On a fait tout ce qu’on a pu, mais tout a été comme d’habitude

On a fait tout ce qu’on a pu mais tout a été comme d’habitude de Philippe Fenwick.

On a fait tout ce qu'on a pu, mais tout a été comme d'habitude arton3682-a364fPhilippe Fenwick, comme William Mesguich, ont été formés au Théâtre du Jour d’Agen par Pierre Debauche qui leur avait communiqué sa rage de jouer. Ensemble, ils avaient parcouru à pied avec leur troupe, plusieurs centaines  de kilomètres dans le Sud-Ouest de la France  mais aussi jusqu’en Belgique, jouant leurs spectacles- pour la plupart des pièces de Fenwick- dans des conditions spartiates. Fenwick  en a publié le récit hilarant dans Un théâtre qui marche, chez Actes Sud.
Mais l’auteur-metteur en scène n’a pas  perdu le goût des aventures. Nous avions pu voir au Jardin des Carmes en Avignon Est-Ouest, un spectacle décapant sur le retour à Berlin-Est d’une allemande émigrée et déçue par l’Occident avant la chute du mur,  qui avait déjà quelque chose d’autobiographique( voir Le Théâtre du Blog).
On a fait ce qu’on a pu…est de la même veine ! Mais, cette fois, c’est le récit d’un rêve avorté, pourtant longuement mûri pendant quatre ans, d’une épopée théâtrale qui devait le conduire en 2012, avec sa compagnie, de Brest à Vladivostock. Philippe Fenwick se lance dans l’aventure en 2008, le jour de la mort de son père dans un accident d’avion. Il entreprend des démarches aussi harassantes qu’inutiles pour trouver les financements indispensables au voyage de sa troupe.
Mois après mois, les rendez-vous s’annulent, les lettres  administratives lui mangent la tête et cela l’empêche de se consacrer à l’écriture de son œuvre rêvée. Mais le fameux bureau A du Ministère de la Culture qui devait lui ouvrir enfin les portes de son rêve, n’existe plus.
Interprété avec un bel humour par le metteur en scène et deux techniciens qui règlent les effets sonores et visuels, Fenwick accueille chaque soir des artistes; ce soir-là, c’est Sarah Schwarz, fil-de-ferriste et ZED, un  musicien qui l’accompagnent.

Il évoque aussi le spectacle qu’il avait monté à l’Atalante sur la célébrité oubliée d’un certain Jacques Mercier, qui avait entrepris un voyage autour de sa chambre. Ce Don Quichotte du théâtre nous régale de son humour joyeux.

Edith Rappoport

Théâtre 13 (joué du 2 au 14 avril)


Archive pour avril, 2013

Travail

Travail, installation vidéo et spectacle chorégraphique de Philippe Jamet.

 

Travail travail-oderoziere-02-vgFidèle à sa démarche qui consiste à travailler avec des danseurs professionnels mais aussi avec des amateurs de milieu, âge et pays différents, Philippe Jamet, élève de Merce Cunningham, interroge cette fois le sens du travail dans la vie de nos contemporains.

Il présente un spectacle en deux temps. Un film, d’abord, composé de six vidéos de dix minutes, met en scène des entretiens menés pendant un an auprès d’habitants de Calais, Bourges, Bobigny, Paris, Vitry, Sénart. Ils sont : journaliste, plombier, libraire, professeur, secrétaire… etc.
Chacun y décline son rapport au travail : comment il l’a choisi, en quels gestes il consiste, quelle place il occupe dans sa vie… Ces portraits filmés, savamment montés et architecturés  comme une chorégraphie, constituent un chœur vivant de travailleurs, un « nous »,  où tout un chacun se reconnaît, plus ou moins. On découvre avec surprise que le travail n’est pas un supplice, malgré son étymologie (tripalium : instrument de torture), qu’il y a même du plaisir à en parler, à en montrer les gestes, à en faire partager l’expérience. C’est ce même plaisir qu’on éprouve après l’entracte, sur le plateau.
Cette mosaïque de personnages est en effet la matrice d’une chorégraphie puissante et ludique qui mêle danseurs professionnels et amateurs. En gestes, en paroles, en musique, en solo ou en chœur, ils donnent à voir et à entendre ce qu’il en est de cette étrange activité humaine qu’on nomme travail. Une chaleureuse énergie anime les danseurs qu’ils communiquent, dans une belle connivence, au public…
Car le travail, ça nous travaille tous!

