Festival des Ecoles de théâtre à la Cartoucherie- suite

Festival des Ecoles de théâtre à la Cartoucherie:  Indécences par les élèves de l’Ecole Supérieure des Arts et Techniques du théâtre (ENSATT) mise en scène de Franck Vercruyssen.

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©Christophe Raynaud de Lage

Indécences explore l’univers d’Oscar Wilde avec  deux pièces disparates imbriquées . Outrage aux mœurs de  l’auteur américain Moïsès Kaufman, est un montage qui reconstitue les procès d’Oscar Wilde, convoquant les protagonistes de l’époque et exhortant les spectateurs à prendre parti.
  Quant à la comédie grinçante et cynique d’Oscar Wilde, Une femme sans importance, elle nous plonge dans l’univers impitoyable de la haute société londonienne, celle-là même qui condamna l’auteur à la déchéance. Accusé de sodomie par le père de son jeune amant de cœur, l’auteur à succès, coqueluche de la bonne société, fut condamné pour  pédérastie, s’exila  à Paris, et y mourut dans la misère en 1900, à 46 ans.
Procès de l’artiste par la société et procès de la société par l’artiste s’articulent ici dans un dispositif bi-frontal qui convient mieux à la pièce de Kaufman qu’à  celle  de Wilde. Néanmoins, les deux univers formels  se contrarient de manière intéressante, en donnant un spectacle hybride savamment orchestré par Vercruyssen. Les jeunes acteurs jonglent comme ils peuvent avec les éléments du décor à déplacer, les changements de registres de jeu d’une pièce à l’autre mais  se révèlent fort habiles à l’exercice, avec  un savoir- faire indéniable et une belle intelligence des textes, y introduisant des moments d’humour bienvenus.
Mais ce parti-pris de mise en scène les enferme dans un jeu trop formel: la reconstitution historique du procès de Wilde est traitée  de façon assez conventionnelle  et  la pièce de Wilde traitée comme une sitcom.  Qaunt aux costumes réalisés par les élèves de l’ENSATT évoquant  le carcan de la société victorienne, ils redoublent cet effet de raideur!
Mais il s’agit non d’un spectacle mais d’un atelier de travail  qui  permet à ces futurs professionnels de se frotter à des styles de théâtre différents et de répondre à une commande rigoureuse sans déroger aux exigences de leur professeur.

Mireille Davidovici

Théâtre de l’Aquarium jusqu’au 30 juin. Et ESTBA : Machine Feydeau, mise en scène  de Yann-Joël Collin. Réservations : 01 43 74 99 61
www.theatredelaquarium.com

28-29 juin
Reprise du Garçon Girafe à l’Amin compagnie théâtrale : friche des lacs de l’Essonne Viry-Châtillon
Réservations : 01 60 78 49 33 ; info.edt@orange.fr


Archive pour juin, 2013

Festival des caves

Festival des caves à Besançon: La Guérison infinie d’après le dossier médical d’Aby Harburg, adaptation et mise en scène de Raphaël Patout.

Festival des caves guerisonLe Festival des caves-dont c’est la huitième édition- créé par Guillaume Dujardin et Raphaël Patout, s’est déroulé cette année, de mai à juin à la fois à Besançon mais aussi à à Dôle, Lons-le-Saulnier, Arcs-et-Senans, Arbois et à Lyon, dans une cinquantaine de lieux et quelque deux cent représentations!
Et uniquement dans des caves prêtées par des particuliers ou par des monuments historiques.  » La contrainte imposée par la cave est transformée en liberté, dit Guillaume Dujardin, car ce que nous ne pouvons pas montrer, nous devons l’imaginer. Le théâtre qui peut s’y inventer devient infini. Tout y est possible, surtout ce qui ne devrait pas l’être. Quelques mètres carrés qui nous obligent à être politiques et poétiques. Sous la terre, regarder le monde. Et le réinventer. Afin de le montrer autrement. »

Effectivement, les contraintes sont bien là: le plus souvent,  pas plus de 19 spectateurs, consignes de sécurité obligent, espace clos sans dégagement;  nombre d’acteurs, éléments de décor et accessoires limités, éclairage sommaire et donc mise en scène imaginée pour le lieu.
L’histoire du théâtre nous rappellerait au besoin que les spectacles depuis l’antiquité ont dû d’abord s’adapter au paysage ou à l’architecture existante, que ce soit la colline d’Epidaure, la cour d’auberge espagnole, ou plus près de nous, les appartements nus de Varsovie pendant l’occupation allemande puis… la cave cracovienne où eurent lieu les spectacles-cultes de Tadeusz Kantor .

La Guérison infinie, c’est un montage de textes: réflexions notés par une infirmière, extraits de son dossier médical, de l’historien d’art allemand Aby Harburg, soigné en 1923 pour de graves troubles mentaux à Kreuzligen, en Suisse. Il souffrait, selon les termes d’une lettre du directeur de la clinique à Freud, d’une grave psychose, accompagnée d’angoisses, d’obsessions… Aby Harburg avait choisi pour une conférence qui devait servir de test à une éventuelle sortie de l’hôpital les souvenirs d’un voyage qu’il a fait  vingt sept ans auparavant aux Etats-Unis. Issu d’une grande famille de banquiers juifs de Hambourg, il entretenait des relations difficiles avec le judaïsme, et avait choisi pour thème, de  cette conférence la manière dont les Indiens Hopis, maîtrisent collectivement, par le rituel dit du serpent , une peur immémoriale, et croient dominer les forces de la nature par le jeu de la pensée symbolique.
Harburg y met en évidence le caractère schizophrénique de la civilisation occidentale. Cassirer, l’autre grand historien de l’art allemand, avait bien vu qu’il sentait derrière les œuvres d’art les grandes énergies formatrices d’une civilisation.

