Une « traversée » avec Jerzy Grotowski

Une « traversée » avec Jerzy Grotowski, organisée par l’IMEC-Abbaye d’Ardenne et le Studio-Théâtre de la Comédie Française.

Une

akropolis

Grotowski: un nom magique, autour des  années soixante. Dans une Pologne souterraine, créative à l’extrême, où il y avait un mur à pousser. Avec Tadeusz Kantor, autre grand de ce temps sur la scène artistique, des plasticiens, écrivains, graphistes, réalisateurs, acteurs et metteurs en scène, longtemps sous le manteau pour raison de stalinisme, ont ébranlé le paysage théâtral.

Jerzy Grotowski, lui, metteur en scène et théoricien, a révolutionné le théâtre en plaçant l’acteur au cœur du processus de création, dans le plus grand dépouillement, et le plus fort engagement. Travailler au Théâtre-Laboratoire de Wroclaw, en Pologne, selon les canons de son “théâtre pauvre”, était pur sacerdoce: il était l’officiant et appliquait ses théories.
La mise en condition par des entraînements quotidiens intensifs dignes d’athlètes de haut niveau, exercices dits : Physique, Plastique et Improvisation “au-delà de la douleur” comme il se plaisait à le dire, ne pouvait rendre, en éliminant les résistances, que virtuose ou fou.

Tel fut le chemin emprunté par Jerzy Grotowski (1933/99) qui a interpellé de nombreux acteurs de tous pays, en quête d’un nouveau langage théâtral, se jetant à corps perdu, dans l’expérience : recherche des limites du corps et de la psyché, du charnel et du spirituel, de soi et de l’autre, mise en marche de l’imaginaire à partir de l’expérience intime, telles sont les bases de son théâtre qui ont changé la relation fondamentale au texte et englobé les spectateurs dans une dramaturgie spécifique à chaque représentation.

Peter Brook, parlant du travail de Grotowski, dit, en 77, dans
L’Espace vide : «Le spectacle devient un acte de sacrifice, une offrande publique de ce que la majorité des gens préfèrent cacher, et une offrande au spectateur. Grotowski avait  converti la pauvreté en idéal, ses acteurs se sont dépourvus de tout, sauf de leur propre corps ; ils disposent d’instruments-de leur organisme et d’un temps illimité, rien d’étonnant alors s’ils considéraient leur théâtre le plus riche du monde».
Avec son Théâtre-Laboratoire créé en 62, derrière le “mur” encore, et envié du monde entier, Grotowski a semé le doute quant à la finalité de la représentation, qui était pour lui,  une véritable célébration. Ses travaux aboutirent à des mises en scène très personnelles, qu’il mettait un long temps à peaufiner, au corps à corps avec les acteurs : “
Akropolis en 63, Le Prince Constant en 65, Apocalypsis cum figuris en 68 ont fait date et parcouru le monde. Il partit  ensuite pour les  Etats-Unis et occupa, à partir de 83, une chaire à l’université de Californie (Irvine), puis se fixa en Toscane, à Pontedera, où il créa et dirigea, à partir de 86, un Workcenter consacré à la recherche pure. Naturalisé français, il devint titulaire de la chaire d’anthropologie théâtrale au Collège de France, créée pour lui en 96.
Les travaux du Workcenter se poursuivent aujourd’hui sous la conduite de Thomas Richards, directeur et Mario Biagini, directeur associé, qui prolongent ainsi son enseignement. Tous deux sont venus témoigner, au cours de cette journée, de l’apport de ce grand théoricien autant que praticien, en présence d’Olivier Corpet, directeur de l’Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine (IMEC) et d’Albert Dichy, son directeur littéraire, gestionnaires du fonds d’archives du Workcenter of Jerzy Grotowski dà Pontedera et de celles de l’Académie expérimentale des théâtres que dirigea Michelle Kokosowski, spécialiste du théâtre polonais,  et qui reste à la source de cette Traversée.
Alors, faut-il revoir ce travail, sommes toutes daté, (cinquante ans ont passé) dans ses formes comme dans son processus et sa philosophie ? Peut-être non, sauf en termes de remémoration, au plan historique et des mutations sociale, économique, politique et culturelle de l’époque, à la mesure de l’onde de choc artistique qui a traversé le monde.

