Le Parloir
Le Parloir de Pépito Matéo, mise en scène d’Olivier Vandeputte
Le plateau est de si petite dimension que l’acteur est vraiment en prison, et le spectateur serait son compagnon de cellule. Les yeux dans les yeux, donc, il raconte l’enfermement, la difficulté de coller avec la réalité, les cauchemars, le lieu de l’isolement et de la solitude.
Seul en scène, le raconteur (Olivier Segura) esquisse quelques portraits de ses voisins de cellule : Neto et ses oiseaux voyageurs qu’il envoie en mission, métaphore de liberté par excellence ; Eddy le tatoué, l‘esprit en labyrinthe ; Abdel, l’écrivain public, qui enfile son costar comme s’il allait en boîte, et qui écoute la chanteuse à tue-tête, perchée sur l’abribus, de l’autre côté du mur ; Gilot, l’homme au morceau de miroir, qui dessine des rais de lumière, dans les couloirs et tente, à l’aide de son rétroviseur, de regarder les arbres. Il donne, en peintre impressionniste, l’ambiance, la dépression, les violences nocturnes, la sexualité forcée, la fabrication des rumeurs, le gardien menteur, et celui qui est là depuis plus de trente ans, le spécialiste de la chaise électrique, la tentative de suicide avec le sang qui pisse, et l’antidote à tout, la camisole chimique.
Il dépeint les actes de la vie quotidienne : la promenade, la cuisine, les ateliers dits d’expression, cantiner, car tout se monnaie, se troque et s’échange, et il parle du temps qui s’étire, «comme un élastique».
Il pointe le vocabulaire: procédure, accusé, avocat, écrou, etc, et la compagnie des cafards. Le parloir donne l’espoir aux détenus: les familles, les bras pleins de cabas et après un piquet d’attente sur le trottoir, rencontrent chacune, leur détenu, et tentent de lui parler, délicat moment où le fils rend visite à son père ou l’inverse, sans trop savoir que lui dire. Pourvu que quelqu’un t’attende à la sortie, quand sortie, il y aura !
Il y a l’arrestation de la fille de Simone, le mouvement des nouveaux arrivants, la recherche d’objectifs allant jusqu’à soigner les mulots, le son de l’eau, libre, qu’on guette, dans les canalisations ; mal-être, règlements de compte, peurs de la nuit, et rêves qui s’écroulent, jusqu’à la folie.
Ainsi va le récit, écrit par Pépito Matéo, qui a mené des ateliers à la Maison du Conte, en même temps qu’il travaillait sur l’oralité, au sein de la prison, en prise directe avec l’expérience des détenus : « J’avais surtout envie, dit-il, de montrer l’humanité des gens qui sont en prison, en mettant au centre la question du conteur ». Olivier Vandeputte, metteur en scène et directeur de la Compagnie Le Palindrome, oscille, dans sa direction d’acteurs , entre conte et théâtralisation.
Le spectateur apostrophé ne reçoit pas, du coup, l’intensité qu’il espère; faute de précision et d’un peu de distance, l’acteur semble flotter de l’un à l’autre. Dans un petit coin rétréci, hors cellule, un guitariste, Nicolas Mazzola, l’accompagne, jouant la musique composée par Ruben, spécialiste de guitare jazz et bossa nova, dont il a fait les arrangements. Des sons mixés aident aussi à l’identification de l’univers carcéral (Michaël Constant/PixelProd), complétés d’éclairages en ombres et lumières (Marie-Laure Rocher).
« Mais l’évidence de la prison se fonde aussi sur son rôle, supposé ou exigé, d’appareil à transformer les individus. Comment la prison ne serait-elle pas immédiatement acceptée? Elle ne fait, en enfermant, en redressant, en rendant docile, que reproduire, quitte à les accentuer un peu, tous les mécanismes du corps social ? La prison : une caserne un peu stricte, une école sans indulgence, un sombre atelier, mais, à la limite, rien de qualitativement différent », dit Michel Foucault dans Surveiller et punir, un ouvrage qui fait référence.
Reste, avec Le Parloir , une entreprise généreuse et la force d’un témoignage et restent tous les Abdel du monde, rendez-vous : station Liberté, comme dans le texte.
Brigitte Rémer
Théâtre du Temps, 9 rue du Morvan, 75011 Paris , jusqu’au 14 avril, tous les samedis à 17h et dimanches à 16h. T : 06-18-93-64-01 (www.lepalindrome.blogspot.com)
Le texte est édité chez Paradox (ww.editionsparadox.com)