Mireille Davidovici

La Maison des métallos jusqu’ au 14 avril ; les 18 et 19 avril à La Coupole  de Melun-Senart et du 2 au 5 mai au Channel/Calais

The collected works of Billy The Kid

The collected works of Billy The Kid, adaptation du roman de Michel Ondaatje et  mise en scène de Dan Jemmett.

 

The collected works of Billy The Kid billy-the-kid-c-pascal-victor-1210

©Pascal Victor

Les cinq artistes américains étaient tendus pour cette première à Paris: difficile en effet d’emmener en anglais le public dans une forme de théâtre-récit, qui évoque la vie de Billy the kid, le hors-la-loi mythique du Far-West.  Avec, dans les murs chargés de symboles des Bouffes du Nord, juste quelques accessoires: une baignoire en fonte, un rideau de velours rouge, un piano droit, une kitchenette,  deux tables,  quelques chaises, un matelas, un tourne-disques et des bouteilles de brandy…
Le texte, adapté de l’œuvre du romancier, cinéaste et éditeur Michel Ondaatje, permet de découvrir quelques passages de la vie de « cet assassin sensé qui ne se servait jamais de sa main gauche, sauf pour tirer! ». Dan Jemmett utilise ici tous les artifices de jeu possibles pour évoquer la vie  de Billy the kid avec des moments  de cabaret, de danse,  de ventriloquie, voire de  théâtre d’objets. La bande-son de Sadie Jemmett, faite d’un mélange de standards américains, est efficace. Mais ces quatre-vingt-dix minutes manquent de rythme,  surtout dans la première partie, où le metteur en scène coupe les scènes avec un éclairage pleins feux !
Ensuite, cette « sorte de carnet de brouillon », comme l’évoque Dan Jemmett, prend son rythme et les spectateurs adhèrent d’autant plus au spectacle que les comédiens leur offrent un  verre de Bourbon pour réchauffer l’ambiance. Les  cinq acteurs sont justes et  nous font revivre la dureté des liens relationnels dans une Amérique naissante, où la vie ne tenait souvent qu’…à une balle.
L’équipe du Quantum Theatre de Pittsburg est la même qu’en 2007, sauf une jeune comédienne anglaise, Emma Darlow,  qui a repris un rôle quinze jours avant la première… Et ses hésitations ont quelque chose de touchant. On assiste donc à un spectacle étrange-qu’il faudra mieux découvrir après quelques jours de rodage- mais qui a le mérite d’accrocher  le spectateur parisien curieux.

Jean Couturier

Théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 27 avril.

Célébration

Célébration de Jean-Pierre Brisset par Marcel Bénabou,  David Christoffel, Philippe Collin, Marc Décimo, Chloé Delaume, Yves Koerkel, Christian Prigent, Jacques Rebotier, à l’initiative de la Maison des écrivains.

Il y a cent ans, le 13 avril 1913, sous la houlette de Jules Romains, un joyeux aréopage d’écrivainCélébration brisset-au-musee-rodins : Max Jacob, Stefan Zweig, Yvonne George, Apollinaire… entraînait un petit vieillard devant Le Penseur de Rodin qui trônait alors devant le Panthéon. Ils le couronnèrent Prince des penseurs .Comme il n’avait pas perdu de son humour, malgré son émotion et ses soixante-seize ans, il déclara : « Il n’est pas nécessaire d’être nu pour penser.»
De même, dans les jardins
du Musée Rodin, un cénacle d’écrivains commémore l’événement devant le même Penseur, en lançant les mots de Brisset sous le ciel mitigé d’un printemps qui hésite.
Elle n’a pas pris une ride,
la langue de ce fou du verbe, archéologue du langage, qui décortique les mots jusqu’à l’os de leurs sens, et qui démultiplie le logos, à n’en plus finir. « La geule oire, la gloire. La gloire appartient à celui qui a rempli la bouche de l’homme de sa parole.  » « Le gosse lançant son eau fut le premier logos… »Les jeux de mots, de langue et de sens mènent au gouffre vertigineux des phonèmes. Un plaisir partagé par un public réceptif.
 » Quand on est mort, c’est pour longtemps « , dit Brisset, mais Brissettologues et Brissetphiles se chargent de ressusciter le théoricien du devenir-homme des grenouilles, qui enthousiasma Marcel Duchamp. Un site ludique lui est consacré, ainsi que des publications récentes .*
La Maison des écrivains**, qui organise par ailleurs de nombreuses rencontres, nous promet un banquet Brisset . À suivre…

Mireille Davidovici

* Les Origines humaines, préface de Christian Prigent. Éditions Rroz. Œuvres complètes, réunies et préfacées par Marc Décimo Les Presses du réel.Œuvres natatoires, préface et postface de Marc Décimo, Les Presses du réel.

