Torquato Tasso
Torquato Tasso, de Johann Wolfgang von Goethe, texte français de Bruno Bayen, mise en scène de Guillaume Delaveau.
Le plus grand poète de son temps, pilier de la littérature et de la langue italienne, enjeu de luttes de pouvoir entre les princes, emprisonné, interné : Torquato Tasso (dit Le Tasse), auteur de La Jérusalem délivrée. Il a aussi écrit , avec génie, Tancrède et Clorinde, Renaud et Armide, Les Muses galantes, qui ont inspiré Monteverdi et nombre de compositeurs d’opéra.
Le personnage historique semble bien avoir été, tel que le représente Goethe, infantile, capricieux, paranoïde (au moins), bipolaire… En face de lui, un « bon prince », Alphonse II duc de Ferrare, est un vertueux et efficace diplomate.
Ce drame ne suffirait pas à assurer la gloire durable de Goethe mais pose la question du rapport de l’artiste avec le prince, donc de sa liberté. Et cela, de façon aiguë et sensible, ce qui n’est pas indifférent en ces temps de subventions en voie de tarissement, égarées dans les sables mouvants d’une politique illisible.
Mais la pièce est avant tout autobiographique : s’y heurtent les Lumières et le Sturm und Drang (le préromantisme allemand), et s’y séparent les différentes figures de Goethe : le jeune poète qui se voudrait fou, qui verse les torrents de larmes d’une sensibilité frémissante (relire Werther, autre source d’opéra), et qui fuit en Italie, et, plus tard, le sage diplomate, le notable des lettres. Goethe se projette à la fois dans Tasso, dans l’habile Antonio, et même dans le bon prince, qui impose des chaînes à l’artiste inspiré.
Le décor évoque un hall de musée, avec les bustes de Virgile et de l’Arioste, ou le siège social d’une société cossue et cotée, avec des pelouses en tapis brosse/ jardins des délices, deux jeunes femmes,(inspirées un peu lourdement, par celles de Shakespeare (on pense à Peines d’amour perdues, mais, qui, ici, ne sont pas perdues… ou à l’éloge de la musique, à la fin du Marchand de Venise), couronnent le merveilleux jeune poète pour le manuscrit –pour lui, encore insatisfaisant- qu’il vient de leur remettre.
Couronne prématurée, semble-t-il, pour le jaloux, ou prudent Antonio. Conflits, querelles, arbitrage du Prince et pression des dames, excuses réciproques, ça s’arrangerait presque, sans les insolentes et dépressives mutineries du poète, avec son côté rappeur buté.
C’est joué de façon très juvénile, sans nuances, même par Océane Mozas et Violaine Schwartz qu’on a connues plus passionnantes. Comme si cela risquait de faire basculer la pièce dans un réalisme honni, et, de fait, hors de propos. Mais, du coup, il ne se passe pas grand-chose, et l’on a tout le temps d’échafauder des hypothèses, par exemple, sur le caractère autobiographique (et d’auto-célébration) de la pièce.
Le théâtre y perd, mais… cela reste une intéressante curiosité.
Christine Friedel
Théâtre de Nanterre-Amandiers jusqu’au 27 avril. T : 01-46-14-70-70