Fragments

Fragments de Lars Norén, mise en scène de Sofia Jupither (en suédois surtitré).

Fragments  fragmente_2Lars Norén, poète, romancier mais surtout dramaturge est  bien connu en Suède où il a succédé à Ingmar Bergman au Théâtre national et qui, depuis 99, est le directeur artistique du Riksteatern,  le théâtre national itinérant de son pays. Il a écrit depuis 73, plus de quarante pièces où, de façon récurrente, il témoigne du mal-être de la société. Avec un niveau de vie parmi les meilleurs d’Europe quand on vit dans la banlieue résidentielle de Göteborg et, au contraire, avec une espérance de vie,  une pauvreté permanente, des différences de salaire considérables, un chômage garanti, une mauvais santé mentale, quand on en habite les quartiers pauvres. L’aide sociale fonctionne bien mais cela n’empêche pas une augmentation des maladies psychiatriques et un taux de suicide élevé…

Dans Fragments, une de ses dernières pièces, comme dans Kliniken ou Catégorie 3 qu’avait montées Jean-Louis Martinelli, Norén met en scène des violents conflits  souvent très durs entre parents et enfants, la maladie des  proches et leur  mort à l’hôpital, des relations sexuelles instables et sans amour, le recours presque permanent à la violence verbale, voire physique, le désœuvrement et  le manque d’intimité de personnages qui ont un passé souvent des plus pathétiques, un présent difficile dans une société qui les rejette et pas le moindre espoir d’un avenir meilleur! Dans ces conditions, comment ne pas sombrer dans la dépression, voire dans  la maladie mentale?

 Il y a ainsi, dans  de courtes scènes, un chauffeur de taxi qui n’arrive pas à effacer ses souvenirs de guerre en Bosnie et qui devient de plus en plus violent, un homme soigné par son épouse chez lui, un fils qui voit mourir son  vieux père à l’hôpital, une mère qui cache son fils adulte dans une armoire, une infirmière enceinte d’un homme marié, un père brutal qui tape sur son fils adolescent, au visage peint en noir, qui dort tout le temps et qui ne veut plus lui parler,  et qui a fait l’amour avec sa fille… Bref, que du bonheur!  Conflits, dégradation humaine, souffrance physique,drogue, misère morale,  non-dits refoulés,  anciens traumatismes: un  mélange explosif! Le dénominateur commun des personnages de Fragments semble bien être le mal-être et un désespoir sans issue possible.

Et comme le dit Sofia Jupither, “Lars m’a aidé à comprendre que ce n’est pas une question d’argent, de revenus. Écartez cet aspect, essayez de vous dire sincèrement qu’au fond, ces gens sont comme vous et moi. Si l’on entre dans cet univers différent , l’humanité n’y est pas différente; c’est juste que les formes d’humanité qu’il produit ne me sont pas familières”. Mais comment dire cette humanité  pauvre et affrontée aux plus grandes souffrances, sans avoir le sentiment, comme elle dit “d’être une snob culturelle”?  Commet parler de la réalité quotidienne de ces gens “exposés aux épreuves de la vie,  discriminés, mais qui,  dit Norén,  possèdent le noyau de la vérité”.
Sofia Jupither a choisi de faire vivre la trentaine de personnages de Fragments dans une sorte de lieu indéterminé, absolument clos, sans portes ni fenêtres, envahi par des collines de vêtements, morceaux de tissu, vieux fauteuil, matelas mousse nu,  couvertures, abandonnées un peu partout sur le sol, et dans le fond, un piano droit,. Le tout dans ds couleurs tristes, éclairé par des lumières blanches, et soumis à une espèce de vrombissement léger permanent : bref, une bonne image de l’enfer…

Anna Ackzell, Tobias Aspelin, Adam Dahlgren, Magdalena Eshaya, Karin de Frumerie, Anders Granell, Elisabeth Göransson, Sergej Merkusjev, Åsa Persson, Jonas Sjöqvist, Ulla Svedin sont dirigés avec une belle précision et leur travail d’interprétation est remarquable: tout en retenue mais très intense. Les scènes se succèdent assez rapidement, le plus souvent à deux ou trois personnages maximum qui, après leur scène, vont plus loin se coucher ou s’asseoir près d’un mur. C’est un vieux truc brechtien un peu usé mais il n’y pas d’autre solution, puisque l’espace est fermé.
 On peut regretter -sans doute pour que les vrombissements ne rendent les paroles inaudibles- l’utilisation de ces foutus micros H.F. qui envahissent maintenant toutes les scènes et qui n’apportent pas grand-chose, et il y a un côté un peu statique de la mise en scène qui fait penser à un tableau vivant; c’est  sans doute volontaire mais pas toujours convaincant…

Il y a des moments formidables de vérité brute mais  Sofia Jupither se tire moins bien des scènes de violence, pas toujours très crédibles, même si elles sont jouées par des interprètes de haut niveau. Est-ce la faute au nombre important de personnages qui défilent et qu’on a parfois du mal à identifier immédiatement? Ou au surtitrage qui  oblige à un aller et retour visuel fatiguant pour l’attention? Sans doute les deux, mon capitaine! Mais les quatre-vingt minutes de la première partie, même remarquablement réalisé, sont parfois longues et les vrombissements anesthésient un peu le public.