**Maison des écrivains de la littérature : T: 01-55-74-60-90

http://www.m-e-l.fr/index.php

The Tempest

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©Alípio Padilha

The Tempest d’après Shakespeare et Purcell, par le Teatro Praga de Lisbonne.

Le Teatro Praga, collectif d’artistes portugais, rassemble comédiens, chanteurs, musiciens, plasticiens et vidéastes et présente, après Le Songe d’une nuit d’été, monté en 2010, le second volet d’un projet en triptyque. La démarche part du semi-opéra, (genre musical lyrique baroque) de Purcell, La Tempête, écrit en 1695.
Un écran miroir fait face aux spectateurs lorsqu’ils pénètrent dans le théâtre. Ils s’y réfléchissent et sont accueillis par deux personnages, drôles et impertinents, une actrice aux cheveux verts, elfe moderne et un acteur anachronique et pince-sans-rire, en costume d’époque shakespearienne. Ce duo ébouriffé passe d’une allée à l’autre, en un happening débridé, et apostrophe le public, sous le regard d’une vidéaste, qui renvoie les images sur grand écran. Gros plans sur spectateurs et questions décalées, avec réponses imaginées, en play-back.
Dans une grande cage, au centre du plateau, objet principal de la scénographie dont on entre et on sort, des personnages s’invectivent et gesticulent. C’est le lieu musical, repère des cinq chanteurs et des deux musiciens  entourés d’une pile de machines.électroniques. De temps en temps, une soprano fait entendre sa magnifique voix.
Et l’action se déroule, un voilier modèle réduit, sombre, repris par un jeu de caméra qui accompagnera tout le spectacle, principe même du parti-pris de mise en scène, avec un Ariel réalisateur. Sur écran, paquets de mer et croisière avec jeunes femmes en bikini, commentaires parallèles, au sol, une machine à vent. Deux Prospero, super-régisseurs, s’occupent de la magie, faisant descendre des cintres des rampes de néons couleurs, qui s’échouent sur le plateau, et plantent des décors de palmiers électriques version kitch, paradis artificiels de notre bord de mer. .
Don’t disturb (ne dérangez pas…) les acteurs… très concentrés, occupés à brouiller les cartes et à faire perdre le nord. Ne cherchons pas le tracé shakespearien, les personnages sont ici placés dans une centrifugeuse tournant à grande vitesse, et libremement ré-interprétés : Antonio, Ariel, Caliban, Ferdinand, Miranda, Prospero et le roi de Naples, nous soumettent donc à leurs intempéries.
Gîte et ambiance fellinienne, à certains moments, spectacle dans le spectacle à en perdre son portugais et son anglais (ici sur-titrés),  le fil conducteur restant la musique et les superbes voix, auxquels s’intercalent d’autres lectures et propositions décalées : une séquence piano-chant et l’ombre des acteurs sur écran,effet version film ancien type sépia, chansons pot-pourri de Jacques Brel (Une Ile),  à la Compagnie Créole, en passant par Milly Scott.
Ode au petit frère mort et faux squelette ; distribution de vodka dans la salle ; énormes plumes en carton-pâte; mutinerie générale et coups de pistolet, dans la cage aux musiciens, le chaos est général et chacun mène sa partition, version thriller, créant l’illusion. Au final, Ariel se couvre du rideau de scène : “Je vis du temps prêté”,  dit-il, drapé d’or, comme Prospero, jetant les clés à son frère Antonio.
Fin du rêve éveillé. L’objet est exotique, entre artisanat, technologies et grand spectacle. On ne peut citer le long générique, professionnel et amusé. Pas sûr pourtant, qu’avec cette Tempête, chaotique à souhait, la magie n’agisse vraiment. Et le spectateur met les voiles.

Brigitte Rémer

MC 93 Bobigny, Maison de la Culture de la Seine-Saint-Denis, du 5 au 7 avril. Représentation en portugais sur titrée.

