Nothing hurts
Nothing hurts de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort, mise en scène de Marie Fortuit.
Cela se passe au Lieu de Théâtre A, une petite salle toute blanche, de trente-cinq places, juste équipée de quelques projos, située dans une rue proche de la Mairie des Lilas, donc à des années-lumière du bruit et de la fureur parisienne. C’est une sorte de petit laboratoire expérimental que le bon acteur Arnaud Veilhan cornaque avec bienveillance.
Nothings hurts- qui avait reçu le premier prix de l’académie des arts de Berlin en 2001- est signée Falk Richter, jeune dramaturge allemand, proche des milieux alternatifs allemands et maintenant bien connu en Europe, que l’on avait déjà pu voir chez nous et dont s’est emparée Marie Fortuit pour sa première mise en scène.
Comme dans les autres pièces de Richter, cela parle d’agression physique, d’ un mystérieux accident de la route qui tient plutôt du suicide. Mais pas que de cela. L’auteur allemand associe au texte, musique sur scène et vidéo et demande au spectateur d’être actif et donc attentif à cet essai d’analyse du monde actuel, alors que la télévision, pour lui, ne fait que reproduire le monde extérieur sans le comprendre.
Il y a ainsi sur scène deux jeunes femmes seulement, l’une réalisatrice, l’autre journaliste, au lieu de nombreux jeunes gens des deux sexes qui, dans la pièce originale, boivent, font l’amour et, en même temps, réalisent un petit film que l’on peut voir sur un écran placé sur scène. Sylvana (Violaine Phavorin) regarde, debout, l’écran de son ordinateur. On la sent mal dans sa peau, terriblement seule.
Arrive ensuite Bibiana (Cyrielle Le Coadic) à qui Sylvana exprime son désir d’être proche avec elle. Ce à quoi, Bibiana répond simplement: » Mais on est proches ». Ici, les sentiments comme les mots font du sur-place, ou dérapent: il n’y a d’action que dans l’expression d’une incertitude permanente et d’une angoisse souterraine qui étreint les deux jeunes femmes. Elles ont sans doute été amoureuses, le sont peut-être encore et le langage , tout au long de cette pièce insolite et pas vraiment convaincante, s’apparente à une double et longue confession sentimentale qui n’ose pas dire son nom.
C’est un texte qui, parfois, reprend en boucle les mêmes mots et où l’on peut curieusement retrouver certains accents du nouveau roman français que l’auteur doit avoir fréquenté. Cela ne fonctionne pas toujours mais, aux meilleurs moments, il y a bien comme une osmose entre la parole, la gestuelle des deux jeunes femmes et la musique émise sur place par un D.J., incarné ici par le compositeur et musicien Christophe Hammarstrand.
La mise en scène de Marie Fortuit a les défauts d’un premier travail (entre autres: on ne voit pas très bien ce que peut apporter le film sur le petit écran vidéo situé en fond de scène) mais, c’est incontestable, elle sait diriger avec justesse et efficacité le jeu de ses trois comédiens, Violaine Phavorin, Cyrielle Le Coadic qui ont une excellente diction et une belle présence sur le plateau, et Nessim Kahloul, même s’il a un rôle secondaire.
C’est un travail de précision et sans prétention aucune. Nous pouvons nous tromper mais on devrait vite voir Marie Fortuit s’attaquer avec bonheur à d’autres textes contemporains: elle a la dimension pour le faire…
Philippe du Vignal
Le spectacle a été joué en jusqu’au 31 mai au Lieu de Théâtre A 43 rue du Coq-Français , Les Lilas – T/ 01 75 34 88 79