Ouz (Radical Calderón – 1)

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©Nabil Boutros

Ouz, (Radical Calderón – 1) texte et mise en scène de Gabriel Calderón. traduction de Françoise Thanas.

Auteur, acteur et co-directeur du collectif de création Complot, Gabriel Calderón, âgé d’une trentaine d’années, est une figure emblématique de la scène uruguayenne. Quand il parle de ses paternités artistiques, il nomme, en première ligne,  Koltès, Pasolini et Thomas Bernhardt, à côté de bien d’autres. Sergio Blanco,  qui fait partie du collectif, dit de sa dramaturgie : «Elle est comme un scanner de pointe qui met à nu notre société uruguayenne, héritière des pires archétypes rétrogrades que peuvent être la famille, la religion, la culture, le pouvoir, l’éducation. En portant un regard tellement local, il arrive à faire que son théâtre devienne universel» (cf. entretiens avec Jean-Pierre  Han, dans Frictionshors-série sur Calderón).

Quand il préparait un spectacle à la Comedia Nacional de Montevideo il y a plusieurs années, Adel Hakim, qui connaît bien l’Amérique Latine, rencontre Calderón. Le metteur en scène présentait l’une de ses pièces, à minuit et demi, dans une petite salle de la capitale, archi-pleine.

Ils  parlent ensemble du politique comme de l’artistique, puis animent un stage en France, et décident d’un projet commun. Le directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry l’invite en résidence de création, et ils animent des ateliers théâtre, puis préparent cette Trilogie, en se répartissant le travail, chacun apportant sa vision de l’imaginaire uruguayen.
Ouz est mis en scène par Gabriel Calderón et Ore par Adel Hakim, dans un jeu de regards croisés, le principe étant de travailler avec la même équipe d’acteurs, en langue française et dans la même scénographie d’Yves Collet. Ex, sera présenté en avril, en langue originale et avec des acteurs uruguayens. Les trois pièces viennent d’être éditées en  français chez Actes Sud, Ouz et Ex dans la traduction de Françoise Thanas, et Ore, dans celle de Maryse Aubert.
Ouz (le village) est donc le premier opus de la série des Pièces fantastiques. Françoise Thanas, quand elle évoque l’écriture de Calderón,  en note la complexité: «Elle est plurielle. Un langage quotidien, parfois très cru côtoie un langage recherché, avec quelques envolées poétiques et parfois aussi de l’emphase». L’action se passe en sept journées. Le prologue et l’épilogue sont contés par un présentateur habillé en clergyman (Anthony Audoux), sorte de directeur de conscience. Dans Ouz, c’est Dieu en effet qui mène la danse, et avec cruauté. Il ordonne à Grace (Véronique Ataly) avec qui il entre secrètement en communication, de sacrifier l’un de ses enfants. Croyante et bien-pensante, cette mère réfléchit à la stratégie et surtout au choix possible : son fils Tomás (Matthieu Dessertine), beau, intelligent et plein de projets,  ou Dorothéa, sa fille préférée et étrange, autiste sans défense (Bénédicte Choisnet)  ? Problème de conscience.

La mission s’annonce bien difficile et ce monde clos bascule, de l’hystérie au délire. Grace, par la voix de Dieu, se fait rappeler à l’ordre, pour n’avoir pas encore achevé son ouvrage. Elle invente donc tous les stratagèmes, sur un mode des plus légers et se coince dans un engrenage, aux yeux de « celui qui voit tout et est partout », jusqu’à l’écrasement total de la famille, enfants et mari, qui passent à la moulinette.
Et toute la ville s’en mêle : José, le boucher, sûr de son bon sens, mouillé dans des affaires d’adultère (Etienne Coquereau), sa fille Catherine, qui découvre son homosexualité débridée (Bénédicte Choisnet), le curé Maykol, libidineux à souhait (Philippe Cherdel), Leona et Flona, deux voisines nymphomanes, sautant sur toutes les occasions, (Louise Lemoine Torrès et Ana Karina Lonbardi), Jack le mari, atteint de crétinisme aigu (Eddie Chignara) jouant de travestissement et de changement de sexe, pour reconquérir sa femme.
Sur un rythme endiablé, (et une musique de Sylvia Meyer), ce cauchemar hésite entre divertissement et tragédie. Traité de façon radicale et comme un objet du plus pur mauvais goût, d’excès de tous moments, de dérapages contrôlés, où se mêlent religion, famille, homosexualité, pédophilie, recherche d’identité et hypocrisies. C’est un théâtre de subversion où le curé retrousse ses jupes,  où la mère s’offre à Dieu,  à moins que ce ne soit à Diable, où le père se transexualise et où les enfants ne sont pas si innocents. Et,  quand le pot aux roses est découvert, on reste coi.
Le jeu est extrême et démultiplicateur, et le metteur en scène travaille l’autodérision, la provocation et l’illusion. Les acteurs s’y prêtent avec une énergie et une saveur amplifiées. On se croirait chez Almodovar et Copi réunis. Ils font rire et inquiètent, maîtres d’un jeu d’excès haut en couleurs, comme est le texte, transgressif et délirant, violent et drôle.

La mise en scène accentue encore l’absurde d’un double jeu, paranoïde et déjanté.  «Mais je ne veux pas vous retenir davantage, retournez à la tranquillité de vos vies et oubliez ce cauchemar que nous, nous oublierons », dit le dernier prêche du présentateur. « C’est un théâtre qui divertit en même temps qu’il dérange » reconnaît aussi l’auteur.

Brouillage des genres et dérapages de langage, garantis. Laissez-vous déranger !

Brigitte Rémer

Théâtre des Quartiers d’Ivry-Studio Casanova, jusqu’au 14 avril : Ore et Ouz, spectacles en français, en alternance ou en dyptique - Tél. : 01 43 90 11 11 et www.theatre-quartiers-ivry.com – (Ex sera présenté du 17 au 21 avril, en espagnol, surtitré)

Ouz suivi de Ore et de Ex  sont publiés  chez Actes-Sud Papiers (www.actes-sud.fr)

Gabriel Calderón : Frictions Hors-série n° 5 (www.revue-frictions.net)

 


Archive pour mars, 2013

Le Prix Martin

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Le Prix Martin d’Eugène Labiche, mise en scène de Peter Stein.

C’est une des dernières grandes pièces (1876) de cet auteur (1815-1888)  que les metteurs en scène du 20 ème siècle n’ont jamais  cessé de mettre en scène. C’est au tour de Peter Stein, co-fondateur de la fameuse Schaubühne de Berlin qui vit maintenant en Italie et qui y monte plutôt des opéras,  de le mettre en scène .
La pièce n’est pas un vaudeville avec chansons mais plutôt un comédie de mœurs comme on disait alors, féroce et noire, qui tourne au jeu de massacre jubilatoire, et dont les formidables dialogues sont déjà teintés de surréalisme et d’absurde. (Ce n’est sans doute pas pour rien que Philippe Soupault aimait aussi Labiche). Du genre: – Don Hernandez, ramenez-moi chez ma mère ! dit Loïsa- Ta mère ! c’est moi qui serai ta mère, lui répond le cousin guatémaltèque de Ferdinand Martin. -Quel beau jeu que le bésigue- C’est attachant et ça n’absorbe pas, répond Agénor à Martin.  
 Les personnages, à trois âges de la vie,  sont tous  emportés dans un tourbillon de relations sexuelles. Ferdinand Martin,  bourgeois et fier de l’être, assez vaniteux, a eu l’idée d’un prix: le Prix Martin qui serait décerné à « l’auteur du meilleur mémoire sur l’infamie qu’il y a à détourner la femme de son meilleur ami ».
 Mais évidemment, Madame est, et depuis longtemps, l’amante d’Agénor Montgommier, le meilleur ami de Monsieur… qui  s’aperçoit, très en colère, qu’ils tracent sans  scrupule une marque à la craie sur sa veste noire pour convenir de leur rendez-vous. Ferdinand Martin est furieux de se voir ainsi transformé en ardoise et cocufié. Les deux vieux amis seront vite « en froid » , comme ils disent, mais,  bizarrement,continuent à se voir et à rester proches sinon l’intrigue en resterait là!
 Quant aux  jeunes et ridicules époux, Edmond et Bathilde Bartavelle qui découvrent les joies du sexe, ils passent leur temps à faire l’amour sans vouloir l’avouer à leur entourage. Arrive  alors un cousin éloigné de Martin que ce dernier supporte mal, un Guatémaltèque d’opérette,  Hernandez  Martinez, roi des Chichimèques qui n’est pas insensible non plus aux charmes de Loïsa Martin et qui la séduira sans difficultés.
« Devenus veufs tous les deux », comme ils disent, le mari et l’amant  font la paix à la fin de la pièce-et  formidable idée de Labiche- reprennent leur partie de bésigue, toujours surveillée par Pioncieux, le valet de Martin comme au début, mais, cette fois, dans une douce mélancolie… Finalement, on se demande si les deux rivaux, tour à tour cocufiés, ne sont pas soulagés et heureux  de  se retrouver  enfin entre eux, enfin débarrassés  de  cette Loïsa, enfin enlevée par le cousin guatémaltèque…