 

Torquato Tasso

Torquato Tasso, de Johann Wolfgang von Goethe, texte français de Bruno Bayen, mise en scène de Guillaume Delaveau.

 

Torquato Tasso torquato-tasso-pascal-gely-300x199Le plus grand poète de son temps, pilier de la littérature et de la langue italienne, enjeu de luttes de pouvoir entre les princes, emprisonné, interné : Torquato Tasso (dit Le Tasse), auteur de  La Jérusalem délivrée. Il a aussi écrit , avec génie,  Tancrède et Clorinde, Renaud et Armide, Les Muses galantes, qui ont inspiré Monteverdi et  nombre de compositeurs d’opéra.
Le personnage historique semble bien avoir été, tel que le représente Goethe, infantile, capricieux, paranoïde (au moins), bipolaire… En face de lui, un « bon prince », Alphonse II duc de Ferrare, est un vertueux et efficace diplomate.
Ce drame ne suffirait pas à assurer la gloire durable de Goethe mais pose la question du rapport de l’artiste avec le prince, donc de sa liberté. Et cela, de façon aiguë et sensible, ce qui n’est pas indifférent en ces temps de subventions en voie de tarissement, égarées dans les sables mouvants d’une politique illisible.
Mais la pièce est avant tout autobiographique : s’y heurtent les Lumières et le Sturm und Drang (le préromantisme allemand), et s’y séparent les différentes figures de Goethe : le jeune poète qui se voudrait fou, qui verse les torrents de larmes d’une sensibilité frémissante (relire Werther, autre source d’opéra), et qui fuit en Italie, et, plus tard, le sage diplomate, le notable des lettres. Goethe se projette à la fois dans Tasso, dans l’habile Antonio, et même dans le bon prince, qui impose des chaînes à l’artiste inspiré.

Le décor évoque un hall de musée, avec les bustes de Virgile et de l’Arioste, ou le siège social d’une société cossue et cotée, avec des pelouses en tapis brosse/ jardins des délices, deux jeunes femmes,(inspirées un peu lourdement, par celles de Shakespeare (on pense à Peines d’amour perdues, mais, qui, ici,  ne sont pas perdues… ou à l’éloge de la musique, à la fin du Marchand de Venise), couronnent le merveilleux jeune poète pour le manuscrit –pour lui, encore insatisfaisant- qu’il vient de leur remettre.
Couronne prématurée, semble-t-il, pour le jaloux, ou prudent Antonio. Conflits, querelles, arbitrage du Prince et pression des dames, excuses réciproques, ça s’arrangerait presque, sans les insolentes et dépressives mutineries du poète, avec son côté rappeur buté.
C’est joué de façon très juvénile, sans nuances, même par Océane Mozas et Violaine Schwartz qu’on a connues plus passionnantes. Comme si cela  risquait de faire basculer la pièce dans un réalisme honni, et, de fait, hors de propos. Mais, du coup, il ne se passe pas grand-chose, et l’on a tout le temps d’échafauder des hypothèses, par exemple, sur le caractère autobiographique (et d’auto-célébration) de la pièce.
Le théâtre y perd, mais… cela reste une intéressante curiosité.

Christine Friedel

Théâtre de Nanterre-Amandiers jusqu’au 27 avril. T : 01-46-14-70-70

Ravel

Ravel, de Jean Echenoz, adaptation et mise en scène d’Anne-Marie Lazarini.

Ravel ravel4-300x216Jean Echenoz a bien « fait du roman », en inventant, avec tendresse et ironie, le personnage de Maurice Ravel,  inspiré par des témoignages indirects sur le compositeur. Photos, anecdotes dessinent ce petit homme impeccable, bon nageur, idole des foules mais  plutôt solitaire, grand consommateur de Gauloises et d’amitiés tyranniques, finalement miné par les effets sournois d’un accident de taxi.
Dans un décor d’un bleu, disons simpliste !(même le piano de concert mais  c’est une simple  pellicule!), Ravel et les deux narrateurs passent d’un jouet à l’autre: un joli train électrique fait circuler les tournées de Ravel à l’avant-scène, une maquette de paquebot emmène le récit en Amérique, une malle-cabine escamote les épisodes successifs, on joue à l’automobile… Le style de la mise en scène, collé au récit d’Echenoz, est précis, ironique, et parfois cocasse.
Les deux narrateurs (Coco Felgeirolles et Marc Schapira) jouent, successivement et avec bonheur,  les personnages rencontrés par Ravel: ArturoToscanini, Ludwig Wittgenstein, puis le pianiste manchot-qui lui avait passé commande  du Concerto pour la main gauche-pas satisfait  du résultat, et enfin la fidèle Marguerite Long… Une frustration cependant: Anne-Marie Lazarini, emportée par le tempo, ce que l’on veut admettre quand on parle du Ravel du Boléro, ne  laisse ni aux acteurs ni à nous, le temps du plaisir du texte. Mais l’auteur a aimé le spectacle! Alors…

