Huis-clos

 

Huis-clos, de Jean-Paul Sartre, mise en scène d’Agathe Alexis et Alain-Alexis Barsacq.

On connaît l’affaire : un à un, Garcin, Inès et Estelle sont introduits dans leur dernière demeure, “une chambre d’hôtel banale ”, avec service afférent et quelque peu aléatoire, loin des inutiles pals, bourreaux et autres instruments de torture, loin aussi du bronze de Barbedienne, obligatoirement présent. Mais il s’agit de la même chambre, et pis sans fenêtre, avec parfois de brèves visions fugaces de l’autre monde, le vrai, celui des vivants.

Il semble difficile aux morts de quitter leurs habits de vivants, et le premier de tous, le mensonge. Ou tout au moins, la dissimulation, le “cinéma“, la belle image qu’on se fait à soi-même. Donc, très vite, avant que le temps ne devienne parfaitement étale, les trois prisonniers de la mort et des autres sont contraints de se mettre à nu, moralement. Mais il fait très chaud-seule trace des représentations traditionnelles de l’enfer-et il faut bien tomber la veste. Et sans oublier: le désir ne s’éteint pas avec la vie, dans cette histoire, et remplace tous les instruments de torture qu’on peut imaginer.

Huis-clos, le mot fait partie du vocabulaire de la justice. Aussi, les protagonistes sont-ils chacun soumis au jugement des deux autres, avec une petite exception pour Estelle, cervelle d’oiseau, amorale, faite pour l’éternité dans la mesure où elle ne “vit“ que dans l’instant, qui refuse de juger.

Les metteurs en scène ont appelé le public à l’audience : il encercle les éternels coupables dans ce procès sans avocats. Ils ont eu la bonne idée de remplacer les canapés des didascalies par ce meuble qu’on appelle un “indiscret“, emblème du style second empire, trois sièges indissolublement liés par un axe commun, qui condamnent le “tiers“ à écouter la conversation des deux autres.

C’est exactement au cœur de l’affaire, comme la porte coulissante dont on ne sait jamais si elle va s’ouvrir ou non. Bruno Boulzaguet (Garcin) a un peu de mal à entrer dans le jeu : normal, il est seul avec le garçon d’étage, et le seul enjeu est une scène d’exposition du dispositif sartrien. Ça s’arrange ensuite : si ”l’enfer, c’est les autres”, l’enfer a besoin de ces autres pour fonctionner. Ce qui se produit avec l’arrivée d’Inès et d’Estelle.

Agathe Alexis campe une Inès en amazone, annihilant les stratégies d’évitement des deux autres, directe, forte, royale -l’aspect social, “ ancienne employée des postes”, compte peu-, et Anne Le Guernec amène une sorte de papillon éternellement vulnérable, éternellement prédateur, avec une merveilleuse grâce juvénile. On comprend que Garcin, d’abord séduit, ait envie de fuir. Mais d’ici, on ne fuit pas… On a reproché à Sartre d’être misogyne. C’est possible, mais hors sujet : on voit ici trois puissances, trois forces égales, jouer les unes contre les autres, tentant parfois de s’isoler, se désolidariser (on parle de solidarité mécanique), tantôt s’alliant brièvement à deux contre le “tiers“.

Combat impressionnant. Arrive la réplique finale: “ continuons”. Très classiquement, elle donne la clé de l’énigme. Bien entendu, ces morts sont à l’image de nous autres, vivants, et ce “ continuons ” ressemble au geste de Sisyphe. La légende dit que c’est Albert Camus lui-même, grand amoureux du théâtre, qui devait créer le rôle de Garcin, finalement échu à Michel Vitold. Faut-il imaginer  Sisyphe heureux ? Non, mais il y a là le courage de la tragédie.

Une tragédie qui fait rire parfois, des petites ruses de nos trois accusés cobayes, et un grand plaisir d’acteurs.

Christine Friedel

Théâtre de l’Atalante, jusqu’au 5 mai. T: 01-42-23-17-29.


Archive pour 17 avril, 2013

Sunday in the park with George

Sunday in the park with George, livret de James Lapine, musique et lyrics de Stephen Sondheim.

