On ne paie pas, on ne paie pas! de Dario Fo, version française de Toni Cecchinato et Nicole Colchat, mise en scène de Joan Mompart.
C’est avec Non paga! Non paga! qu’en 74, Dario Fo et son épouse Franca Rame avaient inauguré leur théâtre à Milan. La pièce connut très vite le succès et les Italiens apprécièrent l’anticonformisme et l’engagement social de celui qui devait à plusieurs reprise connaître des démêlés avec la justice de son pays mais aussi avec le Vatican., toujours prêt à donner des leçons de morale sociale, surtout en Italie où il occupait à l’époque une place prépondérante sur l’échiquier politique.. Mais Dario Fo devait recevoir en 97 le, prix Nobel de Littérature, et pan sur le bec du Vatican!
On ne paie pas! On ne paie pas! avait été très bien monté par Jacques Nichet en 2007. Trente neuf ans plus tard, après sa création quand de nombreux italiens vivaient encore dans un état voisin de la misère, il était tentant d’aller voir ce que cette farce politique, inspirée par les luttes des quartiers ouvriers en Italie juste après 68, était encore actuelle. Hélas, oui! A l’heure de la démondialisation, des fermetures d’usines et du chômage en Europe, et des cahuzaqueries en tout genre…Il y eut d’autres luttes et pas seulement en Italie, comme pendant l’été 2012, en Andalousie, des femmes et des hommes remplirent de nourriture une dizaine de caddies dans un super-marché pour aller la redistribuer à des familles qui en avaient un besoin urgent…
Joan Mompart , compagnon de route d’Omar Porras , comédien et metteur en scène suisse, s’est emparé de la pièce et en a réalisé une adaptation qui fait parfois davantage référence à notre monde qui ne tourne toujours pas rond et où les pauvres sont de plus en plus pauvres. La fable initiale: une femme Antonia qui n’arrive plus à payer son loyer ni le gaz ni l’électricité se joint à d’autres pour aller piller un super-marché. Son amie Margherita est plus timorée, a toujours peur que les ennuis n’arrivent. Une fois les provisions rapportées à la maison, ils s’agit de les soustraire au regard de son mari Giovanni, lui, très respectueux de la loi et qui prône l’ordre et la sécurité.
Antonia, va alors s’embourber sans des mensonges de plus en plus invraisemblables, jusqu’à lui faire croire que son amie est réellement enceinte, alors que son ventre très arrondi dissimule de la nourriture volée. Antonia, jamais à bout d‘arguments frappés au coin de la mauvaise foi la plus absolue, devra aussi faire face aux perquisitions du brigadier de police avec lequel son mari sympathisera…
On ne saura jamais si Giovanni est sincère mais il croit longtemps aux mystifications concoctées par sa femme. Jusqu’au grand déballage final où les deux maris, dans un renversement des plus farcesques, avouent qu’ils ont eux aussi soustrait de la nourriture avant de la dissimuler dans un cercueil… Comme l’indique Joan Bompart, la version de 74, Giovanni revendiquait à la fin: “ Un monde où l’on serait même contents de travailler… comme des êtres humains, des hommes et des femmes, et non comme des bêtes abruties, sans joie et sans imagination”.
En 2007, ce n’est plus lui qui est le porte-parole de l’espérance mais son épouse: Dario Fo, qui a en effet changé un peu la fin, fait dire à Margherita : “Si on ne relève pas la tête, si on ne reprend pas courage, on va se diluer petit à petit dans la peinture, comme une antique pièce de musée”.
On ne paie pas , on ne paie pas! n’a rien perdu de sa virulence et les meilleurs scènes de cette farce politique, contemporaine des films engagés d’Elio Petri, de Francesco Rosi ou de Bernardo Bertolucci (dont une photo projetée de son film 1900 clôt le spectacle, sont toujours aussi impressionnantes et révélatrices d’un savoir-faire théâtral en matière de scénario et de dialogue acquis au gré de nombreuses représentations en milieu populaire. Dario Fo ne se prive même pas de faire du théâtre dans le théâtre et les acteurs, parfois, avec toute l’énergie du jeu, expliquent au public très complice, qu’ils doivent aussi interpréter un autre personnage!
Reste à mettre en scène et à jouer cette farce qui, construite sur une base réaliste, tourne vite au délire fantastique. Et là, Joan Mompart ne sait pas vraiment faire; les comédiens désolé-du moins tels qu’ils ont été dirigés-n’ont la dimension requise pour jouer ce type de spectacle qui devrait être une farce d’une rare violence, où l’expression du corps est essentielle. Brigitte Rosset (Antonia), surtout au début où elle boule son texte que l’on arrive à peine à comprendre, navigue à vue, comme ses camarades, et c’est d’autant plus ennuyeux qu’elle est le pivot de la pièce.
La faute à quoi? Probablement et surtout à un manque de rythme dans la mise en scène -essentiel dans le comique-(voir Keaton, Laurel et Hardy, ou Chaplin), et à une direction d’acteurs pas trop insuffisante.
La scénographie est au départ assez séduisante, avec l’image en fond de plateau, d’une barre sordide de H.L.M. et ses meubles amenés sur des rails coulissants. C’est de la belle mécanique mais quand tout, à la fin, les meubles comme le plateau, se mettent à osciller, on se dit que l’univers de Dario Fo n’avait pas besoin de tout cela pour fonctionner.
Cela dit, on rit souvent, et le public ne boude pas son plaisir, parce que l’invention verbale de Dario Fo arrive quand même à passer mais cette mise en scène nous laisse vraiment sur notre faim…
Philippe du Vignal
Théâtre 71, Malakoff jusqu’au 15 avril. T: 01-55-48-91-00