Michel Ouimet en Maurice Ravel piquant, à l’unisson de ses partenaires, glisse en douceur vers une fragilité de plus en plus émouvante, jusqu’à être bouleversante : une émotion que l’on n’attendait plus. Cela commence quand  il chante, avec une justesse et une simplicité parfaites,  une de ses mélodies.
Car la musique tient dans ce spectacle la place qu’elle mérite. Au piano, on entend Yann Robillard ou Andy Emler, qui a écrit sur mesure (!) de courts morceaux en hommage vivant à Ravel, de Ravel, pour Ravel, en souvenir de Ravel, du jazz qu’il aimait, de Gershwin… La musique, elle, prend le temps qu’il lui faut, et c’est très bien ainsi.

 

Christine Friedel

 

Théâtre Artistic-Athévains. T: 01-42-81-35-23, jusqu’au 5 mai.

Le texte est publié aux Editions de Minuit.

Les Apaches

Les Apaches, mise en scène, décors et costumes de Macha Makeieff.

 

Les Apaches les-apaches-de-macha-makeieff-

 

 

Cela se passe dans la salle d’un vieux théâtre, le Nickelodéon, une sorte de cabaret américain avec une petite scène étroite au rideau minable et aux pilastres doriques en mauvais état. C’est un univers glauque que l’on pourrait situer dans les années 20,  où des artistes réincarnent les Apaches, les voyous et souteneurs prêts à tirer leur couteau qui régnaient sur le Paris de Montmartre et des fortifications.
Règne ici un joyeux foutoir: palmier en pot qui n’en peut plus, vieux piano, caisses, malles, et rangées de fauteuils aux sièges en bois comme dans les  cinémas d’autrefois. C’est, sur le, plan plastique, parfaitement réussi et Macha MakeIeff n’a rien perdu de son savoir-faire. Les artistes, dirigés par un gros bonhomme habillé d’un smoking blanc,  sont tous un peu pathétiques: ils se croient en haut de l’affiche mais ont un peu de mal à réussir leur numéro. Il y a ainsi des danses entre amoureux, un combat de boxe plusieurs bagarres entre mauvais garçons d’opérette, un numéro d’illusionniste, avec des chaises qui s’envolent au ciel par miracle ou, plus classiques mais toujours appréciés par le public, celui du foulard qui se change en bâton ou en bouteille, le tout sur musique enregistrée, ou en direct,  avec l’excellent accordéoniste Philippe Borecek qui a abandonné les Toccatas de Bach pour des airs de bastringue-et métamorphosé ici en russe barbu de cabaret avec de grandes bottes rouges…
Les numéros s’enchaînent, ou plutôt s’ajoutent, sans guère de fil rouge, mêlés à des séquences de film muet en noir et blanc qui, très réussies, ont été habilement filmées par Simon Wallon qui avait déjà travaillé avec Macha Makeieff et Jérôme Deschamps.