Mais Harburg,  profondément malade, avant que la dégénérescence neuronale ne lui provoque, cinq ans plus tard, une attaque cardiaque fatale, prononçait aussi des phrases qui font froid dans le dos: « Je suis à la terminaison d’une chaîne d’intrigue, sans que je sache de quoi il s’agit. Parce qu’on ne me dit rien. 18 juin Un nid de merles, avec quatre petits, a disparu. Les petits étaient mes enfants. 4 juillet Pourquoi vous me coupez les cheveux? 7 juillet Le thé est contrefait, il pue, il y a du poison dedans! Le court de tennis est un lieu de rencontre pour criminels. L’eau du lac n’était pas humide, les petits garçons qui se baignaient sont ressortis secs! Le docteur Ludwig Binswanger a expédié par le train des caisses remplies de chair humaine. À la fin, qui êtes-vous ? Qui m’a envoyé dans cette caverne, où il n’y a que des putains, des souteneurs, des criminels, des meurtriers. Le gardien chef veut me tuer aujourd’hui! Petit Warburg, si cette maudite bête de Satan d’infirmière ne te protège pas, tu es perdu ! Ne m’abandonne pas! Ma bonne étoile! Qui êtes-vous donc, pour faire de telles choses ? Bande de cochons. La fange qu’on me donne pour nourriture est faite de sang humain? »
Raphaël Patout a très finement adapté,  dans une forme courte, ces textes qui sont souvent d’une violence inouïe, interprétée par une jeune comédienne, Pearl Mainfold. Aucun décor si ce n’est une carcasse de paravent en bois où elle accrochera puis décrochera à la fin ces photos de Harburg, de sa famille mais aussi d’œuvres d’art, toutes en noir et blanc.  Il y a j juste une grande table de bois, avec posé dessus, un flacon contenant un serpent, allusion  à ce rituel des Indiens Hopis.
Avec,  comme seul éclairage,  deux balladeuses à ampoule fluo répandent une lumière blafarde dans cette  petite cave voûtée où le public est en grande proximité avec l’actrice, très bien dirigée par Raphaël Patout. Elle a une belle présence et dit ces textes fulgurants avec précision et légèreté à la fois, textes que la musique d’Arno Pärt vient heureusement aérer par instants.
Mieux vaut ne pas être claustrophobe mais rarement un lieu n’aura été aussi adapté à un texte d’une telle intensité. Soixante minutes pas plus, on ressort de là comme un peu sonné par le destin de cet homme à la grande sensibilité artistique, frappé encore jeune par la maladie mentale; difficile, pour nous, de ne pas faire le parallèle avec cette grande historienne de la danse que fut Laurence Louppe, frappée elle aussi par cette même maladie…

Le spectacle devrait être repris mais il vaudrait mieux qu’il le soit dans une cave comme ici. C’est une sorte d’aventure  que Guillaume Dujardin a eu raison de programmer et c’est est bien qu’un festival comme celui des Caves puisse accueillir des spectacles hors normes comme cette Guérison infinie

Philippe du Vignal

La rue est à Amiens

La Rue est à Amiens.

C’est la 36e édition de ce festival  à Amiens qui a rassemblé,  sous la direction de Jean-Pierre Marcos et Philippe Macret,  les plus grandes compagnies de rue et bien d’autres, plus modestes, et en devenir. Ils mènent toute l’année dans les quartiers et sur un plan international,  dans le cadre de la Zone Européenne de Projets Artistiques,  un travail en profondeur des plus pertinents.

La rue est à Amiens sulkySulky  M1 de At Dirks (Pays-Bas).

Un homme arrive au volant de sa petite voiture jaune envahie peu à peu par la fumée,. Il s’agite,  cherche des outils, parvient à  dissiper le brouillard qui s’étend , en entrant dans le capot du moteur, en ressort et finit par servir le thé. Petit entresort plutôt modeste mais  qui tient quand même  le coup… sous la pluie.

Time for tea, par la compagnie Wet Picnic.

Trois sœurs, très british,  en uniforme noir et blanc,  nous servent un thé très clownesque avec beaucoup de componction. Des numéros très osés,  avec force gâteaux,  réjouissent les spectateurs. Issues de l’université de Winchester, elles se sont inspirées du travail de James Thierrée.

Kori Kori  par la compagnie Oposito, mise en scène de  Nathalie Pernette.

Oposito, compagnie de rue fondée en 82 par Enrique Jimenez,  plasticien de haut vol, très vite rejoint par Jean-Raymond Jacob, installée au Moulin-Fondu de Noisy-le-Sec,  elle rayonne dans le monde entier et  vient de réaliser son plus beau spectacle: 18 comédiens, danseurs et chanteurs, et  quatre  musiciens installés sur des chariots mobiles, déambulent dans les vieilles rues d’Amiens.
  En costumes bariolés, comportant plusieurs couches qu’ils enlèvent, qu’ils brandissent et projettent autour d’eux, les acteurs entonnent d’étranges mélopées dans un sabir étonnant, alternant  danses sauvages et  stations immobiles et parfois silencieuses
La foule qui les suit,  fascinée, leur fait une longue ovation bien méritée.

Edith Rappoport

http://www.oposito.fr

Relire Koltès

Relire Koltès, ouvrage collectif sous la direction de Marie-Claude Hubert et Florence Bernard.

