Exit/Exist
Exit/Exist, chorégraphie et performance de Gregory Maqoma
De dos, en costume de satin clair, grâce à la volubilité de ses mains et l’expressivité d’une gestuelle très personnelle, l’homme semble écrire un nouvel alphabet, ou parler avec les esprits. Il se fond dans les notes savantes de la guitare de Giuliano Modarelli, semblable aux tonalités fragiles d’une kora ou d’une harpe, et ancré dans le sol, essaie d’attraper le vent.
Puis il se métamorphose, revêtant une tunique traditionnelle et guerrière. Sa quête, qui devient la nôtre le temps du spectacle, repose sur la reconstruction de la mémoire familiale et, de manière plus large, de la mémoire sociale, à la recherche de son ancêtre Jongumsobomvu Maqoma. Pas moins de neuf guerres de frontières se sont inscrites, à partir de 1779 et pendant un siècle, entre les chefferies Xhosas et les autorités coloniales du Cap, en Afrique du Sud. En référence à la sixième, dans les années 1834 à 37 , Maqoma, à la tête d’une importante armée s’étaitbattu, pour stopper le processus de colonisation britannique, et mourut, des années plus tard, en prison.
C’est à une sorte de cérémonie animiste, mi guerrière, mi-rituelle, que nous sommes conviés, en lien avec la croyance traditionnelle et le royaume d’esprit où les ancêtres disparus prennent place dans la communauté. L’eau et le sable, les offrandes et objets sacrés, les gestes rituels, racontent. De petits monticules de semoule, dont l’un est couronné de la corne d’un animal sacrifié, plantée au sommet, délimitent l’espace. Maqoma, le danseur contemporain, devient alors Maqoma, l’ancestral chef Xhosa, extraordinaire glissement d’identité qui remonte le fleuve de l’Histoire… et montre, à la fin, un chef vaincu, brisé, et exilé, loin de sa terre natale.
Autour du danseur et portant son action, un quatuor de célébrants-narrateurs, chanteurs a cappella, font vibrer la langue xhosa surtitrée, en de précieuses polyphonies, dans la pure tradition zouloue ou dans celle d’une messe des savanes.
Bubele Mgele, Happy Motha, Linda Thobela et Bonginkosi Zulu, entre soul et jazz, participent de la réussite du spectacle conçu et dansé par Gregory Maqoma, sous la direction de James Ngcobo avec qui il travaille depuis 2008, et dans une prodigieuse composition musicale de Simphiwe Dana.
Exit/Exist, Mahabharata en petit format, au meilleur sens du terme, nous fait traverser le temps, et méditer sur un pays, l’Afrique du Sud, plus souvent évoqué au vingtième siècle avec l’apartheid. Nous sommes ici dans la tradition, le populaire, l’Histoire, le culte des ancêtres et l’au-delà, allant par moments jusqu’à la possession et la transe. Le dépouillement reste de mise, mais on peut réfléchir à l’équilibre, pas tout-à-fait trouvé, entre les disciplines : la danse qu’on aimerait voir encore et plus ; la théâtralisation, expression très/trop? ritualisée du thème ; l’environnement musical et le vocal, très présents mais… qui s’en plaindrait ; la vidéo, qu’on peut oublier car on ne la voit pas.
Danseur, chorégraphe et pédagogue, fondateur du Vuyani Dance Theatre en 99, dans laquelle il énonce les termes théâtre et danse, Gregory Maqoma se produit en Afrique du Sud, à Johannesburg notamment, sa ville natale, et dans le monde depuis une quinzaine d’années. Il y a chorégraphié, en 2009, avec Brett Bailey, 3 Colours pour le sommet mondial des arts et de la culture, et en 2010, L’Ouverture de la Coupe du Monde de football. Il confrontait, la même année, les esthétiques de Faustin Linyekula (République Démocratique du Congo), Vincent Mantsoe (Afrique du Sud) et Akram Khan (Bangladesh), dans Beautiful Me, présenté dans ce même Théâtre des Abbesses qui lui va bien.
» Je suis prêt à voler, donne-moi le vent pour que je puisse voler », dit Ndiredi, dans ce spectacle où Gregory Maqoma rassemble ses « mémoires de poussière et de neige » comme Breyten Breytenbach, peintre et poète, rassemblait les siennes après ses séjours en prison. Que Maqoma, le nôtre, le contemporain, poursuive son vol car il possède invention, réflexion et poésie, dans ce voyage initiatique de justice et de vérité. Nous restons aux aguets.
Brigitte Rémer
Théâtre des Abbesses jusqu’au 4 mai. T : 01-42-74-22-77 www.theatredelaville-paris.com