La seconde partie d’une heure passe en revanche assez vite… Peut-être se sent-on plus à l’aise dans la construction des dialogues tricotés par Lars Norén qui aurait quand même gagné à faire un peu plus court. Mais, à la fin, on voit mieux les personnages, les choses se clarifient -le jeune homme, semble-t-il, tue une jeune fille et va se suicider- et la fin,  avec un beau chant choral, est d’une grande force dramatique.
En tout cas, une bonne occasion pour les comédiens français et un public curieux d’aller voir un spectacle de Lars Norén en suédois, ce qui n’est pas si fréquent et dans une bonne mise en scène. Mais, attention, c’est jusqu’à dimanche seulement…

Philippe du Vignal

Ateliers Berthier/Odéon Théâtre de l’Europe, 1 rue André Suarès, Paris (XVIIème). jusqu’au 27 avril. T. : 01 44 85 40 40.


Archive pour 25 avril, 2013

La Pluie d’été

La Pluie d’été, mise en scène de Lucas Bonnifait et Notre Avare, mise en scène de Jean Boilllot.

À côté,  et bien avant le brûlot en vogue des questions familiales de transmission et de filiation « pour tous tout juste éteint en ce 23 avril 2013, François Rancillac  s’est attaché à filer une étoffe théâtrale saisonnière dont la griffe est: « bourreaux d’enfants ! .
De Molière (L’Avare) à Duras (La Pluie d’été), l’enfance est appréhendée comme miroir de notre société : « L’enfant est assurément l’avenir de l’homme. Pour autant que l’homme ne l’ait pas tué avant. » Heureusement, il n’est pas question de mort enfantine dans La Pluie d’été que monte Lucas Bonnifait d’après le roman de Duras. Ernesto est le fils de sa mère et l’aîné de ses « sisters et brothers », une famille nombreuse de Vitry qui passe son temps à Prisunic à » lire » ou à feuilleter des « alboums » de B.D.
Le père est bien présent qui laisse l’autorité à sa femme. Et l’instituteur aussi, qui réfléchit à l’assertion énigmatique de Ernesto, philosophe avant l’heure. L’enfant refuse de retourner en classe puisqu’à l’école, on lui apprend des choses qu’il ne sait pas.
Les comédiens Jean-Claude Bonnifait, Ava Hervier et Raoul Raïs s’échangent les rôles abruptement ; cette audace paraît comme naturelle dans la proximité intense du public apprivoisé. La Mère, l’Instituteur, Ernesto, Jeanne sa sœur sont une prolongation du peuple des spectateurs qui trouvent plaisir à entendre parler de Dieu ou de son absence, de l’amour des mots et de la vie qui va. La sensibilité tremblante et l’émotion intime, que procure cette vision du monde tournée vers le questionnement existentiel, pourraient remplir la soirée entière, tant l’instant est rare et délicat, un moment paisible de théâtre partagé, entre soi, avec des élans de colère et des éclats d’humour.
La Pluie d’été  notre-avare-elise-et-marianne-nestAprès l’entracte, le facétieux Jean Boillot s’attaque en souriant à la violence faite aux enfants, héritiers malheureux de pères bandits et voleurs. Il recrée Notre Avare d’après Molière, en compagnie d’un quatuor d’acteurs vifs et astucieux, une bande de comédiens turbulents et perturbateurs, Isabelle Ronayette, Stéphanie Schwartzbrod, Philippe Lardaud et Benoît Marchand/Serge Brincat. Un petit verre de l’amitié accueille le public réjoui, flonflons et musique de bar scintillant, tandis que les deux couples d’amants bruyants déclament avec esprit et beaucoup de fun  la partition-écourtée- de la pièce.
Sur le plateau, une nouvelle fois, les rôles sont échangés : il suffit de porter au cou une fraise blanche pour devenir aussitôt le seigneur Harpagon, droit devant sa table et son trésor bafoué. Les jeunes gens dévergondés et libres multiplient leurs frasques, leurs danses et leurs courses éperdues vers l’accomplissement de leur désir absolu,  mis à mal par un père sot et avide de gains.
Notre Avare fait tourner la tête des spectateurs au sens propre, tant les acteurs circulent avec un entêtement bravache sur la scène, entre glissades, chutes, acrobaties et interpellations comiques du public complice. Un quartet de jeunes gens amoureux que rien n’arrête, pressés d’en découdre avec une figure paternelle surannée et ridicule. Un spectacle festif et convivial qui invite à la résistance, au triomphe de la jeunesse sur les barbons suffisants et oppresseurs.

 

Véronique Hotte

 

Théâtre de l’Aquarium jusqu’au 28 avril. T : 01 43 74 99 61.

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