Relire Koltès 9782853998765Quand on relit  Bernard-Marie Koltès, depuis La Nuit juste avant les forêts jusqu’à Roberto Zucco, c’est à l’ombre du désir-un ailleurs et un improbable ici et maintenant-comme si la parole ne pouvait advenir que là où elle est impossible.
Arnaud Maïsetti perçoit ce lointain inapprochable cher à l’auteur: on voudrait être «comme assis dans l’herbe ou des choses comme ça, qu’on n’ait plus à bouger, tout son temps devant soi, avec l’ombre des arbres.» (La Nuit juste avant les forêts). Ce rêve d’apaisement est inspiré par les paroles de Resting Place (le cimetière, un endroit où se reposer) de Burning Spear, extrait de l’album Marcus Garvey, (1976). Les racines de Koltès poussent à la lisière de la langue française, du blues et du reggae, entre le Nicaragua, les autres pays d’Amérique latine et l’Afrique. Roberto Zucco n’entretient nulle utopie, ni politique, ni éthique, puisque le « héros » symbolise la déchirure de l’ici et maintenant, son point de fuite. La pièce fait résonner « la blessure même de la communauté, une communauté qui ne peut s’établir ici, monde de pères, de mères, d’enfant, de flic, monde de l’héritage. »
Si l’on considère les trajets des protagonistes depuis Les Amertumes à La Nuit perdue et au Prologue, l’écriture voudrait naître à sa propre mort. Et, pour Marie-Hélène Boblet, ces personnages se situent dans l’opposition ; ils n’ont ni triomphé de leur détresse, ni renoncé à leur rêve de puissance : « Ils ne font pas le saut qui consisterait à parier et à compter sur les autres pour devenir soi-même : un être distinct, exposé, mais sûr de ses frontières et responsable. »
Éric Eigenmann revient sur cette démarche d’opposition, portée par le client à l’adresse du dealer Dans la solitude des champs de coton : « Je suis capable de vous éblouir de mes non, de vous faire découvrir toutes les façons qu’il y a de dire non, qui commencent par toutes les façons qu’il y a de dire oui. »
La phrase koltésienne, son enivrement et son vertige envoûtant, est faite de reprises, de répétitions, de variations et d’anaphores, de l’usage d’un parallélisme discursif, et le chiasme, est d’autant plus intéressant que les éléments de la figure ne sont pas répétés à l’identique mais modulés : « Vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir. » La situation met en lumière le croisement conscient des désirs, à travers non pas l’anecdotique rencontre de deux individus mais l’universalité des rapports humains : « Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas (…) j’ai ce qu’il faut pour satisfaire le désir qui passe devant moi. » Un moment de rêve de bascule du désir à la satisfaction.
Le chiasme est chez lui présent, de La solitude au Combat de nègre et de chiens. Europe et Afrique, Blancs et Noirs s’affrontent dans un échange impossible à travers une « transaction langagière », selon les mots d’Evelyne Pieiller. Koltès écrit un théâtre d’échange, au cours duquel les corps se côtoient, s’esquivent, s’approchent et s’éloignent. S’agit-il d’une éventuelle marchandise – sexe ou drogue – ou bien d’un simple entretien verbal qui consiste « à faire nommer par l’autre l’objet de son offre ou de sa demande, soit l’objet du désir » ?
S’il se passe quelque chose dans la pièce, ce sont des paroles travaillées « qu’érotisent la musicalité des jeux verbaux et le ballet scénique des corps. » Et, pour Éric Eigenmann, l’enseignement jésuite du collège Saint-Clément à Metz aura donné au dramaturge, outre « le goût de la littérature » et du théâtre classique, celui des « concours d’interprétation » qui conçoivent la rhétorique, non seulement comme une lutte verbale, mais comme une danse.
Jérémie Majorel, lui, considère le théâtre de Koltès comme éthique avant tout : un lieu expérimental de rencontres déplacées et déclassées entre les êtres mais aussi entre l’ombre et la lumière, dans un hangar, ou sur un plateau nu. Ce côté expérimental rappelle la mise en scène de La Dispute de Marivaux par Chéreau qui avait ébloui Koltès en 73. Chez lui, le théâtre est perçu comme un lieu de rencontre plutôt que comme lieu de questionnement de la perception, qu’il s’agisse de Quai Ouest ou de La solitude : « Je vois votre désir comme on voit une lumière qui s’allume, à une fenêtre tout en haut d’un immeuble, dans le crépuscule ; je m’approche de vous comme le crépuscule approche cette première lumière, doucement, respectueusement, presque affectueusement… »
Ce ne sont pas les figures du « rapport amoureux » ou d’une « histoire de pédés » qui intéressent Koltès dans son approche de la figure complexe du deal qui permet de saisir entre les personnages, le jeu entre cynisme et affectivité :
« Le deal koltésien mesure donc le degré de résistance du commerce humain au commerce économique, son irréductibilité, il est la déconstruction de l’un par l’autre, empruntant le masque de l’ennemi pour mieux le parasiter de l’intérieur et en dérégler subtilement la logique. » Ce dérèglement obéit à la loi interne de l’asymétrie, un concept éthique. La question de la communauté est ici indissociable de celle de la solitude. Tombé au fond de la solitude de la langue, Koltès a pris conscience que cette solitude est toujours habitée par l’Autre, et nous confiait en 88 :« De toute façon, une personne ne parle jamais complètement seule : la langue existe pour et à cause de cela – on parle à quelqu’un, même quand on est seul. » Les personnages parlent beaucoup car le langage est l’instrument du théâtre. Et c’est un bonheur pour le spectateur que de voir et d’entendre le Dealer et le Client osciller entre la séparation dans la fusion et la fusion dans la séparation, suggérant un « rien » qui est tout, un « entre » complet qui installe l’être dans son existence.Le client résume : « Je ne paie le vent, l’obscurité, le rien qui est entre nous… » Plaisir du texte mais aussi plaisir du lecteur et du public que la chorégraphie de la « capoeira », un art martial noir, parachève encore.
La métaphore est non seulement politique – les noirs ne pouvaient porter d’armes -, érotique – une tension qui monte dans les préliminaires du combat –, mais poétique aussi – un art qui entretient l’espacement entre les corps et ne porte pas de coups. Cyril Desclés décèle une relation entre l’écriture du dramaturge et la pensée stratégique chinoise. Admirateur de Bruce Lee, Koltès consacre un article critique au film de Berry Gordy, Le Dernier Dragon (1985) dans lequel il reconnaît le « jeet-kune-do » (la voie du poing qui intercepte) : un art de défense arrêtant et détournant l’attaque de l’adversaire.
La Marche
est le second texte théâtral, écrit et mis en scène par Koltès en 70, avec sa troupe du Théâtre du Quai.C’est, pour Audrey Lemesle, comme une réécriture du Cantique des cantiques, une réflexion sur le désir dans la contiguïté avec le sacré. L’auteur y explore les possibilités du désir et de l’amour avant de conclure Dans la solitude des champs de coton : « Il n’y a pas d’amour. »`
Marie Hartmann s’emploie à analyser l’hypo-texte religieux qui met en question les fondements de l’ordre judéo-chrétien dans Quai Ouest. L’emprunt sert au détournement et à la subversion. Et Le Livre de Job  nourrit le thème de l’ombre et de la lumière : « Ceux-là tâtonnent en des ténèbres sans lumière, et Dieu les égare comme des ivrognes. » Koltès propose dans sa pièce des « faux » bibliques et récuse la prétention des religions à donner un sens à l’histoire des hommes : « Celle-ci ne peut être pensée que comme une recherche et un questionnement empruntant plusieurs voix. »
Enfin, Yannick Hoffert étudie les résonances et les diffractions entre Roberto Zucco et Le Jour des meurtres dans l’histoire d’Hamlet. Le parricide (Zucco) qui surgit lui-même comme un spectre, et l’inversion suggère un rapport de symétrie inverse entre Zucco de Koltès et Hamlet de Shakespeare.
Dans les deux pièces, on note en effet un même rapport à la violence et au meurtre, à la communauté, à l’enfermement, à la mort. Un même état de guerre mais le conflit qui dresse chacun contre chacun est partout dans Roberto Zucco :« S’il y en a un qui commence, tout le monde ici va tuer tout le monde. » La rupture avec la communauté est radicalisée pour le serial killer qui s’exclut. Les deux héros toutefois relèvent de la mélancolie et de la méditation sur la finitude de l’existence. Mais dans Roberto Zucco, nulle compensation au chaos du monde : la pièce apparaît comme le symptôme d’un monde dépourvu de discours permettant d’espérer fonder la communauté et le sens de l’existence.
Pour Yannick Hoffert encore, l’inscription d’Hamlet dans Roberto Zucco rejoint la position d’Antoine Vitez, qui affirmait que les œuvres du passé sont des  architectures brisées . Aux metteurs en scène de dévoiler le travail du temps, ce à quoi s’applique déjà l’écriture de Koltès.
On n’en finira pas de redécouvrir la subtilité du plaisir que procure ce Relire Koltès. Sa grande thèse: ne pas céder sur son désir et considérer que la principale menace qui s’exerce sur le désir est la demande : « C’est théâtralement splendide, dit Alain Badiou, dans Éloge du théâtre : le rapport théâtral entre le dealer et le client est la métaphore de quelque chose d’essentiel dans le monde contemporain. »