Quant à Pioncieux, c’est un frère de lait de Martin, ce qui ne l’empêche surtout pas de le mépriser et de l’humilier- il doit même porter , lui, tout maigre, les vieux pantalons taille XXL de son maître. Enfin, pour les domestiques comme lui, obligé de suivre son maître, les vacances en montagne, même s’il est mal nourri,  ce dont il se plaint, ont  aussi du bon: il aura la grande gentillesse d’initier la jeune Suisse-assez naïve, et pas si naïve que cela-qui s’occupe d’une auberge dans les montagnes.
En effet, la pièce commence à Paris dans un salon bourgeois mais tous les personnages se retrouveront  à Chamonix, puis en Suisse, puisqu’Agénor a décidé d’accompagner aussi le couple. Martin a en effet projeté, avec la complicité de son cousin, de  se débarrasser son rival en Suisse, mais Agénor résistera à cette tentative de le faire tomber dans une gorge profonde, puis  à un médicament trop fortement dosé par MartMnaus de chance, Agénor  ne boira pas le bol de tisane mais celui de  bouillon que Pioncieux s’était préparé…

 Personne n’est épargné dans  le jeu de massacre concocté par Labiche et les Parisiens, avec un luxe de phrases méprisantes et  xénophobes,  tapent sur les Américains du Sud, les touristes, le pauvre Pioncieux et la Suisse. Martin répète d’un air méprisant: « Oh! La Suisse! » ou glisse accablé:   « C’est le mont Valérien en plus haut! « ,
« Comme le remarque finement Jourdheuil,  » Nous sommes passés,  et notamment grâce à ces regards venus d’ailleurs (les metteurs en scène étrangers) que sont des mises en scène comme celles de Stein, d’un Labiche considéré comme simple distraction bourgeoise à un Labiche charriant une humanité étrange ».
Et il a raison de dire que le regard de Peter Stein est un peu comme celui d’un ethnologue. Cette galerie de personnages que sont  Martin, sa famille, ses amis et les domestiques, tiennent des propos qui sont souvent à la limite de l’absurde: « Onze, je n’ai pas été jusqu’à la douzaine, dit Martin en parlant de ses maîtresses ».  » Ce que j’aime en vous, ce n’est pas votre physique, il est médiocre »  dit Loïsa, ou  » J’ai fait vœu de ne plus tromper mon mari, dit-elle aussi  à Agénor, ce qui signifie pour elle qu’elle veut vivre avec son amant! Ou encore: « Ne m’appelez plus,Ferdinand, nous sommes en  froid, » dit Martin à Agénor  après avoir appris qu’il était l’amant de sa femme.  » J’étais jeune, j’étais beau et j’appartenais à l’état-major, dit enfin Agénor.

Peut-être, et même sans doute, ne rions-nous pas des mêmes choses que les contemporains de Labiche; ils  ne devaient pas être aussi sensibles  à ces répliques délirantes, que Ionesco n’aurait pas renié. En tout cas, surtout au début, le public, ne retient pas ses rires.  Il faut dire que chaque scène est au plus haut point  savoureuse!
La mise en scène comme la direction d’acteurs  du grand Peter Stein,  sont, comme d’habitude chez lui, tout à fait  impeccables:  Jacques Weber,  (Ferdinand Martin) , bougon, rancunier mais  bonne pâte et revenu de ses illusions, n’en fait heureusement pas trop et tous les autres: Rosa Bursztein et Julien Campani (les Bartavelle), Pedro Casablanc (Hernandez Martinez), Christine Citti (Loïsa) Dimitri Radochevitch (le docteur), Laurent Stocker (Agénor Montgommier) ont un jeu tout à fait ciselé et sont vraiment leur personnage dès qu’ils entrent en scène. Mention spéciale cependant à Manon Combes qui  joue admirablement cette parfaite idiote de Groosback, la servante d’auberge suisse, et à Jean-Damien Barbin qui incarne le pitoyable Pioncieux,le valet de Martin, avec une gestuelle et un accent bétifiant tout à fait étonnants, surtout quand il marche en retenant  son pantalon trop grand qui lui  tombe sur les pieds….La charge est cruelle- il y a du Buster Keaton chez lui- mais les rires sont garantis.  
Peter Stein a joué très finement les choses et n’a pas cherché à moderniser la pièce ni à l’adapter, et il a eu raison, même si elle accuse un léger déficit dans la seconde partie, moins brillante et moins efficace que la première. Mais difficile de couper des scènes chez Labiche, même si certaines sont un peu longuettes. Les costumes d’Anna-Maria Heinreich-très réussis-sont proches de ceux de leur époque. Grandes robes avec faux-culs, redingotes noires, etc.. Mais la scénographie de Ferdinand Woegerbauer n’est pas aussi inspirée… Et l’ensemble, plastiquement assez laid, n’a guère d’unité. Pour signifier que l’action se situe à  Paris, il y a de grandes toiles de fond/ agrandissements de gravures d’époque, et les murs et les meubles du salon tout autour sont noirs  et,  en clin d’œil qui se veut drôle mais qui ne l’est pas vraiment, on voit un morceau, côté cour et côté jardin, reproduit du cadre de scène  à l’avant-scène. Et ensuite, il y a encore  des toiles reproduisant des gravures paysages de montagne. C’est dommage pour une mise en scène aussi soignée mais bon, cela n’empêche en rien le jeu des acteurs,  et c’est l’essentiel!
Cela fait tellement bien de rire au théâtre et n’est pas si fréquent! Grand merci,  Peter Stein, c’est sans doute le meilleur des Prix Martin qu’on ait vu,  et, si vous en avez assez de cet hiver parisien qui n’en finit pas de finir, allez vite à l’Odéon goûter à cette cuvée, à tort peu connue, d’Eugène Labiche, cela vous fera du bien. Gustave Flaubert, si l’on en croit Jules Claretie, romancier, critique théâtral, auteur dramatique et, à la fin de sa vie, administrateur de la Comédie-Française, criait bravo et disait : « C’est du Molière ». Bien vu, Monsieur Flaubert, vous aviez bien raison!  Et notre vingtième siècle théâtral, plutôt spécialisé dans la noirceur que dans le rire, curieusement, n’aura jamais réussi à faire naître un autre Labiche…

Philippe du Vignal

Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 5 mai du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. T: 01-44-85-40-40

PANORAMA DES CHANTIERS DE LA F.A.I.A.R

Panorama de chantiers de la F.A.I.R., Cité des arts de la rue  à Marseille, du 12 au 16 mars. 

