Graal Théâtre, Gauvain et le Chevalier Vert

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©Franck Beloncle

Graal Théâtre, Gauvain et le Chevalier Vert, de Florence Delay et Jacques Roubaud, mise en scène de Julie Brochen avec la complicité de Christian Schiaretti.

Après la création du prologue Joseph d’Arimathie au T.N.P. en  2011 et celle de Merlin l’enchanteur au T.N.S en  2012 dans une mise en scène de Julie Brochen et Christian Schiaretti, suit aujourd’hui celle de Gauvain et le Chevalier Vert qu’elle monte en complicité avec lui qui,  en  2014,  créera Perceval Le Gallois, en complicité avec elle. Ce Lancelot termine la trilogie singulière de ces trois chevaliers, super-héros devant l’éternel. Les deux metteurs en scène aimeraient bien que d’autres s’emparent  aussi  des épisodes successifs de la totalité du cycle.
L’aventure d’une telle création-extraordinaire-est une mise en abyme de l’œuvre, à l’image des aventures des Chevaliers de la Table Ronde, avec  pour l’interprétation et la réalisation,  les équipes du TNP et du TNS,  dont vingt comédiens … entre autres: David Martins (Gauvain), Xavier Legrand (Arthur), Fred Cacheux (le conteur) et Juliette Plumecocq-Mech , en chevalier comique tonitruant.
Cette épopée celte, fondatrice de notre littérature, portée à la scène, est fondée  sur une dramaturgie de Florence Delay et Jacques Roubaud, entre la « fantaisie au vieux sens » et la mémoire de chacun. Les deux poètes ont traduit et écrit leur Graal Théâtre,un cycle à dix pièces, un arbre à dix branches » qui racontent la naissance, les aventures et la fin de deux chevaleries indissolublement liées : « celle du ciel et celle qui vient de la terre. »
À l’orée de Gauvain, lors des fêtes du nouvel an, le Chevalier Vert lance un défi au roi Arthur : lui trancher le cou avec sa hache. Mais fatale condition: « dans un an jour pour jour », la victime d’aujourd’hui deviendrait le bourreau de demain, accomplissant le même geste meurtrier. Gauvain, inexpérimenté et impulsif,  est le premier à relever ce défi lancé à la cour, le premier aussi à prendre la route et à s’offrir au monde.
Ce défi inaugural qui accorde à Gauvain un an de vie, de péripéties, d’expériences et de rencontres est pleinement symbolique, et marque le passage des « commencements » aux »   temps aventureux », d’après Hugues de la Salle. Ainsi, est initiée « la lutte entre l’univers courtois qui se construit et la rudesse menaçante de la nature, peuplée de résurgences celtes ».Dans l’art médiéval, l’homme vert figure la nature et son renouveau intrusif, la menace du désordre et du chaos quand la vie s’immisce dans un univers courtois que ne bousculent ni l’égarement, ni la violence, ni le désir à l’intérieur paisible d’un bois où vivent les  biches et les oiseaux.
La nature qui suscite les excès et les extravagances est une force implicite qui empêche à jamais l’homme d’atteindre à la perfection du chevalier. Et,  entre le moment où se tient le conseil de famille entre Gauvain et ses frères, et la quête du premier, les rencontres de hasard se multiplient. Le chevalier vit  dans un monde où la guerre sévit entre Arthur, et Bran de lis, le Chevalier Rouge. Or, même à l’intérieur de la promesse macabre initiale, l’onirisme,  fait de merveilleux, de mystère et d’énigme, côtoie la comédie et le rire à travers les hasards, les aventures galantes, et les égarements fantastiques et initiatiques. Rendez-vous avec la mort à travers le Chevalier Vert, puis conquête du Château Orgueilleux, duel avec Guiganbrésil qui l’accuse d’avoir tué son père, combat avec Bran dont Gauvain a tué le père et dépucelé la sœur.
Le chevalier indécis pénètre encore en Galvoie, où il rencontre deux demoiselles troublantes, l’une rieuse et l’autre moqueuse au moment d’un tournoi d’apparat. Gauvain traverse enfin le fleuve qui le mène au pays des morts, de l’oubli et de l’enfance, un temps de retrouvailles avec sa mère, sa grand-mère et sa sœur, qu’il doit quitter. Aimé des femmes,  Gauvain aime peut-être Flore qui lui a donné un enfant.
La force solaire du chevalier  augmente quand  l’astre est au zénith et décroît avec  la nuit. Au moment où il perd la vie, Gauvain tremble : c’est la prise de conscience de soi dans l’existence, un effroi  incompatible avec le plaisir,  puisque le gain de la recherche est la recherche même.
Les scénographes, Fanny Gamet et Pieter Smit, se sont inspirés des enluminures moyenâgeuses, esquisses de tournois de chevaliers, lais d’écus et de cottes de maille, fresques de tentes blanches ou rouges d’un siège guerrier, souvenirs de chevaux empanachés et de dames aux coiffes élégantes, aux longs cheveux et robes à traîne. Le Chevalier Vert et sa monture verte, le Chevalier Rouge, Yvain et son lion arpentent la scène.
Parfois, on voit un mort gisant, éclairé de bougies, dans une barque abandonnée sur le fleuve, le corps transpercé par un glaive. Le leitmotiv scénique revient interroger les vivants, comme le cri strident de la mouette blanche. Le plateau est  en bois brut, avec ses ouvertures multiples, cachées puis révélées, rehaussées de grands panneaux peints, élevés et coulissants, qui ouvrent les scènes pour les déployer, face aux murailles mordorées de châteaux fortifiés  comme dans un conte  pour enfants.
Face à ces assemblées poétiques d’hommes en armes et de quelques dames, le spectateur vit, éveillé, un rêve d’enfance, pénétrant dans les arcanes d’un songe qu’il reconnaît comme sien, matériau d’un patrimoine qu’il s’accapare.