Sunday in the park with George suip5C’est une œuvre très originale, à la fois dans la forme et le thème.
Le livret: une histoire rêvée : un moment de la vie de Georges Seurat, peintre néo-impressionniste né en 1859 et mort à 31 ans, dont l’ œuvre a marqué ce courant de la peinture française, malgré sa courte existence.
Toute l’intrigue  est fondée sur   Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte  exposée aujourd’hui à l’Art Institute de Chicago. Cette œuvre,  et une reconstitution de l’atelier du peintre,  servent  de décor à la première partie où l’auteur nous raconte le désarroi de Dot, une jeune femme, la maîtresse du peintre qu’il délaisse, préférant se consacrer à son œuvre.
Enceinte, elle part pour les Etats-Unis où naîtra  aussi  un de ses descendants, lui-même artiste. C’est ce personnage, que l’on retrouve dans la deuxième partie de la pièce, rendant hommage autour de cette toile exposée au musée à son illustre parent. Nostalgie du passé,  observation critique des mœurs qui régissent l’art contemporain et  réflexion sur l’acte de création aujourd’hui, le spectacle a été créé en 1983 à New York, et repris ici avec d’importants moyens.
Les performances du chœur du Châtelet, comme des solistes,  et des quarante-huit interprètes du Philarmonique de Radio-France, sont remarquables. La musique et les  chansons, sans comporter de tubes, sont en accord avec la peinture de Seurat: belles et discrètes.
Le spectacle est aussi une performance technique avec une scénographie intéressante. Le tableau du peintre est là devant nous, et prend vie grâce à dix-huit projecteurs vidéos, grâce aussi à douze tournettes (c’est une première mondiale) qui rendent ainsi le plateau mobile en permanence. Classique dans sa première partie, Sunday in the park acquiert une autre dimension dans la deuxième, en nous invitant à découvrir les nouveaux codes de l’art contemporain. Mais avec ds couleurs et une  lumière caractéristiques de l’œuvre de Georges Seurat qui, à son époque, n’avait  cependant pas eu le succès escompté.
Le spectacle se termine avec  une toile blanche avec les mots: “Blanc, Une page blanche ou une toile. Sa couleur préférée. Tant de possibilités”.

Jean Couturier

Théâtre du Châtelet jusqu’au 21 avril.

http://Chatelet-theatre.com

On a fait tout ce qu’on a pu, mais tout a été comme d’habitude

On a fait tout ce qu’on a pu mais tout a été comme d’habitude de Philippe Fenwick.

On a fait tout ce qu'on a pu, mais tout a été comme d'habitude arton3682-a364fPhilippe Fenwick, comme William Mesguich, ont été formés au Théâtre du Jour d’Agen par Pierre Debauche qui leur avait communiqué sa rage de jouer. Ensemble, ils avaient parcouru à pied avec leur troupe, plusieurs centaines  de kilomètres dans le Sud-Ouest de la France  mais aussi jusqu’en Belgique, jouant leurs spectacles- pour la plupart des pièces de Fenwick- dans des conditions spartiates. Fenwick  en a publié le récit hilarant dans Un théâtre qui marche, chez Actes Sud.
Mais l’auteur-metteur en scène n’a pas  perdu le goût des aventures. Nous avions pu voir au Jardin des Carmes en Avignon Est-Ouest, un spectacle décapant sur le retour à Berlin-Est d’une allemande émigrée et déçue par l’Occident avant la chute du mur,  qui avait déjà quelque chose d’autobiographique( voir Le Théâtre du Blog).
On a fait ce qu’on a pu…est de la même veine ! Mais, cette fois, c’est le récit d’un rêve avorté, pourtant longuement mûri pendant quatre ans, d’une épopée théâtrale qui devait le conduire en 2012, avec sa compagnie, de Brest à Vladivostock. Philippe Fenwick se lance dans l’aventure en 2008, le jour de la mort de son père dans un accident d’avion. Il entreprend des démarches aussi harassantes qu’inutiles pour trouver les financements indispensables au voyage de sa troupe.
Mois après mois, les rendez-vous s’annulent, les lettres  administratives lui mangent la tête et cela l’empêche de se consacrer à l’écriture de son œuvre rêvée. Mais le fameux bureau A du Ministère de la Culture qui devait lui ouvrir enfin les portes de son rêve, n’existe plus.
Interprété avec un bel humour par le metteur en scène et deux techniciens qui règlent les effets sonores et visuels, Fenwick accueille chaque soir des artistes; ce soir-là, c’est Sarah Schwarz, fil-de-ferriste et ZED, un  musicien qui l’accompagnent.

Il évoque aussi le spectacle qu’il avait monté à l’Atalante sur la célébrité oubliée d’un certain Jacques Mercier, qui avait entrepris un voyage autour de sa chambre. Ce Don Quichotte du théâtre nous régale de son humour joyeux.

Edith Rappoport

Théâtre 13 (joué du 2 au 14 avril)

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