L’autre monde ou les états et empires de la lune

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L’autre monde ou les états et empires de la lune, de Savinien de Cyrano de Bergerac, adaptation et mise en scène Benjamin Lazar.

Il aura fallu du temps à Cyrano (appelons-le ainsi pour faire court) pour échapper à l’amour dévorant d’Edmond Rostand :  le personnage de théâtre, si populaire que le public connaît non seulement son nom mais aussi ses mots, qui fait rire et pleurer et pare à jamais de son panache le comédien qui l’a interprété, est devenu plus “vrai“ que l’homme, l’écrivain, qui lui a donné son nom. Celui-ci, libertin, libre-penseur comme on savait l’être au début du XVIIème siècle, a fait rire jusqu’à la cour avec ses pamphlets, pointes et piques. Mais L’autre monde, Les états de la Lune, n’a pas été édité de son vivant, et longtemps censuré et édulcoré après sa mort. Ce que l’on comprend, sous un ancien régime si ennemi de la liberté. Cyrano, donc, allant dans la lune par toutes sortes de moyens aussi imaginatifs que ceux de Leonard de Vinci et juste un peu plus fantaisistes, peut se permettre de mettre le monde à l’envers, cul par-dessus tête. Dans son renversement carnavalesque, il nous montre par exemple des vieillards faisant des courbettes à des jeunes gens (ça ne vous rappelle pas quelque chose ?), la terre lointaine comme une lune (nous ne somme donc pas le centre du monde ?). Dans sa fiction poétique, il invente des livres à écouter, des plats dont seule la fumée nourrit, et mille autres facéties, à lire en vente libre aujourd’hui.

Benjamin Lazar et l’ensemble La rêveuse, Florence Boton à la viole de gambe et Benjamin Perrot au théorbe et luth, nous renvoient radicalement à l’époque de l’écriture, en plein âge baroque. Bel hommage, belle tentative, mais qui déçoivent. La douce et égale mélancolie (de très haute et indéniable qualité) des instruments anciens berce jusqu’à l’éteindre la flamme cyranienne. L’acteur a de beaux éclats et des moments de virtuosité qui font plaisir, mais la déclamation baroque aplanit les crêtes, rabote le propos. En un mot, le libertin est enfermé dans une nouvelle prison, celle d’une déclamation qui, si soignée et tenue soit-elle (encore a-t-elle quelques petits accidents), ne peut restituer le dire de l’époque. L’éclairage aux bougies participe du même malentendu, avec le même charme décevant. Il produit une douce lumière dorée, juste suffisante pour que nous puissions voir musiciens et acteur, mais (passons sur les bougies, inventions du XIXe siècle au lieu, heureusement, de puantes chandelles) la rampe est placée sur la scène, trop loin de nous, derrière le rideau de fer, comme l’exigent les consignes de sécurité, derrière le proscenium. Cela nous éloigne du spectacle, qui par ailleurs a le mérite d’user de moyens simples –un escabeau qui sert de prison, d’accès au gigantisme et aux autres mondes, un petit bureau et une marionnette peu utilisée. Et cette simplicité nous donne envie d’une plus grande intimité.

Une partie du public est conquise, l’autre s’ennuie en douceur. C’est vraiment dommage de servir un chantre absolu de la liberté dans un tel carcan, au nom d’une illusoire authenticité. Lui qui rêvait d’un pays « où même l’imagination serait libre… ».

Christine Friedel

Théâtre de l’Athénée –jusqu’au 8 juin – 01 53 05 19 19

 

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