 Michel Crespin, fantastique bateleur, présentait à Aix, Ville Ouverte aux Saltimbanques, belle  opération que Jean Digne avait lancé en 74, avec son Théâtracide, La famille Eustache Amour,  aux côtés d’autres compagnies comme Blaguebolle,  Jacky Beffroi, le Théâtre de l’Unité, etc… Michel Crespin a toujours voulu  transmettre  ses passions,  après avoir créé à Aurillac, le festival européen de théâtre de rue qu’il dirigea de 86 à 93, et avoir fondé Lieux Publics à Marne-la-Vallée qu’il implanta ensuite  à Marseille. Il  y créa, en 95, avec Pierre Berthelot, la Cité des arts de la rue dans une immense friche industrielle, quartier des Aygalades,  au nord de la ville, friche dont la rénovation est désormais achevée.
Michel Crespin a obtenu de l’État et des collectivités territoriales, une reconnaissance spécifique  » Arts de la Rue », et a mis en place la F.A.I.A.R, une  formation européenne de dix-huit mois qui a déjà accueilli trois promotions de quinze apprentis en 2005, 2007, et 2009.
Dominique Trichet, son successeur, dont c’est le dernier mandat, a mené la quatrième promotion à son terme, et cinq candidats ont été présélectionnés pour le remplacer.  Nouveau pari pour cette institution: elle  va inscrire un cursus diplômant, en collaboration avec l’Université d’Aix-Marseille et l’association Circostrada/Hors les murs pour ce qui concerne les relations internationales.
Pour ce  quatrième Panorama des Chantiers 2013, quatorze projets personnels de création étaient présentés par les apprentis de la dernière promotion. Chaque matin, nous assistions à une présentation orale du parcours de chacun, et de son projet, soutenu par un tuteur, puis nous allions  en voir  un « Reflet » à  la Cité des Arts de la Rue, ou dans d’autres espaces de l’agglomération marseillaise. Quinze membres du jury: journalistes, urbanistes, universitaires, sociologues, ou diffuseurs professionnels français et étrangers étaient chargés d’analyser chacun des  cinq projets  et trois observateurs, à la fin,  faisaient part de leurs conclusions.

Etat des lieux:

L’Heure exquise de Ioana Arufat, co-fondatrice de la compagnie Du O des branches (France, Espagne, Suisse), 14 mars.

Ioana Arufat  a mené un travail sur la mémoire et la transmission. Après une formation en sociologie et à l’Ecole de théâtre Jacques Lecoq, elle a joué en France et en Pologne avec un collectif d’artistes autogéré, dont le nom est né de l’absence de salle, et qui ne sont jamais redescendus de leurs branches. Nous sommes guidés vers le lieu-dit « La Cascade », lieu délaissé depuis de longues années, alors qu’il est inscrit dans le Plan d’Occupation des Sols de la Cité.
Après un long travail dans les maisons de retraite et les clubs de loto, pour y sélectionner des bénévoles susceptibles de participer à cette Heure exquise, et le défrichage des abords d’une belle et poétique cascade,  lieu de loisirs vers 1900, Ioana Arufat est parvenue à transmettre  la nostalgie d’un passé évanoui.
Nous marchons sur un sentier escarpé à travers un jardin, où l’on voit une grand-mère sur une balançoire, et  un groupe, avec des enfants guidant un poulain, et une licorne blanche. Nous descendons jusqu’à la porte d’une grotte, où un vieux grand-père lit une lettre, à côté d’une brouette remplie de livres: « Je rêve de voir mes parents vieillir heureux ensemble et dans la tendresse ». Une femme pédale sur un vélo, une petite fille serre sa Bécassine contre son cœur.
On aperçoit un bel étang en contrebas d’ une cascade, une femme et un enfant y jouent avec des bouteilles. Dans un fauteuil, une vieille femme se tord les mains, puis  danse avec un jeune homme qui se rapproche d’elle,  et qui la hisse sur son épaule. Conviés à danser avec les acteurs, nous montons  ensuite les escaliers pour regagner la Cité des Arts de la Rue en traversant, un par un, une vieille passerelle rouillée.  Cette traversée d’un lointain passé s’est déroulée dans un profond silence…

 ioana.arufat@yahoo.fr

 

PANORAMA DES CHANTIERS DE LA F.A.I.A.R trip-es-1362483171-25424Trip(es) ou mes parents n’ont pas eu les couilles de faire des enfants, banquet familial participatif  d’Alix Montheil, (France),.Cette fois, on nous conduit en bus jusqu’à un vaste espace désertique, paysage magnifique donnant sur la mer, mais… dont le talus, au loin,  est jonché d’ordures. Dans sa présentation, Alix Montheil s’est défini comme  » théâtrier »  dès  sept ans, mais  son père qui exerçait un métier technique n’a jamais assisté à l’un de ses spectacles.  Alix s’est ensuite  rapproché de lui justement par la technique.
Trip(es), c’est un jeu d’enfant autour du vrai et du faux. On nous conduit, l’un derrière l’autre,  jusqu’à une longue table où il y a des boissons et des chips, et autour de laquelle nous devons nous asseoir. Un vent, à décorner les bœufs,  souffle en rafales. Alix accueille les invités  » membres de sa famille « , et nous distribue les personnages: un sniper, un cochon, un clown, un cousine…
Il nous félicite et nous intime l’ordre de manger  et de boire! Mais en vain,en effet  tout s’envole. On s’attend à des révélations lors de  ce repas familial qui rappelle Festen, mais on voit au loin  une voiture qui arrive sur nous, et  qu’un fou furieux casse à coups de massue, dans une ambiance de western.
Une belle fille nue  surgit, chevauchant une mobylette, puis met un manteau de fourrure pendant qu’on observe un homme surgissant d’une baignoire pleine de boue. Des voitures rugissent  dans un bruit d’enfer, et on craint un accident! Où tout cela va-t-il finir ? Épuisés par le vent, et à  la recherche d’un sens impossible à saisir, nous regagnons, perplexes, la chaleur bienfaisante du bus!
Deux jours plus tard, nous sommes revenus une deuxième fois voir ce « Reflet » qui nous avait  laissé des images fortes mais  dont on n’avait pu saisir le sens. Le vent n’est pas tombé, mais ce que nous avions vu, s’est resserré dans l’espace et le temps. La belle fille nue, était, en fait, le personnage d’Aurélie Filipetti en manteau de fourrure, qui décernait des prix, et le grand-père, couvert de caca, ne sortait plus de sa baignoire.  Alix et ses compagnons, eux,  fracassaient des assiettes sur la table et enfouissaient un personnage sentencieux sous un amas de débris.
Bizarre, bizarre! Ce « Reflet », non dénué d’ un humour féroce, laissera des traces.

contact alix.montheil@gmail.com

 

Champ de bataille de Rocio Berenger (Espagne), Cité des Arts de la Rue, 14 mars, tuteur Mickaël Allibert, directeur de la compagnie Trucmuche.

Devant l’impossibilité à trouver un lieu public  qui garantisse  la sécurité pour les techniciens et les danseurs, Rocio Berenger a  présenté son « Reflet »  à  la Cité des Arts de la Rue. C’est une performance urbaine de flamenco qui commence dans la pénombre par un discret zapateado, une recherche sur la relation au corps, « une écriture poétique devenue politique « . Pour parler de l’aliénation politique des corps qui, pour elle, ont deux peaux, l’une visible et l’autre sensible.
Dans ces non-lieux sans passé comme, entre autres, les aéroports, les citoyens sont devenus des passants et  des consommateurs. Pendant que les danseurs de flamenco se défient, de grandes projections sur le bâtiment,  renvoient les images de caméras de surveillance. Pour Rocio,  qui dit s’être appelée Antonio jusqu’à l’âge de  quatorze ans (on peine à le croire devant sa féminité…), le corps est un non-lieu, et, seule,  l’approche médicale ou policière en est possible. Nous sommes regardés en permanence, et  cela nous conditionne. Dans l’obscurité, l’ émotion surgit.