Véronique Hotte

Textuelles, Presses Universitaires de Provence, Aix-Marseille, 2013.  18,05€

tabac rouge

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Tabac rouge, mise en scène, scénographie et chorégraphie de James Thiérrée.

 

C’est son cinquième spectacle, et le premier où il n’apparait pas sur scène. Il en a assuré à la fois la scénographie qui est toujours chez lui un des axes centraux , comme dans cette merveille qu’était en 98 La Symphonie du Hanneton,  mais aussi  la musique et  les lumières. Il y a aussi   ce même dénominateur commun: un personnage en lutte contre un groupe humain, sur un grand plateau.
Mais son travail, qu’il orientait davantage vers le mime et l’acrobatie de haut niveau,  comprend cette fois, de nombreux moments dansés dont il a assuré lui-même la chorégraphie visiblement influencée par Pina Bausch, Alain Platel et Wim Vandekeybus- il y a plus mauvaises  références!-qui entre ici en interaction avec quelque chose qui ressemble à du théâtre non parlé… Enfin, James Thiérrée a choisi comme parti pris, une sorte de déconstruction  permanente  surtout vers la fin,  avec un décor qui ne cesse pratiquement pas de bouger.

C’est, il faut le reconnaître, assez remarquable  sur le plan technique: imaginez un grand mur de perches imbriquées les unes dans les autres avec des châssis de miroirs, mur que les régisseurs déplacent, et qui, à la fin, happé par des filins,  se retrouve à l’horizontale au-dessus de la scène. C’est  d’une virtuosité exemplaire, comme le sont les enchaînements musicaux ou chorégraphiques. Tout cela fonctionne très bien comme dans une boîte à musique au mécanisme de montre suisse. Aucun doute là-dessus, Thiérrée sait faire, et bien faire,  tant  le grand plateau du Théâtre de la Ville lui est maintenant familier… Et on peut constater  que le spectacle  est bien rodé.
  Mais cela donne quoi sur le plan artistique? Désolé mais vraiment pas grand chose d’intéressant! Et les applaudissement ont été des plus frileux-il y eut même quelques sifflets et les saluts furent vite et tristement  abrégés. Thiérrée lui-même n’est pas venu saluer, comme s’il se doutait de l’accueil qui allait être réservé à cette chose. Comme me l’a dit,  à la sortie, un mien confrère, non dénué d’humour:  » C’est toi qui vas faire l’article, condoléances, cher Philippe ».
Mais il est intéressant d’essayer de comprendre  pourquoi cette grosse machine avec dix interprètes dont six danseuses, et une équipe technique remarquable,  qui a  exigé de gros moyens, ne fonctionne pas, et cela, dès pratiquement les premières minutes. D’abord, le grand praticable mobile  et le bureau aux deux lampes à abat-jour kitch, avec ses bataillons de roulettes ne sont quand même pas sur le plan plastique d’une grande réussite. Enfin passons!
Mais les faire sans cesse évoluer sur le plateau finit par donner le tournis et provoque une sorte d’anesthésie visuelle qui  empêche de voir le reste. Ce qu’un décorateur expérimenté aurait tout de suite conseillé à Thiérrée de ne pas faire. Kantor  était, lui, son propre  scénographe, mais il avait longtemps exercé ce métier difficile avec beaucoup de savoir-faire et d’intelligence, avant d’être le créateur à part entière de spectacles-cultes comme La Classe morte, Wielopole, Wielopole, etc….

Par ailleurs, désolé aussi de le dire mais la chorégraphie, même inspirée de celles des grands noms cités plus haut,  n’est pas vraiment du bois dont on fait les flûtes et n’accroche en rien le regard du spectateur qui cherche en vain l’axe d’une réalisation sans  unité qui part dans tous les sens, et   dispense un ennui de premier ordre pendant quatre vingt dix  minutes. Tabac rouge sans doute mais fil rouge, que nenni !
Denis Lavant, qu’on aperçoit seulement à cause de  la parcimonie des éclairages, fait ce qu’il peut,  mais,  à l’impossible,  nul n’est tenu. Sur le plan gestuel, il y a quand même quelques belles images, mais cela ne suffit pas et  Thiérrée est tombé dans tous les stéréotypes du spectacle contemporain depuis  cinquante ans: plateau nu, fumigènes à gogo avec effets lumineux comme  dans n’importe quelle boîte miteuse, interprète  qui s’enroule le corps d’une bande plastique noire, miroirs qui reflètent les spectateurs, danseuse qui traverse les premiers rangs du public… Tous aux abris ! Comme si,  à court d’idées, Thiérrée s’était rabattu sur des procédés dont n’importe quel jeune metteur en scène sait qu’ils sont usés jusqu’à la corde.
Reste à comprendre aussi comment un spectacle aussi pauvre  sur le plan artistique, a pu avoir droit de cité au Théâtre de la Ville. Il y a bien eu, au départ, un projet soumis à Emmanuel Demarcy-Motta -qui sait pourtant bien diriger sa grosse boutique- et à ses collaborateurs, non ? On ne comprend pas! Le Théâtre de la Ville s’en remettra et  James Thiérrée aussi mais mieux  vaudrait qu’il  renouvelle d’urgence son inspiration… On a presque l’impression que l’auteur de ce Tabac rouge n’est pas le même que celui de la célèbre Symphonie du Hanneton.
Que vous ayez vu ou non ses précédents spectacles, vous pouvez vous abstenir! Sinon, dans les deux cas, vous seriez déçu. On verra bien ce qu’en pensent nos amis russes, peu habitués à ce type de théâtre et donc, sans doute plus indulgents. Mais, comme disait l’immense Dante: «  Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate! »

