Les Revenants
Les Revenants d’après Henrik Ibsen, traduction et adaptation d’Olivier Cadiot et Thomas Ostermeier, mise en scène de Thomas Ostermeier.
Ibsen était un auteur reconnu et célèbre depuis 1879 avec Maison de poupée mais Les Revenants, sa pièce publiée en 81 dans une Norvège puritaine, provoqua le scandale et ne put être créée dans aucun théâtre européen. Elle le fut quand même en norvégien à Chicago en 82 puis dans son pays à Halden en 83… Ibsen avait osé traiter de maladies qu’à l’époque, on supposait héréditaires. Oswald, un jeune homme est atteint de la syphilis que lui aurait transmis son père, un capitaine ,décédé il y a dix ans, qui avait eu une vie des plus agitées mais qu’il n’a pas connu… Puisque Madame Alving, sa mère l’avait éloigné de la maison, pour qu’il ne subisse pas son influence.
Comme elle le révèle au pasteur Manders, horrifié par ce grand déballage, le capitaine a aussi séduit la jeune femme de chambre qui aura un enfant de lui. Enfant qui est aujourd’hui… la jeune fille employée par Madame Alving et qui est donc la demi-sœur d’Osvald.
Mais Madame Alving se sent quelque peu coupable et, à son fils atteint d’une grave maladie, elle dit qu’elle craint d’avoir rendu à la maison insupportable à son mari défunt.Bref, on nage dans la souillure morale du père, la culpabilité impardonnable, les scandales soigneusement étouffés qui ont pourri la vie d’une famille où le fils a, comme le dit Ostermeier, été victime du mensonge de la mère. Bref, les morts dix ans après leur décès, continuent à casser l’existence des vivants.
C’est sans doute peu de dire qu’Ibsen a été influencé par Kirkegard qui prônait chez les individus l’authenticité des actes par rapport aux paroles. Madame Alving, très influencée par le pasteur qui l’a mariée autrefois- on se rend mal compte aujourd’hui du monopole des idées que devait avoir l’église!- est en fait obsédée par une sorte de mission qu’elle se serait donnée: la réparation des actes répréhensibles commis par son défunt mari. » Que, dans Les Revenants, comme le dit Ostermeier, » la problématique est clairement liée au monde bourgeois et à la monogamie qui en découle et que l’on pourrait peut-être remettre en question » est un thème sous-jacent de la pièce mais pas aussi évident, quand on relit le texte original. La figure du père décédé est en fait aussi présente que s’il était encore en vie
Mais Les Revenants, comme la plupart des pièces d’Ibsen, est fondée sur le rôle primordial d’une femme, comme une déesse-mère et amoureuse à la fois; ici, c’est Frau Alving, moteur de la pièce, presque toujours en scène, qui lutte contre son destin et celui de son fils, qui reproduit le comportement de son père quand il essaye de séduire Régine la très jeune femme de chambre, contre l’hérédité du mal, la syphilis jamais nommée mais suggérée dans le texte d’origine ni dans l’adaptation que l’on supposait alors transmissible. Dans une sorte de refus pathétique du passé lié au culte du secret familial…
Thomas Ostermeier aime beaucoup Ibsen et il en avait déjà monté plusieurs pièces dont Les Revenants mais il n’était pas satisfait, dit-il, de sa mise en scène.L’adaptation de Thomas Ostermeier et Olivier Cadiot suit assez fidèlement le dialogues d’origine qui sont toujours chez Ibsen d’une remarquable qualité: la réplique d’un personnage intervient le plus souvent comme une sorte de réponse à l’expression d’une pensée.
C’est vraiment du grand art qui n’ a pas pris une ride depuis plus de cent ans que la pièce a été écrite. La direction d’acteurs est ici de premier ordre et Ostermeier réussit à rendre crédible chacun des personnages dès que l’acteur entre sur le plateau. Ce qui est loin d’être évident quand un metteur en scène dirige des comédiens qui parlent une autre langue que la sienne… La distribution est ici exceptionnelle: en tête bien sûr, Valérie Dréville qui sait passer d’un registre de sentiments à l’autre avec une maîtrise incomparable du verbe comme du geste. Jamais rien de faux ou d’un peu forcé dans un jeu tout en nuances et des plus intelligents qui soient. Mais Eric Caravaca ( Osvald), Jean-Pierre Gos ( le menuisier Engstrand, François Loriquet (le Pasteur Manders et Mélodie Richard (Régine) sotn toiutn aussi formidables de vérité.