Les projections ont permis de visionner : un film,
Les cinq sens  sur le Théâtre Laboratoire où Jerzy Grotowski décrit sa grande aventure, une captation du spectacle Akropolis, au cœur d’un camp de concentration où les prisonniers morts-vivants construisent un crématoire, Le Prince Constant, d’après Calderón qui a pour thème la torture et le martyre, fruit d’un an de travail en vis-à-vis, avec Ryszard Cieslak, son acteur-phare, des « Fragments de travaux » du Workcenter de Pontedera et le « Laboratoire d’acteurs » de l’Académie expérimentale, présenté en 96, en présence de Grotowski.
Les formes théâtrales ont terriblement changé, ainsi que la relation au sacré, à la profanation, au blasphème,  et le jeu scénique, tendu à l’extrême comme on bande un arc, appelle la mémoire mais s’est éloigné de nous.   «L’acteur
saint dans un théâtre pauvre », qui fut son évangile, se décale de notre monde de bruit et d’images. Nous célébrons le profane quand il marchait sur l’eau…

 Brigitte Rémer

 Séminaire du 8 avril, au Studio-Théâtre de la Comédie Française.


Archive pour 3 mai, 2013

Festival Teatro Memoria à Santa Cruz

Impacifico solo de danse au Festival de Teatro Memoria de Santa Cruz de la Sierra en Bolivie.

 

Festival Teatro Memoria à Santa Cruz  photo-bolivieA Santa Cruz de la Sierra, devenue le pôle central économique de la Bolivie, grâce au pétrole et au gaz, a eu lieu la neuvième édition du festival de Teatro Memoria.
Les trois principaux lieux de représentation (même s’il existe une programmation hors-les murs) se situent autour de la Place du 24 septembre.
Dominé par sa cathédrale du XVI ème siècle, et entouré de rues aux arcades d’architecture coloniale, le centre ville a un aspect intemporel dont  Hergé aurait pu s’inspirer pour un album de Tintin !
Ce festival dynamique ,subventionné par la ville, la région, l’Etat et des entreprises privées,  a une riche programmation nationale, avec quinze spectacles  venu surtout  d’Argentine, Brésil, Chili, Cuba, Equateur, Mexique, Pérou, Paraguay.
L’auteur et metteur en scène uruguyaen Gabriel Calderon a eu un énorme succès avec son spectacle Ex,  qu’on a vu récemment au théâtre des quartiers d’Ivry. (voir Le Théâtre du Blog) Des pays européens dont la France-l’Alliance Française a donné 500 euros de subvention !-étaient aussi présents. Un festival jeune public complétait  la programmation. et un colloque très suivi,  organisé par Marcos Malavia et Jean-Pierre Han,  a réuni plusieurs critiques sur le rôle de la critique dans la transmission d’une œuvre théâtrale.
Le théâtre est un art jeune en Bolivie, et les artistes n’ont pas toujours de références et de recul sur  leurs créations, comme ce fut le cas pour le solo de danse de Maria Eugenia Pereyra avec Impacifico. Sa danse au corps dissocié tente de nous évoquer deux épisodes importants de l’histoire de la Bolivie, avec à des vidéos en noir et blanc projetées au-dessus du plateau nu:  la guerre meurtrière du Chacos qui, entre 1932 et 1935, opposa la Bolivie et le Paraguay, pour la possession de champs de pétrole et, en 94, l’accès de l’équipe nationale de Bolivie à la phase finale du championnat mondial de football aux Etats-Unis. Maria Eugenia Peryra en alternant, épisode douloureux et  très joyeux traduit -non sans difficultés-la mémoire collective de son pays.
Chose rare chez une danseuse, elle s’exprime à la fois par  son corps mais aussi  par son visage. D’où une absence totale de distance par rapport au propos, ce qui est touchant, mais qui ne permet pas guère de ressentir l’émotion attendue. Son expression chorégraphique trop «théâtrale » lui a fait perdre une certaine sincérité. La danse contemporaine peu connue et en devenir dans ce pays peut expliquer toutes ces imperfections. 