 

Tleta de Djamel Afnaï, Fragments d’une biographie sous silence, (France) cité des Aygalades, 15 mars, tuteur Koffi Kwahulé.

Djamel Afnaï, d’origine kabyle, est  né français en 83. Comment, dit-il, transmettre son histoire quand on a oublié de vous la raconter ? Il a suivi une formation d’acteurs, d’abord  au Théâtre du Passage avec Niels Arestrup, puis  à l’Ecole du Théâtre National de Chaillot. Puis il a  collaboré depuis plusieurs années avec  la compagnie Acidu,  et, avec Iano Iatridès, chorégraphe, au sein du groupe Écarlate.
Tleta
( 3 en arabe): trois générations: son grand-père, son père et lui-même. Djamel Afnaï,  campé devant une petite caravane tapissée de sacs Tati, attelée à une vieille 4 L,  incarne trois  générations, « neuvième d’une famille de  quinze enfants, dit-il, c’est une force! ». Il campe d’abord son grand-père, né en 1883, ancien spahi de l’empire colonial, vieil homme fragile appuyé sur sa canne qui a dû prendre sa retraite militaire en France, laissant derrière lui la boue et les morts de Verdun, et décédé en 76. » Me suis arrangé pour rien leur laisser, pas même un livret de famille ! ».
Djamel Afnaï  sort de la 4 L tout un barda, dont des gâteaux préparés par sa mère… Puis, il parle de lui,  Djamel, né dans  la Cité des Peaux Rouges à Montigny. Il interprète trois  générations avec une simplicité désarmante, dans  un langage direct où l’on retrouve l’humour de Kateb Yacine. Djamel Afnaï avait mené un travail avec l’association de la cité des Aygalades pour se débarrasser du ressentiment et de la colère, mais personne dans le public ne semble issu de cette cité. Dommage !

djamel.afnai@free.fr

 

No visa for the contry d’Alix Denambride, (France), tuteur Christophe Modica,  artiste sonore et faiseur d’images, 14 mars.


Alix Denambride après un master d’études théâtrales, fonde la RMBC ( Royal Magic Beans Company). Elle  a  travaillé auprès d’Alexandre del Perugia, Guy Naigeon et Yves-Noël Genod, et a ressenti le besoin d’ouvrir sa fenêtre dans l’espace public. Fascinée par l’affaire Gregory, elle a mis en scène la recherche d’une certaine Jeanne Canary, personnage fictif disparu sans laisser de traces.
Nous attendons un bus qui doit nous emmener pour  une destination inconnue. Plusieurs avis de recherche sont apposés dans les environs: Jeanne Canary portait un chapeau de cow-boy, et était munie d’une valise. Il y a justement une jeune femme blonde répondant à ce signalement qui attend avec nous. On nous a muni d’écouteurs à mettre en route,  dès que notre bus aura démarré.
Une fois embarqués, nous pouvons entendre les appels désespérés de la famille et  des amis de Jeanne, inquiets de son silence, réclamant des nouvelles.Nous arrivons au Grand Littoral, immense centre commercial surplombant la mer; nous suivons la jeune fille au chapeau dans le dédale des allées, et  sommes troublés par l’apparition d’autres jeunes femmes  portant aussi un chapeau de cow-boy,  qui se multiplient au fil du parcours, pendant que les appels angoissés sur le répondeur de Jeanne se poursuivent.
Il ne faut pas baisser la garde, ne pas se perdre dans cet espace anonyme, et poursuivre la quête de Jeanne. Cette solitude urbaine est angoissante: être seul ensemble, c’est quand même être seul tout seul! Nous finissons par descendre dans un grand parking vide donnant sur la mer, où l’on aperçoit, non plus une, deux, trois, dix, mais une vingtaine de Jeanne qui se lancent dans une danse  country, moment de rupture, régénérant et insolite
Bizarrement,  notre groupe de la F.A.I.A.R n’ pas été suivi par les badauds du Grand Littoral… Ce projet devait être réalisé à la gare Saint Charles, mais l’autorisation n’avait pu être obtenue et c’est le bienveillant directeur du Grand Littoral,  espace privé, qui l’a accueilli.
Dans cette quête impossible d’une disparue,  on pense  aux vers de Rainer Maria Rilke : « Ou bien est-ce l’angoisse qui m’étreint,/l’angoisse profonde des trop grandes villes/Où tu m’as enfoncé jusqu’au cou… ».

denambride.alix@orange.fr

 

Absolument rien, de  Sun-Ha Cho, mime corporelle, (Corée du Sud), tuteur Sylvie Faivre, Cité des Arts de la rue, 14 mars.

Sung-Ha Cho qui avait travaillé comme mime avec la compagnie Homo Ludens auprès de retraités dans un parc à Séoul depuis 2002, a rencontré Ilotopie lors d’une de leurs tournées en Corée en 2008. Elle les a suivis en France pour travailler avec eux dans Les Gens de couleur et avec la compagnie des Transformateurs, le Théâtre Nomade et Blöffique Théâtre, avant d’intégrer la F.A.I.A.R. Elle se déclare étrangère à l’étranger. Sung-Ha Cho  a mis deux  ans pour  maîtriser le français, et  souhaite trouver une compagnie théâtrale qui travaille avec les images.
Absolument rien
, c’est un chemin initiatique, un travail sur l’image figée et vivante, une déambulation silencieuse dans un site de verdure vallonné que nous parcourons en quatre  stations, un étrange chemin funéraire bien que le mot ne soit jamais prononcé.
Nous suivons un sentier bordé de pierres, le long d’un bâtiment de la cité où sont collées des photos. Appelés à gravir une colline en suivant un chemin lumineux, nous apercevons  Sung-Ha Cho, au pied d’un arbre violemment éclairé. Elle empoigne un micro, mais aucune parole ne surgit, hormis quelques borborygmes. Incident technique, parole impossible, on ne sait ?  C’est le moment de la solitude.
Nous sommes loin d’elle vêtue de soie blanche qui flotte dans le vent furieux, c’est le moment de la peur. Elle s’éloigne, nous la suivons pour nous rapprocher. Elle se saisit d’accessoires, c’est le moment de la joie…Nous la suivons encore, elle grimpe sur un container, et un homme en blanc apparaît. Ils se rapprochent puis s’éloignent, et, dans le vent toujours furieux, se lancent des poignées de poussière colorée, nuages poétiques amoureux. C’est le moment de l’amour.
Ils disparaissent et nous restons là, un long moment, émus, malgré le vent qui souffle. » L’ordinaire pour quelqu’un devient/L’extraordinaire pour quelqu’un d’autre./La normalité devient l’anormalité./La banalité devient l’étrangeté ».

cho-ssung@hotmail.com

 

 Tell from the Grave de Raphaël Joffrin, (France) tuteur Stéphane Filloque, Cité des arts de la rue 15 mars.

