Par le Boudu
Par le Boudu de Bonaventure Gacon.
Bon bougre ou mauvais bougre, Bonaventure Gacon apparaît comme un grand et solide gaillard dans ce spectacle de clown, qu’il a créé il y a plus de dix ans…
Le plateau nu accueille la prestance d’un fameux costaud, les épaules larges, les bras légèrement tendus en arrière avec de larges mains plates et ouvertes comme des palmes-l’offrande renversée d’un pantin aux membres désarticulés qui auraient été mal réajustés-un buste développé et des muscles saillants cachés sous des oripeaux de clown, des nippes de looser-souquenille et basques beckettiennes-que rehaussent nez et chaussures rouges d’un vif éclatant.
Grimage outrancier et pratique toute personnelle de la langue quand l’être se parle à lui-même sans mensonge ni apparat, avec une voix sortie des profondeurs de la solitude, et une gesticulation insolite et modérée: notre Boudu se rapproche de l’Auguste du cirque et de ses trébuchements maladroits et bouffons.
Paradoxe: ce lascar robuste à la robuste constitution, et plein de vie et de force -brave type qu’on attendrait jovial et allègre-reste enclin à la mélancolie, au regret et à la désespérance quant à l’état du monde, des hommes et des objets qui les encombrent. Un être infiniment touchant, conscient de sa fragilité et de la relativité de son existence, clown métaphysique et poète de l’échec et de la honte, violoniste à ses heures et brillant acrobate aux contorsions mystérieuses.
Une table en bois brut rafistolée et branlante semble l’alter ego de ce Boudu des planches, à peine sauvé des eaux, aux allures de clochard anarchiste et d’anti-héros à la Renoir. Le clown triste cogne régulièrement de son pied-avec une brutalité et une colère injustes– cette table familière et soumise qu’accompagne une pauvre chaise en métal bruyant, elle aussi malmenée et bousculée à volonté, véritable souffre-douleur à connotation féminine. L’ustensile-phare qui accapare son attention est une vieille poêle usagée-son « petit poêlon-dont la contemplation provoque chez lui un moment de poésie et de tendresse insolites.
Creux, torsions, traces d’usure de l’objet abîmé, trous, sont autant d’occasions d ‘expression intime et de tendresse pudique, une petite leçon d’artisanat et d’esthétique donnée sur le pouce.
Il y a chez ce clown auguste un écart permanent entre l’impassibilité et le flegme émotifs apparents d’un visage grimé aux yeux lunaires comme des soucoupes, et la vivacité intrinsèque d’un corps lourd mais mobile et actif : sauts en arrière au-dessus de la table, contorsions et jambes emmêlées, art risqué de la chute à répétition sur des patins à roulettes intraitables..
Les accidents, chez lui, sont violents et soudains, mais il possède, pour tomber sans blessure, les techniques et la souplesse de l’acrobate. Les pitreries, affichées et balourdes, de cet ours gentil cachent une âme sensible à l’écoute des petites blessures intimes de soi et des autres.
Ce jongleur des mouvements dérisoires de la vie se dit méchant et croqueur de petite fille : ce mensonge révèle d’autant mieux l’intérêt qu’il a pour les seuls jeux du cœur et du corps.
Véronique Hotte
Théâtre de la Cité Internationale à 20h jusqu’au 4 mai. T: 01-43-13-50-50. Et prochainement Matamore par le Cirque Trottola et le Petit Théâtre Baraque, avec Nigloo, Titoune, Bonaventure, Branlotin et Mads, à Besançon, Oullins en mai, Annecy en juin, Alba-La- Romaine en juillet , et le 104 en octobre .