Philippe du Vignal

Nous avons  demandé à notre jeune correspondante russe, Anastasia Patts,  doctorante à Paris, de nous donner aussi  ses impressions sur ce spectacle… Point de vue:

Le public s’habitue sans doute à ne pas chercher une histoire  chez certains metteurs en scène de théâtre visuel,  au motif qu’une vraie création se produit, non pas sur  le plateau mais dans son imagination. Comme dans les spectacles oniriques de James Thiérrée:  La Symphonie du hanneton, La Veillée des abysses, Au revoir parapluie et Raoul, qui se révèlent très achevés et même d’une indéniable cohérence). Dans T,  on cherche les trois principes fondamentaux  de narration: une intrigue, un pic et un dénouement mais difficile  de les  définir…
On essaye de trouver une explication à ces images de corps de comédiens/danseurs, dont on espérait percevoir les émotions. Mais, déception, c’est plutôt les changements de cette grande plaque de miroirs (tour à tour verticale, horizontale, ou inclinée) au mécanisme complexe  qui nous fascinent!
Et quand on  essaye de  voir les rapports entre le spectacle et la scénographie, on se perd en conjectures. Naturalisme? Surréalisme? Symbolisme? Pas d’interaction entre le décor et le jeu des comédiens! Les reflets vacillant des miroirs opaques et tremblants semble évoquer la fragilité de l’existence.  La fumée du tabac au début, les personnages clones issus de l’imagination du protagoniste (Denis Lavant), ou de ses hallucinations narcotiques,  leurs métamorphoses, la disparition du héros dans les dessous … tout cela  rappelle le fameux  baroque de La vie est un songe et le caractère illusoire de la vie, de la frontière confuse entre réalité et imagination.
 Mais on  s’interroge en vain sur le pourquoi de cette  séparation entre émotionnel et visuel, malgré   les trouvailles merveilleuses de mise en scène et de scénographie de James Thiérrée.

Anastasia Patts

Théâtre de la Ville jusqu’au 8 juillet puis en tournée..

addendum du 27 février:

cet article me semble bien sévère! J’ai vu ce spectacle avec plaisir. Certes on peut trouver des reproches à faire en sus des fumigènes, mais Ph. du Vignal s’en est largement chargé! peut-être Tabac rouge s’est bonifié depuis, il y avait de quoi se mettre sous l’œil et dans les noreilles, le public  à applaudi longuement et les rappels se sont succédés! Ce qui prouve que je n’était pas seule à apprécier le beau travail.

Claudine Chaigneau

Horizons, exposition des photographies de Gabriel Figueroa Flores

 

 

 

Horizons, exposition des photographies de Gabriel Figueroa Flores  20110424-_nam3859

Horizons, exposition de photos de Gabriel Figueroa Flores

 La nature mexicaine comme théâtre  et le sable à perte de vue habitent les photos de Gabriel Figueroa Flores qui raconte, avec ses grands formats en couleurs ou en noir et blanc, l’immensité des déserts, la complexité des végétaux, la profondeur des reflets et l’illusion. Bordées de découpes et d’échancrures, ses photos sont parfois déchirées en leurs bordures, ou fissurées en leur centre, ce qui oblige à une  concentration du regard.
Mangroves et baobabs, variations de sépia à orange vif, strates de minéraux, arbres secs perdus dans des décors naturels et le silence, tout invite à la méditation. Fleur de Meztilán, un long cactus, s’étire dans une diagonale, et chacune des ses piques est d’une parfaite netteté ; Paysage lunaire montre des strates de pierres penchées gris anthracite ; des Arbres à carquois en rouge laissent le vent effleurer le fin duvet des herbes au soleil couchant, et les restes d’un arc-en-ciel ; Death Valley se compose de quatre segments en dégradé où le regard fouille le paysage, palier par palier, dans une gamme de gris ; Taus mountains, en noir et blanc,  s’élancent aussi haut que les grandes Jorasses helvètes, à en toucher le ciel ;  dans Le Bois de Pont Lobos s’entremêlent souches et racines au sol, couchées par le vent, à deux pas de la mer ; dans Les Dunes de Sossuvlei,  le sable est orange et le ciel nuageux ; Les Xalames, imposants baobabs aux troncs millénaires, ressemblent aux éléphants. Et l’imaginaire se met en marche quand on regarde ces photos où l’emporte la perfection de la composition et du détail, quand il capte  la pureté de ces paysages  sans  âme qui vive. Mélancolie et poésie sont la quintessence de son œuvre.
Diplômé en arts visuels de l’université de Westminster, Gabriel Figueroa Flores se dit influencé par Ansel Adams, son professeur, écologiste et photographe américain connu pour ses paysages et une singulière sensibilité aux espaces ouverts, et qui lui en a donné le goût. Il est aussi le dépositaire et restaurateur de l’héritage photographique de son père, Gabriel Figueroa, un chef-opérateur des plus connus au Mexique, et  il s’est lancé, à son tour, depuis une douzaine d’années,  dans la réalisation de films. Avec en 2007 : Un portrait de Diego, la révolution du regard, documentaire long métrage sur Diego Rivera, Gabriel Figueroa et Manuel Álvarez Bravo, à partir d’archives filmées en 49 par les artistes eux-mêmes.
Gabriel Figueroa Flores ne retouche pas ses photos, ainsi la prise de vue est-elle très méticuleuse, comme le choix de l’appareil. Il met un soin particulier à réaliser des tirages numériques sur des toiles à base de lin, retenues par des œillets et de discrets tendeurs.L’accrochage, très sobre, a été réalisé dans le bel espace de l’Instituto cultural de México dont la  nouvelle directrice, Sara Valdès, est diplomate et connaît bien les rouages de la politique française pour avoir fait des études  en conception, décision et gestion culturelle », programme mis en place par Jack Lang.
Cela laisse présager des projets de coopération de forte intensité. M. Agustin Garcia-Lopez Loaeza, ambassadeur du Mexique et Jose Luis Martinez, directeur général des affaires internationales au ministère mexicain de la culture, ont rendu hommage à l’œuvre du photographe. »Les mains vides je suis venu au monde, pieds nus,  je vais le quitter. Ma venue, ma sortie, deux simples choses entremêlées tout au long du chemin», dit Kozan Ichikyo. « Avec un appareil photo » ! ajoute Gabriel Figueroa.

