Fractures ( strangers, babies), mise en scène de Stuart Seide.
Linda Mc Lean, née à Galsgow a beaucoup écrit depuis 94 pour le théâtre et la radio; elle est l’auteur d’une vingtaine de pièces qui ont été jouées en Europe et aux Etats-Unis et qui ont fait l’objet de lectures. Mais c’est la première fois qu’un de ses textes est monté en France.
Fractures n’est pas un monologue, même si le personnage central est une jeune femme qui parle tout le temps, confrontée au regard et à la parole de cinq hommes qu’elle rencontre successivement et qui sont ou ont été tous été proches d’elle à un moment de sa vie.
Il y a d’abord Dan, son mari, qui se préoccupe beaucoup d’elle, trop sans doute. Puis, Duncan, son père ,vieil homme hospitalisé, près de la mort et accroché à sa pompe à morphine, à qui elle a beaucoup de reproches à faire. Roy, un futur amant qu’elle retrouve dans une chambre d’hôtel, après l’avoir rencontré sur Internet. Et ensuite Denis, son frère avec lequel elle a des relations quelque peu tendues, et enfin un assistant social venu vérifier qu’elle s’occupe bien de son bébé. Ces longues scènes sont assez grinçantes et il n’y a pas beaucoup d’humour…
L’arrivée de chaque homme agit en effet comme une sorte de révélateur qui permet de découvrir la personnalité pour le moins assez trouble de la jeune femme qui semble s’être rendu coupable de quelque chose de grave dans son enfance ou son adolescence- dont on ne saura finalement jamais rien mais qui a eu des conséquences désatreuses sur sa vie personnelle.
Les dialogues tricotés par Linda Mc Lean sont aussi habiles que denses; la jeune femme ne s’explique jamais, même si elle parle beaucoup et parfois avec une certaine maladresse, révélatrice de son mal-être. Et, comme le dit Stuart Seide, « mettre en scène cette œuvre consiste essentiellement à explorer les relations humaines et à examiner les effets sur le présent d’un acte antérieur ». C’est, comme d’habitude chez lui, une réalisation extrêmement rigoureuse dans la direction d’acteurs et Stuart Seide réussit à faire sentir tout le poids d’un passé qui ne cesse de remonter à a la surface de la vie de May.
« Le passé me tourmente et je crains l’avenir », écrivait déjà le grand Corneille dans Le Cid… Un plateau nu et gris à l’éclairage assez glauque d’une verrière qui entoure la scène. Juste quelques meubles et indispensables accessoires: un lit qui se transforme en banquette et des chaises dessinés par Philippe Marioge.
Avant l’apparition de chaque homme, May, aidée par une costumière, change de vêtements à vue. C’est Sophie-Aude Picon qui joue May. La jeune actrice, avec une gestuelle et une diction impeccables, assume ce rôle écrasant avec beaucoup de solidité. Les cinq hommes ( Eric Castex, Stuart Seide, absolument remarquable dans le rôle du père hospitalisé, Maxime Guyon, Jonathan Heckel et Bernard Ferreira lui renvoient la balle dans ce match avec efficacité.
La pièce n’a sans doute rien d’éblouissant mais est habilement construite. Même si elle a quelque chose d’un peu sec et démonstratif, elle fait penser, aux meilleurs moments, à certains dialogues de Pinter qui a sans doute influencé Linda Mc Lean.
A voir? Oui, pour découvrir un nouvel auteur et surtout une jeune et remarquable comédienne.
Philippe du Vignal
Théâtre Ouvert jusqu’au 13 avril.