Raphaël Joffrin, passionné par la bande dessinée dès l’enfance, exerce d’abord le métier de charpentier puis  devient chauffeur pour des groupes de rock et rencontre l’entreprise Sud Side,  à proximité de la Cité des Arts de la rue où il va travailler. Au festival de la B. D.  du Perthuis, il rencontre la compagnie de rue Generik Vapeur. Qu’est-ce qu’un technicien, qu’est-ce qu’un artiste ?
Tell from the Grave, c’est la visite d’un cimetière où l’on peut écouter sur chaque tombe la musique de trois  rockers du groupe Electrolux, disparus dans un accident de voiture. Raphaël Joffrin, très grave et  vêtu de noir, nous guide à flanc de colline pour aller devant  chaque  tombe,  et nous retrace les circonstances de cet accident.  On nous offre une  canette de bière qu’on  nous invite à  jeter sur chaque tombe, la dernière est une tombe-canapé, où nous pouvons nous asseoir. Raphaël Joffrin  évoque le contact des corps dans les groupes de rock, le problème de place dans les HLM, et… dans les caveaux des cimetières.
Heureusement, l’accident est fictif, et, le soir même, on peut entendre les rockers lancer leur musique aux abords du cimetière. Les visiteurs qui l’écoutent auprès de chaque tombe, plus vraie que nature, qui n’ont pas cru  vraiment à cette histoire, restent quand même silencieux et recueillis…

riff.raf@laposte.net

 

I.P.I., Institut  de Psychopompes Funébrisme International d’Elsa Mingot, (France), tuteur Laurent Petit, Cité des Arts de la Rue, 14 Mars.

 

i-p-i-1362482655-25420-300x107Après des études d’histoire et un travail d’enseignante en français/ langue étrangère, Elsa Mingot part pour le Mexique en 2004 où elle assiste à la fête des morts. Elle entreprend un travail sur le suicide en  2009,  à partir de trois axes de recherche : un « crash-test » pour un  suicide dans un espace public, le suicide dans les médias : pourquoi je ne me suis pas suicidée, et  la création d’une agence des suicides avec des ateliers pédagogiques sur  » comment ne pas se rater « …
Avec un sérieux imperturbable, Elsa Mingot évoque sa mission: « Apprendre aux gens à mourir dans la bonne humeur ». Elle décrit les outils de son Institut: site communautaire sur Internet,  séances d’entrainement funéraire en France et à l’étranger, vente de produits dérivés sur le marché (cercueils d’occasion, urnes et linceuls…), implantation de cimetières festifs au cœur des villes. Elle pose très sérieusement la question de la disparition des rites funéraires dans notre société laïque,  et le triste recours aux anciens  rituels religieux. Sous des allures scientifiques empreintes d’un humour des plus noirs, Elsa Mingot expose ses axes de recherche : 1) Un axe ethno-anthropologique avec voyages au Mexique, à Madagascar et  en Inde pour créer ensuite un rituel laïque par excellence. 2) Un axe technique, avec formation à la thanatopraxie et à l’embaumement. 3) Un plan quinquennal d’entrainement funéraire…
Le « Reflet » d’Elsa Mingot se déroule dans un vaste bâtiment circulaire, « mausolée du souvenir partagé » édifié par l’I.P.I pour accompagner qui le souhaite aux  funérailles d’un proche. On peut y célébrer aussi la mort des mots et des idées, et des funérailles d’habitations !
Nous sommes rassemblés autour d’un vaste cercle: il y a les rires de morts, debout dans leurs cercueils, et, au centre, neuf personnages en pleurs. Elsa Mingot, en grande prêtresse laïque, est l’ordonnatrice de la cérémonie, aidée de deux disques-jockey.Interloqués, nous errons autour du cercle, puis la libération arrive: on nous demande d’aller écrire les noms de nos morts sur les murs, avec une  craie qu’on nous distribue. Pour nous ce sera celui de Wladyslaw Znorko, excellent créateur de théâtre et poète en chef de la  Gare Franche,disparu le 4 mars,  à quelques encablures de la Cité des Arts de la Rue, et celui d’ autres morts que nous n’avons pas toujours pu accompagner.
Après un instant d’hésitation, tout le monde se met à écrire rageusement sur les murs, c’est une libération! Et on nous invite à pénétrer en musique dans le cercle pour une danse régénérante. Sous des allures fantasques, Elsa Mingot a réalisé une belle mise en espace des rituels indispensables que nous avons à  imaginer pour accompagner nos morts. Au moment où le droit à mourir dans la dignité commence à s’imposer, elle a réalisé une performance qui marquera les mémoires. Elle poursuivra ses efforts, nous dit-elle, pour développer son Institut,  à la suite  de sa nomination au poste de  » directrice de l’Antenne Sud de l’I.P.I. »!

info@ipi-tech.org

Edith Rappoport


Cité des Arts de la Rue T: 04-91-69 -74 -67 info@lacitédesartsdelarue.net


Femme de chambre

Femme de chambre , errance féminine, adaptation du roman de Matkus Orths et  mise en scène de Sarah Capony.

Femme de chambre  femmeC’est un moment de la vie de Lynn Apatek, une jeune femme d’une trentaine d’années:  elle a quitté récemment un hôpital  psychiatrique et demande à l’un de ses ex, patron de l’ hôtel Eden, un travail de femme de chambre qu’il lui accorde volontiers. Elle a une démarche un peu hésitante et semble perdue quand elle doit se se retrouver d’autres repères… Lynn se consacre à fond à son travail, histoire de remplir une vie que l’on soupçonne bien vide. Lynn n’ a ni amis  ni famille,  si ce n’est une mère qui habite loin- on ne parle jamais d’un père!-à qui elle téléphone de temps en temps  depuis une cabine.
Les propos échangés sont d’une rare banalité:sa mère parle fleurs et jardins et Lynn  produits ménagers efficaces contre la saleté et la poussière, sa grande ennemie. Elle  est en effet vite devenue experte en la matière et sait comment rendre impeccable et préparer une chambre en un temps record, avec beaucoup de professionnalisme. Cela en devient une sorte de seconde nature… Ce travail des plus banals est devenu une sorte de refuge personnel dont elle veut tirer le maximum d’intérêt. Elle en arrive même-cela devient obsessionnel- à nettoyer des chambres non occupées au grand étonnement de son  patron!

Et Lynn développe une observation bientôt portée au paroxysme: on n’est pas loin ici de Sophie Calle avec  L’Hôtel (1981). L’artiste qui  présentait  une très belle installation l’an passé au Festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog) avait obtenu une place de femme de chambre dans un hôtel vénitien pour un remplacement de trois semaines), et avait photographié les vêtements et  objets personnels des clients. Lynn, elle, ne les photographie qu’avec son intelligence et sa sensibilité mais fascinée par cette absence/présence d’hommes et de femmes dont elle partage  l’intimité comme personne, elle observe tout à la loupe et, par effraction ce qui donne encore plus de piment!  essaye de connaître la vie de ces gens qui dorment dans cette chambre 304, des gens  qu’elle ne verra évidemment  jamais. Lynn vit donc,comme par procuration et ira même jusqu’à se glisser sous le lit pendant que des clients occupent la chambre! Comme cet  homme et cette femme voulant un enfant qui se retrouvent  pour faire l’amour….  Ou cet homme marié qui  vient retrouver  Chiara, une belle et jeune prostituée à qui il demande de l’attacher puis de le battre et de l’étrangler avec sa cravate…
 Lynn, fascinée par la jeune femme, récupère la carte de Chiara, note son téléphone et et l’appelle pour lui demander de profiter,elle aussi, de ses charmes, contre de l’argent bien entendu. Chiara, quand même étonnée, accepte.  L’attirance de Lynn  pour Chiara lui parait réciproque, ce qui ne l’est pas vraiment, et faire l’amour avec elle chaque semaine,devient alors  un rituel hebdomadaire dont elle éprouve un profond besoin- c’est devenue une addiction- et elle doit demander des avances sur son pauvre salaire pour pouvoir la payer. Autre rituel: elle a aussi un rendez-vous régulier avec un psy qui semble désemparé par le drôle de personnage qu’elle est mais ces séances  apportent, de par leur  régularité, un équilibre à Lynn et la  réconfortent un peu, même si l’entretien est, à chaque fois, vide de sens.
Lynn, très seule, devient vite amoureuse de Chiara qui, en bonne professionnelle, reste distante mais  sait quand même lui offrir les caresses attendues contre monnaie sonnante. Elle lui propose alors  de partir avec elle pour des vacances qu’elle prendra totalement en charge. Mais Chiara sa défilera en douceur et la pauvre Lynn ne prendra pas le train et  reviendra à l’hôtel,  plus paumée qu’avant, alors qu’elle est en congés,  et encore plus en quête de son  identité.
L’adaptation qu’a faite Sarah Capony de femme de chambre est assez bien vue et elle a su avec la complicité de l’auteur, faire un bon découpage de Femme de chambre, et donner un bon rythme à  cette suite de courtes scènes, ce qui n’est pas évident quand il s’agit  d’un roman.
La mise en scène d’une grande sobriété est, d’évidence, influencée par celles de Joël Pommerat mais il y a pire école! Et, malgré la répétition voulue de certaines moments dans la chambre d’hôtel, Sarah Capony  maîtrise bien les choses; on sent qu’elle a porté ce projet depuis longtemps et a fait le maximum, avec ses copains comédiens  pour  faire aboutir ce projet. Elle réussit, dès le début du spectacle, à installer l’univers de substitution que Lynn a réussi à se créer.C’est sans à-coups, net et ciselé. La direction d’acteurs, pour une aussi jeune metteuse en scène, est des plus solides et elle a-ce qui fait aussi partie du métier- bien choisi ses comédiens: (Erwan Daouphars, Hélène Viviès, Gaétan Vassart, Flore Grimaud qui sont tous très crédibles et Coco Felgeirolles, (remarquable  dans le rôle de la mère). Il y a toutefois un bémol:  Sarah Capony a choisi de jouer elle-même le rôle de Lynn mais elle n’y est pas toujours très à l’aise, surtout au début où on la sent tendue, et où sa diction s’en ressent. Mais cela dit, c’est un travail de grande qualité.
Femme de chambre a été lauréat du Prix Théâtre 13 et c’est justice.

