L’île inconnue
L’île inconnue, conception de Brice Coupey, mise en scène d’Ombline de Benque et Caroline Nardi Gilletta.
La salle est à la fête, pleine d’enfants venus des centres de loisirs alentour, vacances obligent. Après les recommandations d’usage -éteindre complètement les téléphones et bien se caler dans son fauteuil- faites par un bienveillant M. Loyal (le directeur du théâtre), le silence sera de qualité, avec une participation active et admirative, sous forme de ah ! et de oh ! aux moments de mystère du spectacle qui a été adapté du Conte de L’île inconnue de José Saramago. Le grand auteur portugais l’avait écrit pour l’exposition universelle de Lisbonne, en 98, année où il reçut le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre, une première dans son pays.
Des coffres/cubes en bois de toute dimension abrite l’inventivité de la manipulation et réservent des surprises. Brice Coupey construit et déconstruit, comme un docker, poussant, ouvrant, tirant, se cachant, puis érige le palais du roi. Toc, toc, toc ! Qui frappe à la porte des requêtes? Le roi n’a guère envie d’entendre ce citoyen-là et délègue à sa servante la prise de décision; elle le renvoie au premier secrétaire, qui le dirige vers le second, qui lui-même délègue au troisième, et ainsi de suite… Premier adjoint, second puis troisième adjoint, tournez manège ! Toute ressemblance avec des faits réels ne serait que pure coïncidence..
Comme il voit que le volume des offrandes a bien baissé et que le royaume frise l’émeute, l’altesse, sur un trône à roulettes, consent à écouter sonsujet dont la demande, jugée excentrique, le stupéfie :”Donne-moi un bateau, je dois partir à la recherche de l’île inconnue ”, dit-il avec aplomb. De fil en aiguille, sur fond de quiproquos et tergiversations, un “ bateau avec beaucoup d’expérience, ni paquebot, ni cargo, ni navire de guerre”, lui est attribué, mais…. sans l’équipage !
Après moult aménagements et adaptations, réalisés avec l’aide de la servante qui, sortie du Palais par la porte des décisions, a choisi de prendre en mains son destin, le rafiot se transforme en une belle caravelle trois mâts. On imagine la suite : la rencontre de l’homme et de la femme, et le rêve d’amour et d’auto-réalisation qui les guide ; un happy-end en forme de pirouette, quand la quête de l’île inconnue n’est plus à l’ordre du jour mais devient le nom de cette caravelle qui s’apprête à prendre la mer “à la recherche d’elle-même” et y est peut-être encore.
C’est une belle histoire, adaptée ici pour un comédien seul en scène, qui joue de toutes les voix et tient les rôles de conteur, roi, et capitaine de vaisseau, signifiés par un élément de costume. Il se démultiplie avec des personnages marionnettes, dirigés à vue : la femme est habillée de tissu brodé, et le jeu circule entre elle et lui, le comédien, qui revêt le même tablier ; l’homme est une marionnette en bois sculpté et articulé, et chaque personnage existe en trois dimensions, légèrement plus grand à chaque apparition, entretenant l’illusion et se rapprochant ainsi progressivement du spectateur. Brice Coupey, habile manipulateur, les fait vivre avec subtilité et virtuosité: ils sont ainsi bien réels. Sa présence est chaleureuse, il joue de tous les alphabets, dedans comme dehors. Formé auprès d’Alain Recoing, la référence ne matière de marionnettes à gaine, Coupey les manipule avec simplicité et fluidité, comme une évidence.
Si le jeu des coffres en bois plein de cachettes, en première partie, fonctionne comme un ensemble de poupées russes, la seconde partie consiste en la préparation du vaisseau fantôme, qui remplit à la fin l’espace scénique, de façon suggérée et symbolique. Des cordages, tirés artisanalement, dessinent la voilure, et le narrateur/manipulateur tient le gouvernail grâce à un jeu de contrepoids, avec dextérité, jusqu’à ce que trois voiles blanches se déploient.
Brice Coupey a créé sa compagnie, L’Alinéa, en 2002, et L’Ile inconnue est son quatrième spectacle. Ombline de Benque signe pour la version française la mise en scène et la fabrication des marionnettes, et Caroline Nardi Gilletta la mise en scène, pour la version originale en portugais, qui est également proposée. C’est une réalisation sensible qui plaît aux enfants et qui devrait aussi plaire aux parents. Ne boudons pas l’utopie, embarquement immédiat !
Brigitte Rémer
Théâtre Berthelot de Montreuil, le 7 mai, à 15h en langue française, à 20h30, en langue portugaise, et en tournée. Tout public, à partir de 7 ans.