Le Misanthrope mise en scène de J.F. Sivadier

Le Misanthrope de Molière, mis en scène de Jean-François Sivadier.

Le Misanthrope mise en scène de J.F. Sivadier le_misanthrope_sivadier_51Le Misanthrope ou L’Atrabilaire amoureux,  inspirée du Dyscolos de Ménandre, en cinq actes, et en  alexandrins,  fut créée  le 4 juin 1666 soit déjà plus de trois  siècles! au Théâtre du Palais-Royal. La pièce est écrite dans une langue admirable-on le sait mais c’est encore un étonnement  à chaque fois. Il y a eu de belles  mises en scène: entre autres, celles de Barrault, Vitez, Engel, Pradines ou Lassalle, Mais celle de Jean-François Sivadier, est différente dans la mesure où il  a privilégié  le comique de la pièce. Il faudrait tout citer mais entre autres: la scène du sonnet d’Oronte, celle des deux petits marquis le combat  que se livrent Alceste et Oronte, Clitandre et Acaste, Alceste et Célimène, Arsinoé et Célimène, etc… Autant de scènes  dirigées avec intelligence, et où le public rit de bon cœur!
Quitte à rendre parfois un peu artificiel l’alexandrin. -mais ce vers  emblématique du théâtre classique  a-t-il jamais été « naturel »-, Sivadier fait sonner les vers de Molière avec beaucoup de maîtrise depuis le début où  la pièce glisse  ensuite  est fondée sur la peinture de personnages grotesques vers le négatif: Alceste va sans doute perdre son procès, Célimène, confondue par ses lettres d’injures, passe du rôle de grande séductrice  à celle de mauvaise langue notoire, puis Alceste  se voit refuser tout net son offre de  retraite dans un désert avec elle. Bref, cela grince et rien n’est plus dans l’axe dans ce microcosme bien parisien dont les valeurs  paraissent encore plus artificielles

Noirceur, amertume, cruauté, sombres perspectives quant à l’avenir: la société du paraître, des intrigues amoureuses, de la frime ridicule, du rôle à jouer pour essayer, coûte que coûte, d’avoir une identité va vite prend vite l’eau: le constat de Molière, si bien traduit par Sivadier, est sans appel. Sa direction d’acteurs est  brillante et  l’on ne se lasse pas d’écouter les célèbres répliques qu’on connaît si bien, entre autres: « Sur quelque préférence, une estime se fonde, Et c’est n’estimer rien qu’estimer tout le monde ».  » Le temps ne fait rien à l’affaire »   » Il est bon à mettre au  cabinet »ou  » Ah! Qu’en termes galants, ces choses-là sont mises ».  » Belle Philis, on désespère, Alors qu’on espère toujours ».
Bref, Sivadier, l’air de ne pas y toucher,  donne à entendre avec générosité  la langue de Molière comme on l’ a rarement entendue, grâce surtout à Nicolas Bouchaud, qui, pour n’avoir plus du tout l’âge du rôle, possède une présence tout à  fait  remarquable. C’est lui, avec une diction parfaite et une magnifique gestualité, qui met  en valeur, et dès le début, le sens de  toute la pièce; il y a, pour l’accompagner, une distribution de premier ordre: en particulier,Nicolas Guédon (Philinte), Cyril Bothorel  (Oronte), Cristèle Tual  (Arsinoé).
Mais Norah Krief,  est, elle, beaucoup moins à l’aise. Elle est peu crédible  en  Célimène: un peu raide, plus âgée qu’il ne faudrait-cette coquette a vingt ans!-plus agressive et médisante que séductrice. Cette erreur de distribution est d’autant plus ennuyeuse que la très jeune femme est le pivot de la pièce!