Véronique Hotte

Jusqu’au 7 juin 2013 au Théâtre National de Strasbourg. T: 03-88-24-88-34;  et du 14 au 23 juin au Théâtre National Populaire à Villeurbanne T: 04-78-03-30-00


Archive pour 22 mai, 2013

Traduire / transmettre,quatrième saison.

Traduire / transmettre, quatrième saison.

Au Théâtre de l’Atalante, petit lieu actif qui va fêter sa trentième saison, se réunissent , pour la quatrième fois, les compagnies d’Agathe Alexis, d’Alain Barsacq (Les Matinaux), de René Loyon, la Maison Antoine Vitez (centre international de la traduction théâtrale), avec Laurent Muhleisen, son directeur–lui-même excellent traducteur-, le Centre National du Théâtre,  et le CFA (centre de formation de comédiens) d’Asnières.
Le but, comme l’indique le titre-programme de Traduire/transmettre, est de faire découvrir la force, universelle,  d’auteurs singuliers, souvent très joués dans leur pays. L’enjeu, comme toujours au théâtre , quand on le prend au sérieux, c’est-à-dire dans sa gravité d’acte public, dépasse la représentation : il s’agit de se reconnaître dans une culture commune européenne, et d’aiguiser ses perceptions, ses pensées, en face de la singularité de chaque langue, de chaque auteur.
D’où la place donnée ici aux traducteurs, aux virtuoses du passage de témoin : Lily Denis, pour la langue russe, Denise Laroutis pour le domaine hispanique, Jean-Louis Besson pour l’allemand,  ont été à l’honneur les saisons précédentes. Cette année, l’invitée est la Grèce,  avec Dimitris Dimitriadis, à la fois auteur, poète, et traducteur. La journée du dimanche 26  mai lui sera consacrée, avec trois pièces traduites (Insenso, par Constantin Bobas et Robert Davreu, Stroheim, par Dimitra Kondylaki et Christophe Pellet et Phaéton,  par Michel Volkovitch) et  mises en scène, ainsi qu’ une rencontre-débat. Façon de rendre un hommage indispensable aux sources du théâtre européen, et de montrer une solidarité discrète mais importante avec le peuple grec, qui n’est pas réduit à la crise et qui donne à l’Europe une littérature forte et belle.
On a eu aussi l’occasion d’apprécier La Victoire, tragédie familiale et politique de Loula Anagnostaki, traduite par Michel Volkovitch et remarquablement mise en lecture par Laurence Février,  avec les comédiens des ateliers RL et des élèves d’Asnières. Avec La Parade, Antoine Vitez avait découvert cet écrivain dès 69, et Traduire/transmettre nous permet de rattraper un peu du temps perdu… Cinq auteurs nous seront encore donnés à entendre, dont certains très jeunes : une vraie rencontre avec le peuple grec, et la vie en Grèce aujourd’hui.

Christine Friedel

Théâtre de l’Atalante, jusqu’au 26 mai T: 01-46-06-11-90

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