Malgré une mise en scène qui n’est sans doute pas du même niveau et on ne voit pas bien pourquoi Thomas Ostermeier recourt ici à ce plateau tournant qui est un peu devenu son instrument scénique favori. Sans doute pour donner une allure plus cinéma à ces dialogues, puisque les acteurs qu’il a choisis ont aussi joué dans de nombreux films… Ils continuent souvent à dialoguer quand le plateau se met à tourner. Dans une sorte de jeu champ/contre-champ pas très convaincant sur une grande scène comme celle des Amandiers.
Avec un seul décor, juste séparé parfois par une cloison de bois que l’on fait glisser: d’un côté, une table avec quelques chaises très années cinquante et de l’autre, un canapé trois places et un gros fauteuil en cuir noir, avec structure en acier inox, noir comme le sol et les murs où seront projetés par moments des images de landes aux herbes folles battue par les vents.
Dans le même ordre d’idées, Thomas Ostermeier qui adore faire joujou avec la vidéo, aurait pu nous épargner au début surtout ces gros plans, par caméra interposée, d’objets personnels ou de visages. ce qui est très beau sur le plan plastique mais qui ne sert rigoureusement à rien! Et pourquoi a-t-il voulu situer la pièce quelque soixante dix ans après sa création? Il ne n’explique guère là-dessus. Le public peut très bien ressentir tout ce que le texte d’Ibsen a encore de très actuel, sans qu’il soit nécessaire de lui surligner les choses.
A ces réserves près, c’est un spectacle qui n’a sans doute pas la force de Maison de poupée- et la pièce n’est pas aussi forte!- qu’Ostermeier avait monté avec bonheur, il y a quelques années, mais qui peut être vu, surtout pour les comédiens, Valérie Dréville en tête.
Philippe du Vignal
Théâtre Nanterre-Amandiers jusqu’au 27 avril; les 6 et 7 mai à L’Hippodrome, Scène nationale de Douai; du 15 au 17 mai au lieu unique, Scène nationale de Nantes; les 23 et 24 mai à la Maison des Arts de Thonon-Evian; les 29 et 30 mai au Théâtre de Cornouaille – Scène nationale de Quimper; du 5 au 7 juin au Théâtre de Caen et du 12 au 14 juin : Printemps des comédiens – Montpellier.
Le texte Les Revenants est publié dans le recueil Théâtre d’Henrik Ibsen aux éditions Gallimard,
collection La Pléïade.
Que Philippe du Vignal ne croit surtout pas que je le poursuis. Le hasard simplement m’a fait récemment endurer ces « Revenants », deux heures durant qui, on l’aura compris, m’ont paru un siècle ! « Pas une ride », disiez-vous… Ce mini-drame bourgeois, étiré indéfiniment au rang de tragédie du zizi, à coups de « sous-textes » éléphantesques. L’intrigue est au contraire si vieux-jeu que pour un peu on en rirait ! (Si nos zélés censeurs des scènes subventionnées ne veillaient au grain). De fait, elle fait songer irrésistiblement à la rengaine antillaise : « Ta soeur n’est pas ta soeur, et ton père ne le sait pas. Oh, la la ! Quel malheur, si maman savait ça ! » Las ! Ostermeier, en petite forme, « croit que le mot chien l’a mordu » et nous sert sa mise en scène la plus plan-plan de sa carrière. Est-ce la barrière de la langue, la hâte, le surmenage ?… À l’image de l’adaptation, qui fait des mystères et beaucoup de chichis (ce dont Ibsen n’a nul besoin !), ses interprètes sur-jouent et cabotinent à qui mieux mieux, la Dréville en tête. Je ne vois guère que la scène (presque) finale, à laquelle Mélodie Richard donne des ailes, qui fasse un peu décoller cette tisane tour à tour tue, puis beuglée, sans doute pour faire freudique. Et je pense comme Philippe du Vignal, qu’avoir situé l’action, en gros dans les années cinquante, n’apporte qu’une coquetterie de plus à ce pensum. La pré-citée Mélodie Richard n’en a que plus de mérite à faire croire à sa condition de soubrette « parent pauvre » d’une famille indigne. C’est tout. N’empêche que son heureuse sortie n’est l’affaire que de cinq minutes. Le reste du temps, on ne peut qu’admirer l’auto-persuasion du public, qui sait depuis si longtemps que le roi est nu, et continue cependant de l’applaudir.