Philippe du Vignal

Le spectacle s’est joué au Théâtre 13/Seine  jusqu’au  24 mars. et sera joué le 19 mai à 20h30 à la maison du théâtre et de la danse d’Epinay-sur-Seine.

L’orage

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L’Orage d’August Strindberg, mise en scène de Jacques Osinski.

Jacques Osinski propose une vision épurée de cette première pièce du Théâtre intime (un théâtre de chambre, tel que le défendait Max Reinhardt en Allemagne) qu’il opposait,  à la fin de sa vie, au naturalisme de ses débuts. Selon le traducteur René Zahnd, c’est la rencontre entre le dramaturge et August Falk qui a provoqué la naissance à Stockholm du Théâtre intime, en 1907, une salle qui lui permet enfin d’appliquer sa propre vision de l’art dramatique.Pour Strindberg, le Théâtre intime consiste en effet à développer dans le drame un sujet chargé de signification : » Nous évitons les expédients, les sujets faciles, les morceaux de bravoure, les numéros pour vedettes ». Ce qui lui importe plutôt, c’est la « lutte des cerveaux » ou le « meurtre psychologique » dont il a déjà fait l’expérience avec Mademoiselle Julie,et Danse de mort.
Avant les autres pièces de chambre comme Maison brûlée, La Sonate des spectres et Le Pélican, Orage est une grande œuvre  sur le temps. Ne pas souligner mais suggérer, c’est la manière même du théâtre privilégiée par Jacques Osinski, directeur du Centre dramatique national des Alpes à Grenoble. L’intrigue d’Orage, écrite en 1907, qui correspond singulièrement – mais non !- à la vie de l’auteur et à ses soucis matrimoniaux, s’inspire en effet des relations tumultueuses qu’il eut sa troisième femme, la comédienne Harriet Bosse. Bien plus âgé, il se maria avec elle en 1902 ; ils eurent un enfant puis divorcèrent en 1904, avant de connaître une période de retrouvailles puis de ruptures qui s’acheva avec le remariage de la comédienne.
Dans la pièce, Monsieur (Jean-Claude Frissung) est un double théâtral de Strindberg, avec la dimension poétique de la fiction… Âgé, il vit seul dans un  appartement à l’entresol, dont s’occupe Louise,une jeune parente à son service, (Alice Le Strat). Son frère Axel (Michel Kullmann), le Procureur,  qui séjourne à la campagne pour l’été, lui tient régulièrement compagnie.

 Starck, le pâtissier (Baptiste Roussillon) parle volontiers avec Monsieur  de la maladie des yeux de sa femme, et de son commerce qui décline. Ils s’entretiennent aussi de la vie de leur immeuble où ont emménagé au premier étage d’étranges voisins aux habitudes nocturnes. Ne serait-ce pas son ex-épouse Gerda (Grétel Delattre) et sa fille, la première apparemment remariée avec un homme douteux ?
Voilà « la paix de la vieillesse », leitmotiv salvateur de Monsieur, en passe d’être bousculé! Monsieur, en effet,  a quitté sa jeune femme avant qu’elle ne le quitte : la vie conjugale était devenu un enfer. Il préfère vivre à présent avec ses seuls bons souvenirs, sans haine et sans rancœur et estime avoir gardé son honneur dans cette affaire. Il aime à contempler la lune par une belle nuit estivale, ou un orage qui s’annonce, avec des éclairs, en se promenant en ville avec son frère.
Le repos et la sagesse s’obtiennent à ce prix, même par  une très chaude soirée, en écoutant le pâtissier parler fraises, framboises, cerises et autres fruits aux belles couleurs qu’il prépare pour ses confitures. De son côté, Monsieur, lui, s’occupe de ses fleurs et résiste fièrement à toute effraction dans son intimité.
Jacques Osinski a mis l’accent, dans sa mise en scène, sur l’écoulement du temps : le silence est roi, et chacun peut deviner les pensées ou les images qui surgissent dans l’esprit du personnage.
Imaginée par Christophe Ouvrard, il y  a une salle à manger où l’on voit Monsieur, lisant son journal ou jouant aux échecs, derrière les baies vitrées. Comme dans un film, la vie est ici restituée, proche et lointaine à la fois,  pour le public voyeur malgré lui.
Dans ce dedans/dehors, il y a plusieurs degrés de représentation, comme si, chacun, replié à l’intérieur de la maison et de soi, venait respirer en s’ouvrant à une dimension autre de la vie, et se livrer à un commentaire sur le dur métier d’exister. Malgré une grande solitude et l’abandon…
Un travail raffiné de Jacques Osinski sur l’attente, le temps suspendu et le sentiment vivant de l’existence.

Véronique Hotte

Jusqu’au au 23 mars à la MC2 de  Grenoble. Et du 14 novembre au 15 décembre au Théâtre de la Tempête– Cartoucherie de Vincennes.

L’Oral et Hardi

L’Oral et Hardi, textes de Jean-Pierre Verheggen, par Jacques Bonnafé.

Publié par les éditions Camino Verde, ce livre accompagné d’un CD permet de lire et surtout d’entendre, par la voix  de Jacques Bonnafé, quelques-uns des textes de ce merveilleux écrivain  belge, qui a fait de la parodie, matière à poésie, en n’hésitant pas à  dénoncer les stéréotypes du langage français depuis  sa wallonie natale. C’est aussi brillant que pulpeux,  et fascinant pour un comédien qui veut bien s’emparer de cet incroyable cocktail où les mots et les sonorités se bousculent dans un joyeux  tohu-bohu.
 En 2009, L’Oral et Hardi, donc merveilleusement mis en scène et interprété  par Jacques Bonnafé, fut  récompensé par un Molière.  Et l’acteur a raison de dire que » l’on peut écrire ce que l’on veut sur l’œuvre de Jean-Pierre Verheggen, qu’elle est grandiose, unique, féconde ou fondatrice, provocante, réjouissante, inégalable, publiée, consultée et reconnue par tous les grands lecteurs de poésie contemporaine ou les vrais amateurs d’art, il reste toujours à la faire  entendre. la livre en scène. Crue et et physique ».
Bonnafé s’en donne à cœur joie, et lance, avec une diction et une précision impeccables dans l’art de dire,  ces discours et textes délirants comme, entre autres,  ce Manifeste cochon ou ces Discours officiels ou encore Cafougnette à Ostende que l’acteur sait faire partager avec beaucoup de gourmandise et de jubilation. C’est à chaque fois différent mais ces dix-sept petits textes savoureux, enregistrés pendant des représentations, sont autant de moments d’anthologie. Et, c’est assez rare pour être souligné, l’oralité et la scène,  avec ce que cela suppose de dépense physique chez le comédien, donne une superbe dimension à cette poésie où la langue française est à l’honneur.

