Belgrade
Belgrade d’Angelica Liddell, traduction de Cristilla Vasserot, mise en scène de Julien Fošera.
Angelica Liddell, comédienne/auteur et metteur en scène espagnole, avait bouleversé, avec un langage oral et gestuel des plus crus, il y a trois ans déjà, le paysage tranquille du Festival d’Avignon avec La Casa de la fuerza, (Voir Le Théâtre du Blog) un spectacle qui allait la consacrer. Elle a depuis récidivé avec Richard, une sorte de performance solitaire, inspirée de la célèbre pièce de Shakespeare où elle ne mâchait non plus ses mots: « Vous vous souvenez des Tibétains, des Kurdes, des Libanais, des Péruviens, des Arméniens, des Cambodgiens ? Vous vous souvenez de tous ces morts ? De toutes ces tueries ? Non ! Vous ne vous souvenez que des Juifs. Vous savez pourquoi ? Vous ne vous souvenez que des Juifs parce que ces cons se sont mis à écrire. Ils ont survécu, et ils ont écrit des centaines de putains de livres ».
Ecrite en 2008, Belgrade n’a encore jamais été jouée. On est en 2006, quand ont lieu, à Belgrade, les funérailles de Miloševic, accusé auprès du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye, de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, et qui est mort la cinquième année de son procès.
Baltasar, un jeune Espagnol qui travaille avec son père, spécialiste des conflits balkaniques et lauréat du prix Nobel, recueille les témoignages d’habitants; fait la connaissance d’un gardien du musée où est exposé le corps du dictateur, et d’ Agnès, une jeune femme reporter, retour du Kosovo.
Cela l’amène à essayer de comprendre la situation politique en Serbie et l’attitude de la communauté internationale durant les guerres dites de Yougoslavie. Mais, il se décidera à rentrer chez lui où il va interroger sa mère; mais avant tout, il essaye de régler ses comptes et se bat contre l’autorité dont son père, prix Nobel, a pu faire preuve à son égard.
Ici, Angelica Liddell convoque déjà, pour mieux les exorciser, ses vieux démons: la guerre sans merci que les humains se livrent entre eux, l’amour et/ou domination, le viol, la vie privée et la société, le sexe, les relations entre père et fils, le mal et l’inimaginable cruauté de l’être humain aux comportements incompréhensibles quand il est confronté à des situations de guerre ou d’après-guerre, comme le rappellent aussi ces images terribles dans notre douce France à la Libération, avec ces femmes tondues, simplement parce qu’elles avaient été les amantes de soldats allemands.*
Le langage d’Angelica Liddell est déjà d’une rare violence et : « La vie est un massacre en scène » . « J’avais besoin d’une bouillie sentimentale », etc… Malgré un texte qui ne semble pas tellement écrit pour le théâtre, le public-jeune-une heure et demi durant! est d’une extrême attention. Malgré une sorte de logorrhée et une série de monologues forcément inégaux, et de trop rares dialogues. Avec aussi des personnages qu’on ne situe pas toujours bien, très bavards ou, à la fin, comme dans un film, réduits à de muettes silhouettes, comme cette mère ou ce jeune homme qui n’existent qu’une minute sur le plateau.
La mise en scène de Julien Fošera est du genre précis et rigoureux… Mais la direction des acteurs qui n’ont pas tous une diction impeccable semble beaucoup plus hésitante et on ne voit pas bien pourquoi il s’obstine à les placer en position statique-ce qui est très mode- et souvent dans une demi-obscurité décourageante…
Ce qui n’est en rien justifié par un texte fort mais inégal où il y a souvent de longs tunnels que rien ne vient aérer. Un » théâtre de la parole en action », comme Julien Fošera le revendique, oui, sans doute mais il faudrait quand même aider le pauvre spectateur durant une heure et demi….
Et la scéno, assez prétentieuse, ne rend pas vraiment service aux comédiens. Virginie Mira est architecte, et cela se voit: son décor fait penser aux formes de la gare de Lille- mais inversée- imaginée il y a vingt ans par Jean-Marie Duthilleul. Elle a sans doute voulu imposer ces quatre gros blocs comme un sorte de personnage à part entière. Mais ils écrasent les autres véritables personnages de la pièce qui commencent à exister, au moment où il s’écartent un peu de cette gangue de béton.
Alors à voir? Oui, malgré ces réserves, si vous voulez découvrir un texte – mais mineur-de la grande Angelica Liddell.Pour le reste, autant en emporte le vent…
* Voir l’exposition Cheveux chéris au Musée du Quai Branly.
Philippe du Vignal
Théâtre de Vanves 12 rue Sadi Carnot T: 01-41-33-92-91 jusqu’au 1 er juin.