La Pluie d’été
La Pluie d’été, mise en scène de Lucas Bonnifait et Notre Avare, mise en scène de Jean Boilllot.
À côté, et bien avant le brûlot en vogue des questions familiales de transmission et de filiation « pour tous tout juste éteint en ce 23 avril 2013, François Rancillac s’est attaché à filer une étoffe théâtrale saisonnière dont la griffe est: « bourreaux d’enfants ! .
De Molière (L’Avare) à Duras (La Pluie d’été), l’enfance est appréhendée comme miroir de notre société : « L’enfant est assurément l’avenir de l’homme. Pour autant que l’homme ne l’ait pas tué avant. » Heureusement, il n’est pas question de mort enfantine dans La Pluie d’été que monte Lucas Bonnifait d’après le roman de Duras. Ernesto est le fils de sa mère et l’aîné de ses « sisters et brothers », une famille nombreuse de Vitry qui passe son temps à Prisunic à » lire » ou à feuilleter des « alboums » de B.D.
Le père est bien présent qui laisse l’autorité à sa femme. Et l’instituteur aussi, qui réfléchit à l’assertion énigmatique de Ernesto, philosophe avant l’heure. L’enfant refuse de retourner en classe puisqu’à l’école, on lui apprend des choses qu’il ne sait pas.
Les comédiens Jean-Claude Bonnifait, Ava Hervier et Raoul Raïs s’échangent les rôles abruptement ; cette audace paraît comme naturelle dans la proximité intense du public apprivoisé. La Mère, l’Instituteur, Ernesto, Jeanne sa sœur sont une prolongation du peuple des spectateurs qui trouvent plaisir à entendre parler de Dieu ou de son absence, de l’amour des mots et de la vie qui va. La sensibilité tremblante et l’émotion intime, que procure cette vision du monde tournée vers le questionnement existentiel, pourraient remplir la soirée entière, tant l’instant est rare et délicat, un moment paisible de théâtre partagé, entre soi, avec des élans de colère et des éclats d’humour.
Après l’entracte, le facétieux Jean Boillot s’attaque en souriant à la violence faite aux enfants, héritiers malheureux de pères bandits et voleurs. Il recrée Notre Avare d’après Molière, en compagnie d’un quatuor d’acteurs vifs et astucieux, une bande de comédiens turbulents et perturbateurs, Isabelle Ronayette, Stéphanie Schwartzbrod, Philippe Lardaud et Benoît Marchand/Serge Brincat. Un petit verre de l’amitié accueille le public réjoui, flonflons et musique de bar scintillant, tandis que les deux couples d’amants bruyants déclament avec esprit et beaucoup de fun la partition-écourtée- de la pièce.
Sur le plateau, une nouvelle fois, les rôles sont échangés : il suffit de porter au cou une fraise blanche pour devenir aussitôt le seigneur Harpagon, droit devant sa table et son trésor bafoué. Les jeunes gens dévergondés et libres multiplient leurs frasques, leurs danses et leurs courses éperdues vers l’accomplissement de leur désir absolu, mis à mal par un père sot et avide de gains.
Notre Avare fait tourner la tête des spectateurs au sens propre, tant les acteurs circulent avec un entêtement bravache sur la scène, entre glissades, chutes, acrobaties et interpellations comiques du public complice. Un quartet de jeunes gens amoureux que rien n’arrête, pressés d’en découdre avec une figure paternelle surannée et ridicule. Un spectacle festif et convivial qui invite à la résistance, au triomphe de la jeunesse sur les barbons suffisants et oppresseurs.
Véronique Hotte
Théâtre de l’Aquarium jusqu’au 28 avril. T : 01 43 74 99 61.