Philippe du Vignal

Camino Verde . 20€

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Sam de Jean Martin

Sam de Jean Martin, avec des dessins de Jean-Paul Chambas.

C’est un petit objet précieux, de format carte postale,   composé de dix cahiers de quatre pages chacun avec quelques très beaux dessins de Jean-Paul Chambas. Jean Martin? Un nom qui ne dira rien à la plupart de nos lecteurs… Jean Martin-disparu il y a  trois ans- raconte sobrement  LE moment de sa vie,  en quelques pages…Quelle aventure  En 1953,  jeune  acteur de trente ans qui n’avait pas trop d’engagements, reçoit un jour de Roger  Blin   un pneumatique pour lui  demander de remplacer Pierre Louki dans un rôle qu’il ne pouvait tenir…. Jean Martin se rendit évidemment très vite dans le  petit théâtre de Babylone aujourd’hui disparu dans la cour du 38 Boulevard Raspail, tout près de la station Sèvres-Babylone. Roger Blin, le metteur en scène de la pièce lui dit:  « Ah! Enfin! On a besoin de toi. Je te présente l’auteur. Et Jean Martin de préciser:  » L’homme aux lunettes tira de de sa gorge une raucité  moqueuse et réprobatrice en se tournant vers moi. Je n’oublierai jamais l’impression qu’il me fit, ni son œil, ni son allure ».
 Le rôle: Lucky? La pièce: En attendant Godot! A quoi tient parfois un destin de théâtre!
C’est une histoire comme rêveraient d’en vivre des milliers de jeunes comédiens.. Jean Martin deviendra ensuite un ami intime de Sam, comme il dit, et de son épouse. Quatre ans après Godot, il jouera aussi Clov dans Fin de partie du même Beckett, et ensuite, un peu partout: Ionesco, Vauthier,  Pinget, Brecht, Ribes mais aussi Shakespeare, Claudel, Tchekov avec Roger Blin, Jean-Marie Serreau, Jean-Louis Barrault, Christian Benedetti, Brigitte Jaques, et dans une cinquantaine de films, entre autres:  La Bataille d’Alger  de Gilles Pontecorvo et dans Les Compagnons de Baal de Jacques Champreux et Pierre Prévert en 68.

Philippe du Vignal

Archimbaud éditeur

La Place royale

La Place royale de Pierre Corneille,  mise en scène, décor et costumes d’Eric Vigner, film de Julien Condemine.

La Place royale cdi002_3dPièce de jeunesse de Corneille -il avait 28 ans- La Place Royale parle évidemment… de la jeunesse. Alidor est  amoureux d’Angélique, mais n’envisage pas de se marier avec elle, ce qui signifierait la perte de sa liberté. Angélique est aussi amoureuse mais finit  par en avoir assez des intrigues d’Alidor et  quittera la vie mondaine par entrer au couvent…Éric Vigner a remis en scène,  en 2011, cette même comédie écrite avec intelligence et sensibilité par le futur auteur tragique que Corneille n’était pas encore.
Vigner avait déjà créé la pièce  en 86, quand il était encore au Conservatoire national. Il a choisi cette fois  sept  jeunes interprètes,  entre vingt et trente ans et  tous  de pays différents: Vlad Chirita, Lahcen Elmazouzi, Eye Haidara, Hyunjoo Lee, Tommy Milliot, Nico Rogner, Isaïe Sultan pour lesquels Éric Vigner a créé l’Académie au Centre dramatique de Lorient.  Anne-Laure Liégeois s’était  emparée de cette pièce cette année,  en la situant dans un bal-parquet  des campagnes (voir Le Théâtre du Blog)
Ce DVD essaye de retranscrire fidèlement une mise en scène que nous n’avions pu voir, et pour laquelle Vigner, dit-il, s’est appuyé sur un texte d’Octave Nadal, excellent  spécialiste de Corneille et prof à la Sorbonne dont nous gardons un bon souvenir. Eric Vigner a  voulu « inscrire la pièce dans une socialité plus précise et plus contemporaine, ce qui permettra aux discours exposées d’être mieux entendus, par contraste, tout en faisant résonner cette langue admirable ».
On veut bien… Mais, dans cette mise en scène, il y a du bon et… du vraiment pas très bon. A la fois, un côté décalé-par exemple, juste des plaques de verre montés sur des cubes en bois-on voit que Vigner  a suivi des études d’art plastique- que les comédiens déplacent eux-même suivant les besoins  et un rupture avec une mise en scène classique jusqu’au décapage, et une idée  intelligente: faire appel à de jeunes comédiens étrangers pour renouveler le langage cornélien. Comme ils sont tous jeunes et beaux, cela fait comme un appel d’air tout à fait bénéfique.
Mais cela dit, ensuite, le résultat n’est pas tout à fait à la hauteur: on veut bien admettre que qu’Eric Vigner, ait aussi choisi de dessiner les costumes qui sont malheureusement presque tous d’une rare prétention et d’une cacophonie terrifiante: les filles et garçons, sont  en pantalons étroits aux couleurs blanche, verte, voire jaune et violette, avec des paillettes un peu partout. Sans  doute pour dire la jeunesse dorée?  Avec, au sol, un tapis composé de triangles noirs, rouges, jaunes et blancs! Sans doute, pour dire la modernité? Tous aux abris!
Les jeunes comédiens sont  très à l’aise devant la caméra mais certains ont un accent prononcé et une diction approximative, ce qui est quand même ennuyeux quand on dit du Corneille, et,  comme la prise de son est loin d’être excellente, on n’écoute pas d’une oreille attentive un jeu quelque peu superficiel,  comme si ces jeunes acteurs n’osaient pas aller plus loin. Du coup, le texte passe à la trappe! Dommage! Mais on regarde avec plaisir le danses réglées par Béatrice Massin. On préfère nettement voir La Place royale,  mise en scène de  Brigitte Jaques (92), dans le film réalisé par Benoît Jaquot …
Ce fils du spectacle fait trop souvent penser à un exercice d’acteurs qu’il aurait dû rester!

Philippe du Vignal

DVD édité par La Compagnie des Indes et le CDBB-Théâtre de Lorient-Centre Dramatique National

Oh! Les beaux jours

Oh! Les beaux jours de Samuel Beckett, mise en scène de Marc Paquien.