La réalisation est soignée, et  les huit acteurs, dont une seule femme, sont parfaits-en particulier, Braulio Bandeira qui joue les travestis noirs avec une superbe élégance, et le spectacle, créé à Marseille en janvier dernier, est bien rodé, à la limite de la virtuosité. Malgré cela, on s’ennuie très vite.
” Entrées en scène frénétiques, rituels de l’avant spectacle, solitudes des longues tournées, pantomimes infatigables. Je me suis rappelé, pour dire la scène comme déclassement dangereux et sublime, quelques grandes figures féminines : Mireille Havey, Claude Cahun ou Marguerite Moreno qui m’accompagnent depuis longtemps”, dit Macha Makeïff. On veut bien… Mais la traduction de tout cela reste trop conventionnelle et souvent longuette: les petites scènes, déjà pas très passionnantes, se répètent et le second degré rejoint le premier… Sans doute aussi, nous a-t-on sans doute trop souvent fait le le coup du théâtre dans le théâtre, thème de nombreuses comédies musicales et il manque au spectacle une folie et un délire qui étaient à la base des spectacles des Deschiens auxquels Macha Makeïeff aura beaucoup apporté (pas de nostalgie mais un simple constat) .
Folie et délire que l’on retrouve heureusement vers la fin, quand tout commence à se déglinguer. Tout d’un coup, le spectacle prend une autre dimension. Quand on voit, par exemple, Henri VIII et Anne Boleyn à l’écran et, en même temps sur scène, parfaitement ridicules, ou quand les comédiens, tous en marins de pacotille, vont vivre la fin du Titanic, en se réfugiant dans une cabine, agglomérés les uns aux autres. Il y a, comme cela, de belles et fortes idées de théâtre que l’on aurait bien aimé trouver avant…Dommage!

Un spectacle très réussi sur le plan scénographique, maîtrisé sans doute mais trop inégal, dont les effets se perdent dans la grande salle de Bobigny, que l’on voit avec plaisir aux meilleurs moments mais qui nous a laissé, pour le reste, sur notre faim…

Philippe du Vignal

M. C. 93 Bobigny jusqu’au 21 avril. T: 01- 41-60-72-72

Bourreaux d’enfants


La  Pluie d’été de  Marguerite Duras , mise en scène de Lucas Bonnifait.

 

Bourreaux d'enfants 632cac3e4dd73172f1c55eb46d4647f0Le Théâtre de l’Aquarium accueille le second acte de son cycle  Bourreaux d’enfants, avec deux  pièces  qui traitent de près ou de loin des questions familiales. Publié en 90, après un silence dû à des soucis de santé, La Pluie d’été  se situe à Vitry-sur-Seine , dans une famille d’immigrés. Le texte est issu de celui  des Enfants tourné en 84 par Duras, déjà dans cette ville qu’elle arpentait alors  avec Yann Andréa; elle se passionnait pour  un univers éloigné de ses habitudes et  qu’elle découvrait, .
Ernesto, un des sept enfants d’une famille refuse d’aller à l’école; il se plaint de n’y apprendre que des choses qu’il sait déjà. Ses parents,  qui le soutiennent,  vont trouver l’instituteur, très étonné par ce jeune garçon pas comme les autres, pour lui expliquer sa décision .
La connaissance d’Ernesto se forge peu à peu et devient inquiétante; il s’interroge sur l’existence de Dieu, sur son rapport à ses parents, son avenir… Des parents qui ne croient plus en grand chose, si ce n’est en leurs enfants, et qui tentent d’exister;  c’est une  famille déracinée qui est quelque part sans être chez elle.

Lucas Bonnifait nous propose une lecture  particulière de  la pièce et  installe le public aux quatre  coins du plateau, où les comédiens commencent par se distribuer les rôles: « celui qui fait Ernesto », « celle qui fait la Mère » et « celui qui ne fait rien » mais qu’on appelle pour tenir le livre, support  bien vite abandonné,  au fur et à mesure que l’on pénétre dans la pièce.
Les trois comédiens nous amènent peu à peu dans un  univers qui prête d’abord au rire, Ava Hervier  épluche des pommes de terre, en se faisant une place parmi les spectateurs; elle  campe une mère à demi-folle qui s’exprime très lentement avec des regards appuyés et des expressions figées aux limites de la grimace. Et on arrive à rire de cette situation  presque ubuesque.
Les autres rôles sont échangés: Jean-Claude Bonnifait et Raouf Raïs incarnent tour à tour le père, l’instituteur, le frère… Les deux comédiens ont un jeu plus traditionnel, moins outré qu’Ava Hervier, ce qui fait  une différence  et  ne sert pas le propos. Mais on  est captivé par  le jeu de la comédienne. Et quand elle n’est pas en scène, on attend sa prochaine rentrée.
La mise en scène permet à ce texte de sortir véritablement du livre en  nous proposant des personnages spirituels, absurdes et presque fantastiques. Le petit garçon va très loin dans ses interrogations sur la vie; il en devient angoissant et surnaturel:  on est aux limites du conte.
Malgré une direction  d’acteurs  inégale et une sonorisation peu convaincante, Lucas Bonnifait propose un regard original sur une oeuvre de Marguerite Duras qui compte certainement parmi ses plus singulières…

J. B.

Théâtre de l’Aquarium


Notre avare,  d’après L’Avare de Molière mise en scène de  Jean Boillot.