 Brigitte Rémer

Instituto Cultural de México, 119, rue Vieille-du-Temple. Métro : Filles du Calvaire,  jusqu’au 20 juillet, ouvert du lundi au vendredi de 10h à 13h et de 14h30 à 18h ; le samedi de 15h à 19h ; fermé le dimanche et les jours fériés. (www.mexiqueculture.org)

Festival des Écoles de théâtre à la Cartoucherie


Festival des Écoles de théâtre à la Cartoucherie

Pour la quatrième saison consécutive, les théâtres de la Cartoucherie accueillent les  présentations de sortie de plusieurs écoles supérieures.Cette année, 55 jeunes comédiens-issus de l’ESAD (Paris), de l’ESTBA (Bordeaux), de  l’ENSATT (Lyon) et de l’EDT 91 (Essonne)-qui ont été dirigés par des metteurs en scène  expérimentés et accompagnés par des apprentis techniciens… Avec  aussi bien des auteurs contemporains que des classiques.

Le Garçon Girafe de Christophe Pellet, mise en scène d’Etienne Pommeret avec les élèves  de l’école départementale de théâtre  de l’Essonne. 

Festival des Écoles de théâtre à la Cartoucherie 977218e20d8a96a1f0002755b474eeb2Cette  trilogie se déroule sur trois époques (années quatre-vingt, quatre-vingt-dix et début vingt et unième siècle); et met en jeu trois générations de jeunes gens poursuivant une quête identitaire et amoureuse désespérée.
Découpée en brèves séquences, cette chronique désenchantée est constituée d’incessants chassés-croisés amoureux entre les personnages et traite, non sans ironie, de l’inanité de notre existence et de l’impossibilité de trouver l’âme-sœur dans une société mercantile anxiogène et déshumanisée.
Pommeret a relevé le défi de cette écriture cinématographique sans ornements, en organisant l’espace comme un lieu abstrait qui fait surgir le concret des corps. Un montage cut, rythmé par les entrées et sorties des comédiens derrière un rideau rouge, révèle l’acuité de situations traitées dès lors en gros plans.
Les élèves endossent leurs personnages avec gourmandise, sans complaisance ni psychologisme. Quand l’un dit
 : « Ce n’est pas la chair qui est triste mais l’amour », la vitalité des jeunes corps donne une juste distance à ses propos. Les rôles sont souvent doubles, ce qui renforce la distanciation par un effet choral,   donne un caractère ludique au spectacle, souligne la personnalité de chacun,  et met en valeur l’humour sous-jacent de l’auteur.

Les figures s’estompent jusqu’à disparaître, mais les corps des jeunes comédiens, eux, sont bien présents et leur vitalité donne à la pièce une belle justesse de ton. Le pédagogue Pommeret a permis aux élèves de donner le meilleur d’eux-mêmes : après deux ans d’école,  ils semblent  armés pour entrer dans la vie professionnelle.

Illusions de Ivan Viripaev, traduction de Tania Moguilevsakaia et Gilles Morel, mise en scène de Galin Stoev, avec les élèves de la promotion 2013 de l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique de Paris. 

 Le metteur en scène bulgare Galin Stoev a guidé ses élèves  dans l’univers onirique et labyrinthique de l’auteur russe Viripaev qu’il connaît bien  pour avoir créé nombre de ses pièces. L’œuvre, à géométrie variable, permet à toute la classe d’investir ce récit à plusieurs voix qui s’agence librement autour de deux couples de vieillards. A l’heure de leur mort, ils  se racontent des vies amoureuses fondées sur des illusions. Qui a aimé qui ? Qui aime qui ? A-t-on vraiment aimé avec  fidélité son  conjoint, et cela était-il réciproque ? Le véritable amour existe-t-il sans réciprocité ?
Les jeunes comédiens prennent plaisir à  détricoter et retricoter les sentiments de ce quatuor revenant sans cesse sur la nature de l’amour sans jamais résoudre la question. Tout est décidemment instable dans un monde où l’on voudrait avoir des certitudes.Ces allers-et-retours entre passé et présent sont prétextes à  digressions fantaisistes, intermèdes chantés,  élucubrations loufoques, et  moments de trouble métaphysique. Le récit se mue en numéro  de music-hall ou  de cabaret, voire en débat. Autant d’espaces pour le jeu et l’invention des interprètes.
Construit avec rigueur, le spectacle donne libre cours à tous les registres du théâtre  et permet à chaque comédien d’exploiter ses potentiels vocaux, ses aptitudes à la comédie comme au tragique. Il y a dans l’écriture une liberté virtuose habilement traduite par les jeunes acteurs sous la houlette de leur metteur en scène
.  Ils ont eu droit à une ovation debout...

 Mireille Davidovici

Cartoucherie de Vincennes Du 27 au 30 juin ESTBA : Machine Feydeau, mise en scène de Yann-Joel Collin; ENSATT : Indécences de Wilde et Kaufman, mise en scène de Franck Vercruyssen.  Entrée libre. Réservations : 01 43 74 99 61
www.theatredelaquarium.com

28-29 juin

Reprise du Garçon Girafe à l’Amin compagnie théâtrale : friche des lacs de l’Essonne Viry-Châtillon

Réservations : 01 60 78 49 33 ; info.edt@orange.fr

Week-end international à la cité

Week-end international à la Cité Internationale les  5, 21, 22 et  23 juin.