 

Jean Couturier

 

http://festivalesapac.com/festival-de-teatro-2013/

Bouvard et Pécuchet

Bouvard et Pécuchet  adaptation et mise en scène de Vincent Colin

 

Bouvard et Pécuchet bouvard_et_pecuchet

Une raillerie sur la vanité des contemporains de Flaubert, tel était le projet initial d’écriture de Bouvard et Pécuchet, roman inachevé et publié en 1881, à titre posthume. L’auteur de L’Éducation sentimentale avait pensé à un sous-titre, Encyclopédie de la bêtise humaine, transposé finalement en Dictionnaire des idées reçues.
L’intrigue commence comme par accident :  par un été chaud, deux hommes marchent dans les rues de Paris et en viennent à converser – de tout et de rien. Ils se découvrent des intérêts communs au moment même où ils se rendent compte qu’ils exercent tous deux le métier de copiste.

Vivre à la campagne et explorer les possibilités ouvertes du monde, tel est le rêve pour les nouveaux amis. Par chance, un héritage opportun pour l’un, et les économies de l’autre, rendent possible leur installation à la campagne pour une vie autre qui soit au plus près de la nature. Écolos avant l’heure, ils retournent à la condition existentielle de l’être à travers l’exploration de l’univers ; on décèle une résonance contemporaine chez ces compères flaubertiens, une allusion prophétique aux internautes ou « geeks  » d’aujourd’hui qui vivent en phase à travers des centres d’intérêt communs.
Chacun sait que l’auteur de Madame Bovary a ouvert avec force les portes de la modernité jusqu’à se cogner aux battants post-modernes. Dans la campagne normande, voilà Bouvard et Pécuchet aux prises avec l’agriculture, les sciences, l’archéologie, la littérature, la politique, l’amour, la philosophie, l’éducation … mais leur entendement personnel est, à vrai dire,  plutôt limité, émaillé de lieux communs à n’en plus finir. Empêchés de raisonner par l’encombrement involontaire de préjugés et idées toutes faites, ils se voient incapables de rien comprendre ni déduire.
Et pourtant, ils formulent haut et fort, sans arrière-pensées, leur volonté en marche et leurs désirs empêchés. Le metteur en scène Vincent Colin a saisi , dans son adaptation   ce comique efficace flaubertien à travers la frénésie enthousiaste des deux héros à vouloir tout embrasser et saisir par la seule connaissance, en répertoriant, classant et archivant sans jamais s’approprier véritablement l’ensemble de ces acquis volatils qui ne sont jamais « digérés » ni compris de l’intérieur.
Un fameux duo de comédiens burlesques au sérieux et au  brio imperturbables, Roch-Antoine Albaladejo et Philippe Blancher, investissent le plateau avec force. Des Dupond et Dupont, satisfaits de leur élan, et en mobilité constante, révélatrice de vacuité. Assis à des  bureaux fonctionnels, ils  discourent, écrivent, déjeunent ou dînent à même la table, non loin d’un micro  qui distinguent paroles rapportées, apartés et narration.
Vifs et pince-sans-rire, ils se répondent l’un l’autre, tels des instruments d’orchestre, fidèles quoiqu’il arrive à la partition. Ils ls se lèvent par intervalles , pour fredonner avec plaisir quelques refrains populaires de variétés. Ce régal d’humour froid interpelle chacun à tout coup.

Véronique Hotte

 

Bouvard et Pécuchet, d’après le roman de Gustave Flaubert, adaptation et mise en scène de Vincent Colin, jusqu’au 26 mai au Théâtre du Lucernaire à Paris. Tél : 01 45 44 57 34

 

 

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