Le spectacle est  une « lecture » personnelle, comme on disait dans les années 70,  d’une grande pièce classique et,  comme à son habitude, Sivadier met en abyme la théâtralité  d’une pièce:  trois  petits jets d’eau, Alceste,  et Oronte aux cheveux très longs, tous les deux en kilts, une jeune domestique en mini-robe noire, des musiques de ballet de Lully des croisements de jambes en chœur comme chez Pina Bausch: anachronismes et citations qui ne sont guère nouveaux mais toujours très efficaces.
Mais il aurait sans doute pu, et sans dommage, nous épargner références et clins d’œil de mise en scène et scénographie…qui appartiennent aux  stéréotypes du théâtre contemporain, et qui pèsent inutilement sur le spectacle. Avec, entre autres, un plateau nu-où l’acoustique n’est pas toujours évidente et où certaines répliques  sont donc peu audibles;  un sol jonché de pétales noirs que vont balayer  les personnages à la fin du premier acte, suivie d’une pluie de ces mêmes pétales noirs.
Quand, à la fin,  les choses se mettent à aller mal, Alceste se mettra lui aussi, bien seul, à balayer la scène dans un mouvement circulaire (cela surligne sans raison la tristesse d’Alceste à la fin  de la pièce mais bon… ) ; une table  de maquillage à vue, un rideau brechtien blanc, et  pour faire bon poids, quelques tas de chaises d’école tubulaires et deux servantes, en fond de scène, qui s’allument de temps en temps. Et Arsinoé, qui arrive dans son carrosse-un praticable avec  deux de ces mêmes  chaises d’école, muni d’une série d’ampoules et  difficilement poussé par des accessoiristes; des perruques grotesques comme pour signifier que ce sont bien des perruques et que l’on enlève et  l’on remet,  les  deux petit marquis, en caleçon, maillot et bas noirs, s’entraînent à lutter ensemble…

On veut bien, mais désolé, Jean-François Sivadier! ces facilités, ces trucs de vieux théâtre  que l’on a vus un peu partout et dont  en est saturé, doivent  sans doute être  perçues au second, voire au troisième degré, mais n’ont  plus aucune efficacité scénique. Et c’est un peu dommage, alors que, répétons-le,il y a une formidable  direction d’acteurs.
Alors à voir? Oui, malgré ces réserves, surtout  pour l’intelligente mise en valeur du texte et pour Nicolas Bouchaud, vraiment  exceptionnel…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon jusqu’au 29 juin.  


Archive pour 28 mai, 2013

Chassez le naturel

Chassez le naturel chassez-le-naturel

Chassez le naturel, extraits du Parti pris des animaux de Jean-Christophe Bailly et  de  textes de Norge, Alain Prochiantz et Jean-Jacques Rousseau.


La Nature est tout pour l’homme, entouré par elle, enlacé, impuissant à s’en évader, et non autorisé à pénétrer plus profondément dans ses taillis buissonneux : la Nature « crée éternellement des formes nouvelles ; ce qui est n’a jamais été, ce qui fut ne revient jamais, – tout est nouveau et c’est pourtant toujours la chose ancienne. » (Fragments sur la nature, Goethe.) L’être mélancolique tente de vivre en elle mais il lui reste étranger ; la Nature lui parle sans cesse mais ne trahit jamais son secret.Les bêtes hantent cet espace sauvage, habitants énigmatiques auxquels ne se confrontent pas les hommes et que ces derniers regardent vivre pourtant. Nul besoin d’interpréter leurs gestes hermétiques: ils relèvent d’un registre autre: « Mon souci n’est pas qu’on reconnaisse aux bêtes un accès à la pensée, il est qu’on sorte de l’exclusivité humaine » écrit Jean-Christophe Bailly.
Chassez le naturel ? Avec Jacques Bonnaffé et le danseur Jonas Chéreau, le naturel revient au galop dans des hennissements vigoureux sur le plateau nu, jonché de fils noirs  de rallonges électriques, abandonnées en escargot sur le sol, que les interprètes pourraient utiliser en panache ou en plume flottante mais qu’ils enroulent pour les ranger.
On rencontre les lapins d’Alice au pays des merveilles, découpés poétiquement pour lunthéâtre d’ombres. Plantée en  fond de scène, une rangée mobile de troncs d’arbres s’agite, salutation faite à Tchekhov et à sa Cerisaie,mais surtout à Rousseau, dont l’esprit est tapi dans le moindre moindre recoin de la forêt. » Me voici donc sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même » (Les Rêveries d’un promeneur solitaire).  « Ces heures de solitude et de méditation, poursuit-il,sont les seules de la journée où je sois pleinement moi et à moi, sans diversion, sans obstacle, et où je puisse véritablement dire être ce que la nature a voulu ».
Voilà donc le duo d’artistes prêt pour un voyage immobile, et décidé à se frotter avec ces  » régions étranges, inconnues, incomprises ou insoumises », que hantent les bêtes. La présence des singes et des chimpanzés, vivant notamment en Afrique, fait l’affaire : les vervets, les colobes, les Babouins, les bonobos… que les interprètes miment  dans la bonne humeur, non pas pour s’approprier l’âme impossible de ces animaux ou la réduire à leur merci mais, au contraire, pour les regarder vivre dans une approche personnelle.
La souplesse élancée  des deux interprètes ravit l’attention: ils dansent, virevoltent, caracolent ou bien lèvent leurs pattes velues… Jacques Bonnaffé déclame et son comparse dessine, en silence,  des arabesques félines. Ne serait-ce que pour écouter Le Trimardeur de Norge, arpentez les lacis de ce zoo éloquent, où l’on reste mystérieusement attentif à ces bêtes étranges qui voisinent plutôt bien avec nous.