 

Week-end international à la cité  philippe-decoufleLe Week-end international à la Cité  fait l’éloge de la sensation, à travers un vaste projet: renouveler nos perceptions et notre compréhension du monde.
Une façon pour le spectateur encore, non pas de se distraire vainement, mais  de réfléchir ,avec recul et ironie à « la distance entre ce que l’on ressent et ce qu’est en réalité, la réalité ».
Entrée interdite de Philippe Decouflé avec sa compagnie DCA, invite le public à découvrir à la Cité internationale, la Fondation Biermans-Lapôtre, la Maison des Étudiants belges et luxembourgeois.
Après quelques pas dans un long corridor aux baies vitrées, un interprète portant bottes blanches et casque blanc de chantier, s’emploie à apprendre aux spectateurs de la file d’attente la flushmup, une danse populaire et accessible aux profanes.
Puis le public entre dans la grande salle des fêtes qui flamboie de sa décoration d’apparat kitch ; hauteur imposante, parquet, statues, balconnets intérieurs.
Les interprètes de Découflé ont revêtu les combinaisons flash et colorées des super-héros un peu usés de nos temps recyclés, Superman, Batman, Spiderman… qui ont laissé leur masculinité bien trempée aux vestiaires.
Humour, comique et ironie, les danseurs ne portent qu’une parure ridiculisée car vide d’héroïsme, un déguisement de carnaval. Les voilà qui miment dangereusement-ils sont sur le sol!-un numéro d’acrobates dans les airs, visage anxieux, bouche crispé puis sourire de soulagement: une belle réussite collective bruyante. Non loin d’eux, masques, déguisements et travestissements de fête brillent de tous leurs feux : un trio troublant, une femme et deux hommes travestis en super-nanas aguicheuses, s’engagent dans une danse sensuelle inattendue.
Autour, le public déambule  pour s’approcher de telle ou telle scène : une interprète répète en toute modestie,  mais avec beaucoup d’énergie et de vitalité professionnelles,  en ayant soin-sous l’œil du public-de retirer son sweat à capuche. Une autre danseuse, libre et indifférente aux regards alentour, s’adonne, corps et âme, à une chorégraphie rodée et autonome, un plaisir pour le spectateur invité.
Notons encore cette boîte, où,  tour à tour,  un homme puis une femme, se replient et se contorsionnent dans des gestes amoureux, couple d’amants en tenue de combinaison de plongeur couleur argent comme leur boîte.
Le bal final du raout fait entrer dans la danse Jane, son beau Tarzan aux couleurs africaines, et des tutus romantiques détournés de leurs modèles, une fête joyeuse et ravissante par dix piliers de la Compagnie DCA qui s’amusent avec brio et malice de leur garde-robe flamboyante, avec Découflé lui-même sur la scène pour une performance dont la spontanéité enlevée ne cache pas le prochain spectacle à venir.
Le travail de Découflé fait toujours rêver , à force de rigueur et de liberté facétieuse, avec un petit orchestre à deux, des chansons de Nosfell  et quelques  instruments à corde.

Véronique Hotte

Les 21, 22 et 23 juin 2013, Théâtre de la Cité internationale.

Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée

Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée… de Bruno Geslin et Pierre Maillet, d’après les entretiens de Pierre Chaveau avec Pierre Molinier, mise en scène  de Bruno Geslin.

 

 Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée 281-2003-ms-jambe-01Une scène éclairée de rouge,  avec des paravents tapissés de toile de Jouy. Côté jardin, un tabouret et côté cour, un établi-bureau un peu foutrac. Au centre, un écran  vidéo aux ombres indiscernables, où l’on distingue quand même une paire de jambes avec escarpins.
Une voix au timbre nasillard-car accélérée- distille quelques suggestions hypnotiques:  » Vous vous détendez de plus en plus, vos paupières sont lourdes, et à la fin, quand les lumières se rallumeront, vous vous sentirez frais et détendus, comme après une bonne nuit de sommeil… »

C’est amusant, permet de se concentrer et de se laisser glisser  dans un nouvel univers. Efficace sans doute mais un peu gadget, et on  ne comprends pas bien  le lien avec  le texte.  Après cette mise en bouche décalée, le spectacle commence. On entend des bribes de voix incompréhensibles, répétitives et incongrues. Ambiance  à la fois étrange et drôle, avec une vidéo noir et blanc où l’on voit  des morceaux de corps,et de  jambes gainées de bas, assaisonnées de lettres qui défilent  une à une:  P-I-E-R-R-E-M-O-L-I-N-I-E-R.
La vidéo est vraiment tout à fait remarquable: grâce à un  montage rapide et à  sa place au centre du plateau, elle devient actrice à part entière, en ouvrant un éventail de possibles dans un rapport image/son  assez réussi. Mais dans la suite du spectacle, les images  sont   moins  fortes: plans fixes ou compositions animées de jambes, inspirées par le travail photographique de Molinier, mais trop longues et répétitives, et en fond de scène décoratif, elles restent  alors  à la surface  du texte, l’illustrent ou le paraphrasent… Cette  vidéo aurait vraiment gagné à créer une ouverture visuelle vers le travail de Molinier, et ajouter une  dimension plastique au texte.

 Ensuite, changement de lumières et  la musique éclate: deux hommes, dont l’un glousse de rire, dansent en bas noirs et talons aiguille, comme dans les photos bien connues de Molinier. Noir. La lumière revient progressivement, et sur un tabouret à l’avant-scène,  assis, droit et fier de lui, Pierre Maillet rit  en regardant le public- et c’est contagieux et cela  devient  comme  un refrain qui apporte ponctuation et légèreté.
Long silence, rires dans la salle. Il glousse encore, content de lui, puis commence à parler. Pierre Maillet EST Pierre Molinier: mêmes initiales, et probablement, même morceau d’âme en commun dans une interprétation incarnée et  crédible: c’est un véritable plaisir que de savourer ses perles de réflexions, même les plus noires.
L’acteur dans une sorte d’auto-dérision,  réussit à nous faire entendre avec plaisir  l’intelligence du texte;  même les explications  de Molinier sur l’usage des godemichets, et   la mise en scène d’un suicide en deviennent réjouissantes. Fantasmes incestueux, éjaculations inavouables: tout y passe, avec fluidité,  quand Pierre Maillet/Molinier  se livre ainsi sans aucune pudeur, mais non sans  délices. « Sensationnel ! », comme il dit, en  gloussant,  une fois de plus…

