La Maison d’os
La Maison d’os
De Roland Dubillard
Mise en scène Anne-Laure Liègeois
Tandis que la maison s’écroule, n’est que failles, fuites et décombres, ils gravitent autour du Maître dans un ballet incessant, répondant à ses désirs, ses foucades, en but à ses réprimandes et ses sanctions. Les valets V1, V2, V3, etc…ne correspondent pas à un personnage en particulier, mais sont nommés d’après leur ordre d’entrée en scène. Ils sont une quarantaine dans la pièce, ici quatre comédiens se déploient en tous sens, émergent de l’ombre qui bientôt les engloutit, endossant livrées et autres costumes. Ils se battent pour savoir par quel bout prendre l’aspirateur, comment cirer une cascade de chaussures, commentent et papotes ou ils se métamorphosent en prêtre ou en médecin.
En haut de l’escalier monumental qui occupe la scène, le vieil homme, tel un dieu moribond apparaît enfin ; il râle, se désespère ou s’anime pour mieux sombrer. Sait qu’à l’horloge de sa vie «le premier coup sonnait déjà la douzaine». Veut cependant posséder sa maison dont «les murs sont faits de regards pétrifiés». Souhaite la connaître à la fois du dehors et du dedans, comme il souhaite désespérément capturer un corps et une mémoire défaillants, à l’image de sa demeure.
Créée en 1962 au théâtre de Lutèce à Paris, éditée en 1966, composée de quatre-vingt une séquences plus ou moins longues, juxtaposées de manière aléatoire, la Maison d’os est un défi pour le metteur en scène. « Ce n’est pas à l’auteur de décider, d’imposer, de savoir ce qu’il faut faire. C’est à l’œuvre de trouver son sujet et ses lois », précise Dubillard. Pour lui, « les scènes se succèdent ici dans un ordre que l’auteur n’impose pas au metteur en scène » et il préconise le moins de comédiens possible pour jouer les domestiques. Aucune mise en scène depuis sa création ne compte le même nombre de scènes, le même ordre, ni le même nombre de comédiens, avec l’accord de Dubillard, qui a joué le Maître dans les deux premières versions avec une dizaine de comédiens (celle de Arlette Reinerg en 1962 et celle de Jacques Seiler en 1972 au Studio des Champs-Elysées)
A son tour, Anne-Laure Liégeois use de la liberté qui lui est accordée pour explorer cette pièce foisonnante qui tente de tout englober et toujours se dérobe. Elle en profite pour fouiller la demeure aux recoins obscurs, métaphore de l’œuvre théâtrale dont l’auteur serait le Maitre. Elle transforme en cabinet de curiosités cette maison insolite bruissant de sons évocateurs, finement orchestrés par François Leymarie, où parfois surgissent des objets hétéroclites : horloges, autel de la Vierge, buche, animaux empaillés, crâne et ossements … à l’image des vanités.
D’emblée on est séduit par le langage de Dubillard : les dialogues brillants et la langue qui s’embrouille tant elle essaye de saisir l’insaisissable avec des calembours du genre : «Faut pas vous en faire tout un dromadaire » et aussi des réflexions plus amères telles que : «On n’a pas besoin d’un médecin pour mourir.» ou « La tête s’en va. Pour aller où ? » Les domestiques (Sharif Andoura, Sébastien Bravard, Olivier Dutilloy et Agnès Pontier) sont d’une rare efficacité tandis que Pierre Richard campe un maître plus évanescent que tyrannique. Comme désincarné déjà, il joue dans un tout autre registre. Sa voix enregistrée renforce l’irréalité de sa présence et, dans ce temps suspendu, le spectacle n’y gagne pas de l’épaisseur : il perd en teneur et en rythme. Tirant la pièce vers une joyeuse amertume que souligne la fanfare finale en forme de danse macabre, la metteure en scène a peut être un peu négligé le fait que l’art de Dubillard c’est surtout la rapidité et la fulgurance. La pièce est de toutes façons à découvrir sous l’éclairage de la mélancolie.
Mireille Davidovici
29 mars- 11 mai
Théâtre du Rond Point : 01 44 95 98 21
14 et 15 mai 2013
Scène Nationale de Cavaillon : 04 90 78 64 64
17 et 18 mai 2013
Théâtre Communautaire d’Antibes
21 – 23 mai 2013
Nouveau Théâtre d’Angers / CDN des Pays de la Loire : 02 44 01 22 44
25 mai 2013
Le Carré, Scène nationale / Château-Gontier : 02 43 09 21 50
28 et 29 mai 2013
La Comète / Scène nationale de Châlons-en-Champagne : 03 26 69 50 80
8 – 19 juin 2013
Théâtre des Célestins / Lyon : 04 72 77 40 00