Véronique Hotte

 

  Théâtre de la Bastille jusqu’au 9 juin T : 01-43-57-42-14

Zoologie des faubourgs

Zoologie des faubourgs  de Wladyslaw Znorko, lecture par Florence Masure et Denis Lavant.

Zoologie des faubourgs dans actualites 20130522_3_2_1_0_0_obj3830863_1-284x300  Plus d’un mois après la disparition de Znorko, chef de la Gare Franche, et  dix ans après  son installation dans ce lieu poétique qui joint le quartier de Saint-Antoine au Plan d’Aou, immense cité  en cours de réhabilitation surplombant la mer, l’équipe des vaillants cosmonautes vient d’inaugurer leur salle de spectacle ouverte en 2007, et enfin mise aux normes.
Florence Masure, complice dès l’enfance des aventures de Znorko à Roubaix,  pénètre sur le grand plateau; sa haute silhouette domine celle de Denis Lavant, coiffé de son bonnet et muni d’un minuscule accordéon. Eclairés  par quelques  bougies, ils vont nous guider dans un voyage,  dont nous ne possédons pas le plan, dans les faubourgs d’une ville du Nord.
Il y a forcément un train, celui qui figure sur l’invitation:celui de la gare oubliée du Trassibérien que Znorko avait pris avec son Cosmos Kolej (« chemin de fer pour le futur « en polonais). Il y a la maison de l’éclusier, une buvette sur cette lande qui n’appartient à personne et où l’on cultive le débris d’un monde ancien, il y a Pinocchio. On ne connaît pas encore ce dédale des ruelles lacérées des voies ferrées…
Au départ, la motrice arrive en ferraillant et grince des dents. Ces deux magnifiques acteurs, complices de Znorko- Denis Lavant avait joué dans Les Saisons, et Florence Masure,  dans À La gare du Coucou suisse et Le passage du Cap Horn, le dernier spectacle de Znorko créé l’an passé  (voir Le Théâtre du Blog). Ils nous  font revivre,  avec cette lecture,  l’âme de Wlad, très présent sur le plateau ce soir-là.

Edith Rappoport

Au Cosmos Kolej, la Gare Franche de Marseille,ce  23  mai.

Le Passage du Cap Horn et Zoologie des faubourgs seront présentés comme prévu,  avant la disparition de Znorko à Villeneuve en scène  à Villeneuve-lès-Avignon du 4 au 24 juillet.
Et  Tuvawoir Znorko, trois  jours autour de son œuvre plurielle au Cosmos kolej  du 10 au 12 octobre.  La gare Franche  7 chemin des Tuileries, 13015 Marseille T : 04-91-65-17-77. contact@cosmoskolej.org

Tsunami

Tsunami, texte de Jalila Baccar, mise en scène de Fadhel Jaïbi.