Dans une suite de courtes scènes, l’acteur nous livre la vie de  Pierre Molinier, ses humeurs et ses  déboires, comme on parle à un ami..  Alternées   avec des intermèdes  à un, deux ou trois danseurs (le troisième étant Molinier), assez peu  convaincants, malgré de jolis moments avec  le jeune et sculptural Nicolas Fayol (surtout lorsqu’il porte un masque rouge à l’arrière du crâne), et d’amusants trios.
Mais pourquoi cette  musique  convenue est-elle aussi forte ? Comme les lumières rouges, vertes et bleues, cela voudrait  évoquer l’univers de la nuit…  Molinier parle de désir, de fétichisme, de plaisir charnel et  de corps travestis, mais pourquoi lui accoler une esthétique de club érotique déjà cent fois vue ?
À une époque de mœurs encore corsetés, la grande force de Molinier est d’avoir intégré sa sexualité à son mode de vie, de l’avoir vécue, de façon  authentique et sans tabou. Son univers  n’est pas seulement érotique, c’est aussi un chemin instinctif vers une transcendance. Iconoclaste, il crée ses propres images, en « tentant  de résoudre le problème de l’androgyne initial ».
Mais peut-on ici seulement parler d’érotisme, de fétichisme, ou de sexe? Il a inventé son mode de vie, son esthétique, et une  forme de spiritualité. Le point d’entrée dans ce monde semble être le désir qu’enfant, il avait  pour les jambes de sa sœur. Gorgée de vie et de sourires que cette graine de désir a fait naître, une telle richesse aurait dû être mise en valeur de façon un peu plus  subtile. Molinier est sans doute  un être  qui sait jouir de la vie et lui dire oui, et qui appréhende la mort  de la même  façon totale: il  s’est finalement  suicidé
.

images

©Pierre Molinier

Cette ambiance club paraît donc creuse, même  en lui  ajoutant une séquence vidéo où l’on voit, de dos, un homme  qui  danse de façon répétitive, avec un masque de squelette sur la tête. Et quel est le rôle-Elise Vigier, malgré une belle présence, n’est pas danseuse -de cette femme , immensément triste et muette? Si ce n’est pour équilibrer la masculinité de Nicolas Fayol dans une chorégraphie intégrant principes féminin et masculin… Si l’objectif était d’illustrer la quête androgyne de Molinier, Fayol pouvait, à lui seul, l’incarner, tant il ressemble à une statue d’éphèbe grec en mouvement. Ces  chorégraphies ont au moins le mérite de relancer un  rythme qui tend parfois à se diluer…
Alors à voir ? Oui, pour la superbe interprétation de Pierre Maillet, pour un  texte à la fois drôle et savoureux, et pour certains des intermèdes  chorégraphiés (entre autres, ceux avec un danseur au masque rouge, une projection sur voile et un homme-araignée). Et pour la  mise en scène, riche et bien travaillée. Mais  on  regrette de ne voir aucune des photos, portraits de gens,  peintures, dont parle Molinier… Dommage!
Si votre curiosité est piquée, dépêchez-vous, la salle est comble !

 Laurie Thinot

Théâtre de la Bastille

Münchausen, le spectacle

Münchausen, le spectacle, écriture collective dirigée par Julien Luneau, mise en scène collective dirigée par Elsa Robinne.

Münchausen, le spectacle munchhausen-spectacle_02Karl Friedrich Hieronymus Freiherr von Münchhausen  combat pendant dix ans dans l’armée  russe et est   nommé, en 1750, capitaine de cavalerie. Revenu en Allemagne, il confie à l’écrivain Rudolf Erich Raspe ses aventures: il aurait voyagé sur la lune sur un boulet de canon et dansé avec Vénus. Outre-Rhin, cet officier  nostalgique de ses prétendus  exploits est un archétype bien connu (déjà Le Miles gloriosus de Plaute!), et un héros légendaire, un peu  à la manière de Tartarin de Tarascon ou de Cyrano de Bergerac, affabulateur,  et  un peu dérangé. Un héros dont le nom a été donné à un syndrome psychique où  les victimes simulent tous les symptômes d’une maladie afin d’attirer l’attention des médecins.
En 1785, Rudolf Erich Raspe   publie en anglais ces récits (du vivant du baron de Münchausen)  qui furent ensuite  traduites en allemand-mais remaniées  dans un style plus satirique-par le poète Gottfried August Bürger (1747-1794). Puis ces Aventures  furent traduites  en français par Théophile Gautier(fils),  avec les illustrations bien connues de Gustave Doré.  Elles donnèrent lieu aussi à une dizaine d’adaptations au cinéma dont la première en 1911 par Georges Méliès, puis plus  récemment au théâtre.
Ce Baron fantasque est prisonnier de son manoir comme des pages du livre de ses récits. Et, en proie à l’alcool,  il ressasse ses histoires mais plus personne ne l’écoute…. Karl le majordome du baron  est le  témoin impuissant de ses délires et de sa descente  aux enfers. Puis ce Baron, imbu de lui-même, vantard et grand menteur devant l’éternel, comprendra qu’il n’a plus rien à gagner à n’être qu’un personnage de papier et décidera de sortir de cette situation inconfortable… quitte à être obligé de
Le collectif qui s’est emparé  de cette œuvre insolite, a,  pour le raconter, choisi de la traduire à travers une exploration de son for intérieur » et de  représenter le baron avec six personnages qui vont livre les différents visages du baron ». Accompagnés par un accordéoniste et batteur,  et avec une scénographie  et des lumières très simples de Nicolas Hubert soit une série de seize cubes qui leur servent à construire un trône, un muret,etc… et qu’ils manipulent souvent-un peu trop souvent mais de façon assez ludique. La diction et  la gestuelle des jeunes comédiens  sympathiques  sont d’un niveau tout à fait correct,  les costumes plutôt fins et frôles, la scénographie assez futée, et il y a un  bon rythme, du moins, au début…
Et cela fonctionne? Non, pas vraiment. Cette adaptation, issue d’une écriture collective, est  bien trop bavarde, il y a peu de véritables dialogues, et  il manque une véritable dramaturgie pour que l’on s’y intéresse un peu plus longtemps que, disons, les vingt premières minutes. Les déplacements sont plutôt bien dirigés mais on ne sait pas trop où ce collectif veut en venir, et l’ennui est vite au rendez-vous. Tout est trop flou! Les jeunes comédiens font ce qu’ils peuvent mais, à l’impossible, nul n’est tenu!
En fait,  tout se passe comme si ce collectif- mais, au fait, qui a fait quoi dans ce collectif?- avait été séduit par ce personnage mythique sans trop savoir comment arriver à  raconter  une  histoire philosophique où « l’imaginaire et le pouvoir se disputent le pouvoir ».
Le jury de présélection a trouvé que « la proposition de mise en scène  était tenue  et maîtrisée », peut-être… mais  pas sur une heure et demi; et, désolé,  ce texte redondant  ne possède guère de vertus théâtrales…

Philippe du Vignal

Spectacle joué au Théâtre 13 Seine  les 18 et 19 juin.

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