,  dérisoire, du trivial, violent, contrasté; et ils le font avec un plaisir évident. Adel Hakim, qui reconnait à l’auteur « le génie du dialogue et des ruptures entre tragédie et force comique », pénètre dans ce monde de l’étrangeté et de l’irrationnel et dirige les comédiens du tragique au loufoque.

Il invente un  vocabulaire scénique, entre images, BD, tragique et bouffonnerie, et sert avec intensité les thèmes que sont la famille (pour Calderón, « la cellule d’organisation politique la plus petite ») et les non-dits, les conflits intergénérationnels, la violence et la torture, la science-fiction et l’altérité. Et le spectateur doit se mettre au travail, pour construire le puzzle à sa manière.
Intriguant, déroutant et percutant à la fois!

Brigitte Rémer

Théâtre des Quartiers d’Ivry-Studio Casanova, jusqu’au 14 avril : Ore et Ouz, spectacles en français, en alternance ou en dyptique - Tél. : 01 43 90 11 11 et www.theatre-quartiers-ivry.com – (Ex sera présenté du 17 au 21 avril, en espagnol, surtitré).

Ouz suivi de Ore et de Ex : publication chez Actes-Sud Papiers (www.actes-sud.fr)

Gabriel Calderón : Frictions Hors-série n° 5 (www.revue-frictions.net)

Tout va bien en Amérique

Tout va bien en Amérique, mise en scène de David Lescot, direction musicale de Benoît Delbecq.

 

Cet oratorio,  slammé et  chanté, est interprété par Steve Argüelles à la batterie, D’ de Kabal  pour le texte et le  chant, Benoît Delbecq au piano et  claviers,  Ursuline Kairson pour le  chant gospel et texte, Mike Ladd, rap et  claviers, Frano Mannara, à la guitare, et pour le chant et le texte, et Eric Vernhes  pour le film  électronique.
C’est l’évocation de la conquête de l’Amérique depuis l’écrasement de Sitting Bull que Catherine Weldon,  une femme blanche avait tenté de protéger en allant vivre dans sa tribu.
Le spectacle parle aussi de l’installation précaire des Blancs dans les villages indiens où l’on construit des  bordels pour les pionniers, de  la construction des chemins de fer, des trains interdits aux gens de couleur, du racisme, des mines à ciel ouvert,  du Ku Klux Klan, de l’opium, et des poubelles sur lesquelles il est dur de régner,…

Interprété avec une belle vigueur par une troupe de musiciens, acteurs, chanteurs de haut niveau, Tout va bien en Amérique nous plonge dans les débuts de la conquête  jusqu’au milieu du XXe siècle, un passé pas si lointain… vu tant de fois dans les westerns de notre enfance mais  du côté des Blancs…
Ici, nos yeux sont dessillés !

Edith Rappoport

Théâtre des Bouffes du Nord, jusqu’au 6 avril. T:  01 46 07 34 50

http://www.bouffesdunord.com

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