Tsunami tsunami-web1Sur le grand plateau nu de la salle Jean Vilar, avec, en fond, un écran pour la projection de grandes fresques  aux motifs non figuratifs, douze comédiens si hommes et six femmes entrent dans un silence total. Ils vont  dans de courtes scène et  durant quelque 110 minutes, incarner de façon très crédible les habitants d’une Tunisie au bord de la guerre civile.  C’est en fait la projection d’une tragédie possible. Avec en préambule et en voix off,  un avertissement qui fait déjà froid dans le dos: quelques lignes de Tertullien, deuxième/ troisième siècle,  berbère converti au christianisme, penseur radical et extrêmiste qui voulait légiférer sur les bijoux d’or et d’argent des femmes qu’il condamnait à porter le voile, et qui n’était pas un chaud partisan  des arts et des spectacles. S’il n’interdisait pas, il dissuadait fortement…  Bref, rien de très neuf sous le soleil tunisien.
Jalia Baccar et Fadhel Jaïbi ne disent pas que cela va arriver mais qu’est tout à fait possible,  la montée en puissance  d’une « théocratie fascisante » qui voudrait imposer à  tous les Tunisiens, et surtout aux Tunisiennes, un système politique fondé sur la charia. Le texte de Jalila Baccar est tout à fait explicite et met le doigt où cela fait mal: c’est bien de deux projets de société dont le pays va avoir à débattre: d’un côté, tout droit sortie de la révolution tunisienne après la chute du dictateur Ben Ali, (dont  Michèle Alliot-Marie,  ci-devant ministre des Affaires étrangères était proche), une nation moderne,libre, laïque et démocratique où la place de la femme  est  essentielle,  et de l’autre, un peuple qui serait replongé illico  » dans les ténèbres d’un nouveau moyen-âge obscurantiste ».
Avec,  comme apogée de ce scénario catastrophique mis en place par les intégristes musulmans: négation des droits de l’homme et de la liberté de la justice, idéologie religieuse imposée à la nation et, bien entendu, mise aux placard des pratiques artistiques et culturelles, le tout au nom d’une absence de morale qu’il faudrait absolument combattre sans répit, car prétendument  contraire à l’Islam…

C’est une sorte d’exorcisme que présente le spectacle  où l’on voit, comme projetée dans un avenir proche, une société qui se coupe  en deux et de façon irréversible, pour un bon moment. Avec, un combat permanent entre différentes forces politiques, à l’intérieur même des familles où les jeunes femmes sont-le plus souvent sexuellement et  psychologiquement -prises en otage. Ce sont les mêmes jeunes femmes libres qui interprètent aussi  celles qui passent, voilées de la tête aux pieds!  Aux meilleurs moments, on ressent très bien cela,quand l’une d’elle est obligée de s’enfuir avec son amoureux pour ne pas avoir à subir un mariage forcé.
Le texte-assez habilement-montre bien les incertitudes où se trouve  plongé tout un peuple courageux qui, à peine délivré de la dictature de Ben Ali, doit maintenant affronter un avenir politique et social des plus incertains dont les plus jeunes sont évidemment les premières victimes…  » Un combat décisif, d’avenir, une question de vie ou de mort » précise Fadhel Jaïbi; les nombreux Tunisiens présents dans la salle étaient très attentifs aux situations mises en scène et remarquablement interprétées. Cela dit, on ne comprend pas bien pourquoi le spectacle s’étire sans raison, alors qu’il aurait été cent fois plus efficace s’il avait duré la moitié du temps actuel.  L’attention se perd et, même si les images sont le plus souvent d’une grande beauté, elles ne peuvent pallier un manque évident de dramaturgie. Si le spectacle avait été  mieux construit, la mise en scène n’en aurait été que plus forte et

Le texte est sans doute un peu  bavard, avec une tendance parfois  à l’expression de bons sentiments dégoulinants mais ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir à Paris un spectacle venu tout droit du Maghreb, donc autant en profiter… Le théâtre, même s’il ne faut pas se faire trop d’illusions, peut encore servir de signal d’alarme mais, à condition, pour être vraiment convaincant,  d’être lui-même des plus rigoureux quant aux formes d’expression…

Philippe du Vignal

Le spectacle s’est joué au Théâtre National de Chaillot du 23 au 25 mai.

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