The four seasons Restaurant
The Four Seasons Restaurant du cycle Le Voile noir du Pasteur, de Romeo Castellucci.
“C’est le nom d’un vrai restaurant qui se trouve sur la 54 ème rue à New York. Ce nom est lié à l’histoire de Mark Rotko. Le restaurant, en 1958, propose au peintre de préparer des toiles pour les grandes parois de ses salles. Rothko prépare plusieurs peintures considérées parmi les plus intenses de sa vie, elles étaient monumentales, aux couleurs sombres tenant au noir. Ensuite, il prend une décision extrême de ne donner aucun tableau au restaurant. Ces tableaux sont pour la plupart conservés à la Modern Tate de Londres. (…) Ce spectacle fait allusion à l’histoire du peintre Rothko”, écrit Castellucci dans sa note d’intention.
Effectivement, c’est le noir qui domine avec, au tout début, un écran noir où s’affiche une explication scientifique.Il y a dix ans,une équipe de chercheurs de l’Institut astronomique de Cambridge détectait des ondes sonores provenant d’un trou noir situé dans l’amas de Persée à 250 millions d’années-lumière de la Terre, correspondant à un si bémol, ondes qui tiennent ici de grondements tout à fait impressionnants, avec des basses à l’extrême limite du supportable qui vous pénètrent dans la peau et qui pourraient être une bonne traduction auditive de l’angoisse métaphysique de Rothko qui se suicida en 70.
Ensuite, le rideau s’ouvre sur une salle de gymnastique, tout à fait close, sans aucune porte, aux murs d’un blanc immaculé, et vide, avec un grand espalier en bois contre le mur du fond, et un ballon. Les unes après les autres, elles vont entrer sur scène, depuis le côté cour dix très jeunes belles femmes, en longues robes bleu foncé et chaussées de sabots qu’elle enlèveront puis aligneront, bien rangés dans le fond.
Elles se coupent toutes la langue, d’un coup de ciseaux, avec une grande précision, . Et un gros chien noir, sans doute bien dressé, viendra très vite mais avec calme, déguster ce mets de choix, avant de ressortir. On les verra ensuite se déshabiller les unes les autres.
On pense par instants au formidable Songe de Strindberg monté par Bob Wilson. Même fascination pour l’image silencieuse et particulièrement soignée: Castellucci fut, comme Wilson, élève d’une école d’art, en l’occurrence celle de Bologne dans les sections scénographie et peinture, et cela cela se voit; au besoin, il insiste comme s’il voulait nous en persuader en se réfèrant constamment au grands figures de son pays: Pierro della Francesca, Antonello de Messine mais aussi Warhol ou ici Rothko, même si la référence à ce dernier est des plus approximatives…
Puis, des fragments du magnifique Empédocle d’Hölderlin-on repense au formidable spectacle du génial Klaus-Michaël Grüber-s’affichent, projetés de façon très peu lisible sur le mur du fond, fragments seulement prononcés mais, entendus en italien et en voix off,-puisque les jeunes femmes sont censées ne plus pouvoir parler-ou par le biais d’un gros poste de radio des années cinquante…
Ces jeunes femmes constituent des groupes de deux, trois ou cinq ou forment une cercle à dix, toujours dans le plus grand silence: c’est, disons, un peu mièvre, plus que longuet et surtout pas très passionnant! Mais sans aucun doute d’une belle qualité picturale, et Castellucci sait y faire pour imposer de belles images.
Le spectacle « dit la solitude de l’artiste comme geste de rupture du contrat social. Comme en une révolte inversée, il construit et pactise avec un complexe système de symboles pour ensuite l’abattre », nous avertit Romeo Castellucci, le plus sérieusement du monde. Sic! N’empêche: un ennui pesant d’excellente qualité s’abat sur la salle; il y a eu une centaine de désertions, surtout de spectatrices qui ne supportaient plus, les basses du début et/ou ce cocktail d’images prétentieuses qui se voudraient d’avant-garde. Mais on est vraiment loin du compte… et les applaudissements ne furent pas des plus généreux! Le public n’est quand même pas dupe de cette construction bien artificielle!
Le beau rideau plissé où sont suspendues en bas des ampoules fluo, va se fermer pour se rouvrir sur ce même espace blanc où repose le corps/cadavre? d’un grand cheval couché sur le flanc. Impressionnant! Mais reste au spectateur à faire le lien entre les moments de cette “destruction de l’image” annoncée par le metteur en scène dont on vous épargnera les vaines et prétentieuses explications, et mal écrites, sur son génial spectacle…
En revanche, la fin est d’une vraie grande beauté: la scène devient noire et , imaginez un tourbillon de feuilles sur tout la largeur de la scène, dans un terrible bruit de soufflerie; et on finit par apercevoir, alignées dans le fond, les dix jeunes femmes nues… Comme dans un enfer programmé! Oui, redisons-le, ces quelques minutes sont aussi remarquables que le début mais il faut les mériter! En effet, entre les deux, quoi? Vraiment pas grand-chose sinon quelques belles images de faiseur, dont on se lasse évidemment très vite.
Alors, à voir? Pas sûr? On ressort de ces quatre-vingt minutes un peu sonné! Certains, avec une belle naïveté, voient toujours Castellucci comme une des références de l’art théâtral européen! Mais n’est pas Bob Wilson, Tadeusz Kantor ou Angelica Lidell, qui veut ! Et il y faut quand même un autre engagement personnel!
Nous n’avons jamais été sensibles, pour notre part, à son mélange scénique, très fabriqué où il essaye en vain de faire le pont entre les arts plastiques et le théâtre. Même quand le spectacle, doté de gros moyens, est impeccablement préparé, avec une louche de références picturales et une petite dose de provocation…Comme il l’avait fait avec son trop fameux spectacle de 2011 qui avait déclenché quelques désordres mémorables au Théâtre de la Ville…
Voilà, vous êtes prévenus (personnes sensibles aux basses, vous pouvez vous abstenir !). On est, en tout cas, bien loin de ce merveilleux Bucchettino (voir Le Théâtre du Blog) que la compagnie de Castellucci, la Societas Raffello Sanzio, avait autrefois réalisé avec une intelligence et une sensibilité remarquables…
Philippe du Vignal
Théâtre de la Ville jusqu’au 27 avril.