Le public entre sur le plateau  de l’Aquarium et est accueilli par les comédiens qui, dans le brouhaha, disent  certaines répliques du texte que l’on peine à entendre distinctement. On nous sert un petit verre au liquide coloré, comme si nous étions à une fête. Ce genre d’entrée qui se veut originale est  quand même  du genre vu et revu.
Comme ce n’est pas si évident avec la langue de Molière, cela donne du coup l’impression d’être « joué »: c’est aussi un talent que de savoir commencer un spectacle, proposer une première image, embarquer les spectateurs dans un rythme, une forme. Mais là,  nous sommes face à des personnages un peu hallucinés, un jeu outré mais auquel on finit par s’habituer, et  qui apporte alors  à la pièce un vrai ressort et beaucoup d’humour.
Et  les comédiens s’accordent assez bien à la mise en scène. Jean Boillot a choisi le  parti pris d’un plateau presque nu, avec une rampe de projecteurs, des costumes actuels et juste deux tables. Malgré cette scénographie pourtant assez intelligente, on entend mal  certaines scènes: les comédiens qui sont en fond de scène nous tournent le dos!
Mais il y a une belle interaction avec la salle, et les personnages y  vont souvent;  la langue et surtout l’intrigue de Molière sont délicieuses et l’ont voit arriver le dénouement et les coups de théâtre avec plaisir.  Les comédiens joueront tour à tour Harpagon avec sa fraise; la fameuse scène qui compte parmi les plus célèbres de théâtre français (Ma cassette …) est un passage délicat plutôt bien abordé, avec une accélération du rythme et une polyphonie des comédiens dont l’engagement est indéniable. Bref, une heure et demi de bonheur…

Julien Barsan.

Théâtre de l’Aquarium

Notre exception culturelle

Notre exception culturelle : une ambition française ? Dans le cadre de la 22e journée du livre politique à l’Assemblée Nationale.

C’est sous l’or des salons de l’Assemblée Nationale, que s’est déroulée une  rencontre animée par la journaliste Arlette Chabot. Renaud de Spens, auteur d’un Dictionnaire impertinent de la Chine, a parlé des modifications du langage que la mondialisation induit et a pris  pour exemple le « Votre honneur » que les témoins  d’une affaire judiciaire  en France utilisent,  sous l’influence des  séries télévisées américaines !

Notre exception culturelle photo-1
Muriel Mayette, administratrice de la Comédie-Française, parle de ses voyages à l’étranger avec  la troupe qui véhicule la langue française et elle  cite la phrase d’un ministre soviétique de la culture en 1950: « Quand les muses parlent, les canons se taisent ». Elle insiste aussi sur l’importance de la traduction et sur  son besoin d’actualisation permanente. La traduction, remarque-t-elle, est une trahison nécessaire ». Pour elle,  la notion d’oralité et de travail obligatoire de la mémoire  pour un comédien semble se perdre aujourd’hui.
Alain-Gérard Slama, journaliste et historien, souligne que la culture française n’a jamais été aussi haute à l’étranger, qu’à l’époque où elle  s’identifiait aux écrivains qui s’occupaient du domaine public, comme Victor Hugo, par exemple. Pour lui, le « tout culturel », sans périmètre défini, a beaucoup de défauts. Il ne pense  pas être conservateur mais, selon lui, nous sommes installés dans une période où il y a une confusion des genres, notamment à cause d’Internet et des réseaux sociaux qui ont bouleversé la diffusion de la culture.
Cette confusion nuit à l’exception culturelle française, en particulier,  quand d’autres cultures sont régies  par des perspectives de rentabilités économiques, comme, là encore,  celle des Etats-Unis,  support de la mondialisation. En 1955, c’était il y a bien longtemps… un utopiste écrivait :  » De toute façon, le théâtre appartient à la vie de l’homme, il lui est aussi nécessaire que le manger. Du moins, en notre Europe. Allemagne, Angleterre, France, Italie, Espagne, Grèce, chacun de ces pays à son tour, a pris en charge, au cours des temps, la civilisation par le moyen artisanal du théâtre. » Il se nommait Jean Vilar.

Jean Couturier
www.lirelapolitique.com

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