Oh les beaux jours (Happy Days): la pièce en deux petits actes et  à deux personnages,  fut écrite et publiée  en anglais (Grove Press 1961); elle fut  créée à  New York en 61. Puis  Beckett en écrit une version française en 62, qui fut jouée en 63 à la Biennale de Venise par Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault  puis reprise à l’Odéon, toujours dans la  mise en scène de Roger Blin qui avait créé Godot huit ans plus tôt. Jouée très souvent ensuite par Madeleine Renaud, puis un peu partout en France et dans le monde, ce monologue d’une heure exige une interprète de tout premier ordre. On avait vu ainsi Fiona Shaw à Chaillot dirigée par  Deborah Warner puis Adriana Asti mise en scène par Bob Wilson en 2010 (voir Le Théâtre du Blog).
 Marc Paquien avait réalisé cette mise en scène à La Rochelle puis à la Scène nationale de Sète/Le Chai Scalli et le spectacle avait été repris au Théâtre de la Madeleine l’an passé avec Catherine Frot.   »Dans une étendue désertique d’herbe brûlée,  se dresse un petit mamelon aux pentes douces dans lequel Winnie est enterrée, d’abord jusqu’au-dessus de la taille. Winnie se souvient qu’en la voyant, un passant s’était demandé : «  À quoi ça rime ? … fourrée jusqu’aux nénés dans le pissenlit… ça signifie quoi ? ”

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©Pascal Victor

 Effectivement,au premier acte, on ne voit de Winnie que le buste,  et au second,  plus que la tête.  Son mari,  pas très loin d’elle,  prononcera juste quelques mots. Elle ,  près d’elle et à portée de main, une ombrelle et son fameux cabas en toile plastifiée noire des années 50, qui est presque devenu un objet fétiche du théâtre contemporain,  où elle a entassé un tas de petits objets dérisoires, dont une brosse à dents, qui font partie de son être intime, fétiches et talismans de sa mémoire. A moitié enterrée, Winnie subit souffrances et décrépitude mais refuse  de sombrer dans ce qu’elle appelle dans une belle formule  » les bouillons de la mélancolie »  et possède une volonté inébranlable de dignité. “ Tiens-toi, Winnie ”, se dit-elle, “ Advienne que pourra, tiens-toi. ” Elle est sans doute presque à la fin de sa vie mais, comme une petite fille, elle trouve tout merveilleux et ne cesse de répéter:  » Oh! quel beau jour! »
Catherine Frot a peut-être l’âge du rôle, bien quelle n’ait pas encore celui de Madeleine Renaud quand elle l’a créé (63 ans)-prenez votre calculette théâtrale-mais, comme elle en parait allègrement vingt de moins, cela fait un peu  drôle de la voir toujours aussi jeune, jouer la plus très jeune Winnie, alors qu’on la connaît depuis trente ans,  après avoir joué aussi bien Ibsen, Tchekov que  des auteurs contemporains, avec cette voix légèrement acidulée et cet inimitable côté espiègle qui n’appartient qu’à elle, drôle et émouvante à la fois, dans la coquetterie à deux sous de Winnie. On la voit depuis quelque temps moins sur les scènes,  et davantage au cinéma mais c’est un beau cadeau qu’elle fait au théâtre français .
Et il y a un sacré silence  dans la salle quand elle se met à chanter L’Heure exquise! Elle atteint souvent le sublime dans ce soliloque pas facile à jouer et  qui demande une concentration et une diction exceptionnelle pour que le personnage de Winnie puisées être crédible. A côté d’elle, Jean-Claude Durand, dans le rôle un peu ingrat de mari obéissant, est tout aussi impeccable. Comme la mise en scène,  la direction d’acteurs de Marc Pacquien sont  aussi de premier ordre,  et  la scénographie de Gérard Didier qui a imaginé un rocher gris en plis, le spectacle remporte un beau succès et a de… beaux jours devant lui. Même si les places sont un peu chères, vous ne regretterez pas d’être monté jusqu’au Théâtre de l’Atelier, d’autant plus qu’en prime,  vous aurez droit au bon et généreux sourire de Charles Dullin dont la photo reste accrochée dans le hall.

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Atelier.

Le texte de la pièce suivi de Pas moi (1963) est édité aux Editions de Minuit 1963;  96 pages 6,50 €







Cahiers Jean Vilar n° 114 Spécial Gérard Philipe

Cahiers Jean Vilar n° 114 Spécial Gérard Philipe.

Cahiers Jean Vilar n° 114 Spécial Gérard Philipe 165874_10150975949182825_1846313731_nC’est, comme disent Jacques Téphany et Rodolphe Fouano dans l’éditorial, un cahier qui reprend un certain nombre d’articles consacrés à au comédien dans un numéro paru à l’occasion du 50 ème anniversaire de sa disparition. Gérard Philipe: on a du mal aujourd’hui à se représenter ce que fut  » cette icône pour toutes les saisons », « qui incarna une France ressuscitée » et qui brûla sa courte vie.
Déjà acteur, à peine sorti du Conservatoire, au théâtre avec Caligula puis au cinéma  avec Fanfan la Tulipe, il  fut ensuite l’un des piliers du Théâtre National Populaire, sous la houlette de Jean Vilar où il avait trouvé une famille artistique. Même s’il s’en éloigna pendant deux saisons… Jouant aussi bien le fils de Mère Courage, le Prince de Hombourg ou enfin le Cid, dont il portera le costume jusque dans son cercueil. Comédiens des plus travailleurs mais aussi des plus espiègles, capable sur le toit de Chaillot, avec ses camarades d’asperger d’eau ses admiratrices qui attendaient un autographe sur le trottoir… Ou comme le raconte Christiane Minazzoli, sa camarade du T.N.P., de monter sur les tables dans les restaurants, de sauter par les fenêtres ou de chanter à tue-tête.

Perdican/ Le Cid/ Lorenzaccio / Le Prince de Hombourg aurait 91 ans et son épouse Anne est décédée, il y a déjà plus de vingt ans comme Jean Vilar… C’est tout un monde disparu et pourtant encore si proche ,pour ceux qui, comme nous, qui l’avons connu, adolescent passionné de théâtre.
Nous nous souvenons encore de la manchette de France-Soir annonçant son décès, rue de Tournon où il habitait le 25 novembre 59, à la suite d’un cancer foudroyant. Les gens dans la rue, abasourdis, retenant leurs larmes, ne parlaient que de cela! Nous nous souvenons aussi de Jean Vilar, qui avait dix ans de plus que lui, prononçant à Chaillot quelques mots en son honneur:  » La mort a frappé haut. Elle a fauché celui-là même qui pour des millions d’adolescents exprimait la vie. Il reste à jamais gravé dans notre mémoire. Cependant il nous faut continuer: c’est une loi de notre métier, de son métier ».
A lire sa biographie, on se demande comment il avait pu faire autant de choses dans une aussi si courte vie, puisqu’il ne fêta jamais son trente-septième anniversaire! Comédien au théâtre puis très vite au cinéma, en seize ans de carrière seulement, Gérard Philipe aura enchaîné tournages (par exemple au Mexique avec Bunuel, avant d’aller applaudir Laurence Olivier à Straford-sur-Avon), répétitions, tournées en France et à l’étranger (Chine, etc…)avec le T.N.P. , responsabilités syndicales. Comme s’il craignait de ne pas suffisamment remplir sa vie…
Il y a beaucoup de très bonnes choses dans ce numéro spécial, tout à fait passionnant, dans ce qu’il révèle à la fois de l’existence d’un homme, dont le visage fascine encore ceux qui ne l’ont jamais vu mais aussi d’une époque. En particulier, un long et bel article du metteur en scène Jacques Lassalle, un autre de Roland Monod et celui de son gendre, Jérôme Garcin. Mais aussi l’intégralité des lettres échangées de 51 à 59, entre Jean Vilar et Gérard Philipe, réunies par Roland Monod et une série de photos mythiques comme celle, bien connue mais toujours aussi magnifique, de la couverture qui dit tout, de son amitié et de sa confiance envers le directeur du T.N.P.
Paradoxalement, alors que l’on peut encore voir tous ses films, il reste très peu de témoignages filmés de son aventure théâtrale sans laquelle le T.N.P. n’aurait pas été ce qu’il a été et sans lequel Gérard Philippe n’aura pas été non plus l’acteur de théâtre qu’il aura été. Il y eu entre autres 99 représentations de Lorenzaccio! Ce numéro spécial-et ce n’est pas une illusion d’optique-contribue grandement à faire mieux connaître cet homme dont la vie aura été bien courte mais tellement dense…

Philippe du Vignal

Cahiers Jean Vilar n° 114. Prix: 7, 5 €.

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