La nouvelle saison du Théâtre de la Ville.
Rituel du mois de juin: Le Théâtre de la Ville convie ses chers critiques à sa conférence de presse annuelle. La présidente, Dominique Alduy souligne la bonne santé du paquebot qui s’est promené cette année à Londres, aux Etats-Unis avec son Rhinocéros Victor ou les enfants au pouvoir ira ainsi à Lisbonne et en Corée, Rhinocéros un peu partout en France mais aussi en Argentine et au Chili. Mais il est aussi le seul théâtre parisien à accueillir autant de compagnies et de spectacles étrangers.
Emmanuel Demarcy-Motta, qui va entamer sa cinquième saison comme directeur, et à qui on donne toujours vingt cinq ans, souligne que dans les trois domaines Théâtre/ Danse/ Musique, il a en tout 100 programmes: 26 pour le théâtre et autant pour la danse; 27 pour les musiques du monde et 13 pour le domaine classique pour une jauge d’environ 300.000 places sur les deux sites et ceux des théâtres partenaires comme le 104, Le Théâtre de la Cité internationale, Le Grand-Parquet, le Monfort et cette année, Le Nouveau théâtre de Montreuil. Avec une ouverture de septembre à juillet, y compris pendant les vacances scolaires, ce qui paraît normal mais qui devient presque exceptionnel dans le paysage théâtral parisien.
Ce qui, en ce ces périodes de vaches plutôt maigres, implique, dit Emmanuel Demarcy-Motta, une vigilance de tous les instants quant aux dépenses. Et il a insisté sur l’importance d’une rigueur économique dans chaque secteur, s’il veut pouvoir continuer à co-produire autant de créations et programmer autant de tournées. Mais il y aussi, rappelle-t-il- le théâtre a vieilli!- et des travaux importants sont à prévoir , que soit pour le proscenium bien fatigué ou les loges d’artistes… Rançon d’un usage intensif!
Ce sera aussi la troisième édition du Parcours enfance et jeunesse, avec l’aide des théâtre partenaires parisiens, soit neuf spectacles en danse, cinéma, théâtre, et dès la rentrée 2013, dans le cadre de la réforme des rythmes éducatifs, le Théâtre de la Ville proposera aussi , entre autres, des ateliers de pratique aux enfants et des séances de découverte des lieux de création.C’est-dit-il- d’une importance capitale de continuer un combat qu’avait initié Vitez à Chaillot puis Olivier Py à l’Odéon, en mettant aussi l’accent sur des spectacles en langue étrangère ,comme ce sera le cas cette saison avec, notamment, Peter Pan mis en scène par Bob Wilson.
Emmanuel Demarcy-Motta a aussi dit la nécessité qu’il y avait à penser l’activité de son théâtre en termes européens et sur la nécessité de faire sonner haut et fort la langue française chez nos voisins les plus proches, à commencer par l’Italie ou le Portugal qui sera cette année, un partenaire privilégié.
Du côté de la programmation, que du solide! Avec des metteurs en scène étrangers comme Christoph Marthaler, et surtout Bob Wilson avec quatre spectacles:Living rooms au Musée du Louvre, Peter Pan déjà évoqué plus haut, The Old Woman d’après Danill Harms en collaboration avec Mikail Baryshinikov et, enfin la reprise du mythique Einstein on the beach créé il y a presque quarante ans déjà!
Thomas Ostermeier viendra avec Mort à Venise d’après Thomas Mann et Un ennemi du peuple de son cher Ibsen que le directeur de la Schaubühne continue à interroger. Et ,à voir absolument parce qu’il y a bien longtemps qu’on ne les avait pas vues: les très fameuses marionnettes du bunraku japonais mise en scène par le photographe Hiroshi Sugimoto d’après Double suicide à Sonezaki, une œuvre de l’immense auteur et théoricien du 17 ème siècle, Chikamatu Monsaemon. Ne les ratez surtout pas!
Chez les Français, on ne peut tout citer mais il y aura la reprise de Rhinocéros et l’excellent petit Ionesco suite, mise en scène par le patron ( voir le Théâtre du Blog) , ainsi que Le Faiseur cette pièce peu connue, et très noire, d’Honoré de Balzac . La création par Eric Lacascade d’une des pièces les plus fortes de Techkov: Oncle Vania, et enfin Le Roi Lear; mise en scène de Christian Schiaretti.
Et enfin deux Corneille peu connues et jamais jouées, La Mort de Pompée et Sophonisbe, mises en scène de Brigitte Jaques-Wajeman qui a, avec Corneille une vieille complicité et qu’on pourra découvrir, même si elles ne sont pas de la veine du Cid…
Côté danse, notre ami Jean Couturier se prépare avec délectation à aller voir la reprise de plusieurs spectacles des grandes dames de la danse contemporaine qui se ont enfuies il y a trois ans et cette année: Pina Bausch avec le fameux Palermo, Palermo et Trisha Brown avec deux programmes.
Mais il y aura aussi Anne Teresa de Keersmaeker, Jérôme Bel, et nombre de chorégraphes moins connus, français comme étrangers. Tout se passe comme si l’innovation- même si c’est souvent les mêmes noms qui reviennent là aussi- était quand même plus évidente pour la danse dont les programmes attirent toujours les fans , que pour le théâtre,abonné, lui, aux valeurs sûres, quel que soit le type de création. Mais comment faire autrement si l’on veut équilibrer les finances tout en maintenant des pris de billets raisonnables? Elémentaire, mon cher Wilson, dont on peut être sûr que les billets hors abonnement pour ses spectacles partiront en quelques heures… Ce qui n’est pas souvent le cas à Chaillot, pourtant doté d’une riche programmation.
Reste, qu’on le veuille ou non, la nette impression que les programmes des institutions parisiennes, voire de banlieue, comme le Théâtre des Amandiers de Nanterre, ont de plus en plus tendance à se ressembler. Et l’équation de la réussite: metteur en scène des plus connus étrangers ou français et/ou pièce connue ou ,du moins d’auteur connu, avec des comédiens renommés voire célèbres, n’ aura jamais été aussi pratiquée. Mais au moins, et on le dit pas assez ,Emmanuel Demarcy-Motta sait s’entourer d’une bande de bons acteurs fidèles qui ressemble de plus en plus à une véritable troupe, les emmener en tournée en France et à l’étranger. Ce qui donne une véritable solidité à une grande maison…
Côté musique, pourquoi changer une formule qui a fait ses preuves depuis quarante ans avec un savant équilibre entre de merveilleuses musiques du monde qui ont toujours des inconditionnels et des concerts de musique classique.
Bref, Emmanuel Demarcy-Motta a raison de ne pas avoir trop d’inquiétudes:i l sait visiblement anticiper et le paquebot, doté d’une équipe efficace, suit sa route… Il a rappelé la phrase que Jean-Louis Barrault avait emprunté à Paul Valéry: « Barboter dans ce que l’on ignore au moyen de ce que l’on sait, c’est divin ».
Philippe du Vignal