Le Sacre du Printemps

Le Sacre du Printemps chorégraphie de Pina Bausch par le Tanztheater de Wuppertal

 

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Zerrin Aydin Herwegh.

Le Théâtre des Champs-Elysées fête son centenaire et en même temps  celui de  l’œuvre de Stravinsky, créée ici  le 29 mai 1913. Sans doute,  un des plus grands scandales artistiques resté dans la mémoire collective (les hurlements de la salle rendaient la musique inaudible), dont il est difficile aujourd’hui de connaître la réalité de l’époque,  tant cette création a été sujette à de multiples commentaires.
Jean Cocteau, fervent admirateur des ballets russes écrivait: « la salle joua le rôle qu’elle devait jouer ; elle se révolta tout de suite. On rit, conspua, siffla, imita le cri des animaux, et peut-être se serait-on lassé, à la longue, si la foule des esthètes et quelques musiciens, emportés par leur zèle excessif, n’eussent insulté, bousculé même, le public des loges ». Transformée en un rituel sacré par Pina Bausch dès 75 à l’Opéra de Wuppertal, Le Sacre fut l’un de ses  grands succès  et elle l’avait régulièrement repris… Et on a pu voir au Théâtre des Champs-Elysées  fin mai  ce ballet en version  originale sur une chorégraphie de Nijinski avec les danseurs du Mariinsky.
Ici, la représentation commence, en première partie, par un  documentaire réalisé  en 87 sur une répétition avec Pina Bausch et la danseuse Kyomi Ichida; il  montre l’exigence de la chorégraphe  quant à la précision du geste dansé:  » Il y a trop de jambe, ce n’est pas important que la jambe soit haute ».
Puis, nous découvrons ce ballet fascinant, dansé sur un plateau couvert de tourbe, et  de la même dimension que celui de Wuppertal. De nombreux spectateurs ont déjà des images gravés dans leur mémoire sensorielle, tant le pouvoir dramatique de  la  pièce est immense. On admire ainsi l’énergie auto-destructrice qu’ont les danseuses pour se jeter dans les bras des danseurs, la ronde hypnotique, l’étonnante beauté des peaux des  interprètes maculés de terre, ou la fin solitaire de l’élue à la robe rouge dans sa danse de mort finale.
Jo Ann Endicott qui a dansé le rôle de l’élue dit: « Rien que cette impression de danser dans la terre, se coucher, sentir la terre, molle et silencieuse. Entendre les autres respirer, sentir le corps trembler, sentir le corps respirer, se salir, percevoir la peur des autres, l’étouffement dans le groupe, corps à corps. Chacun doit dépasser sa propre limite. C’est seulement alors que c’est réussi ».
Cette « symphonie empreinte d’une tristesse sauvage », dont parlait Jean Cocteau, décédé en 63 et qui n’a donc pu connaître cette version de  Pina Bausch, est à voir et à revoir ,au plus profond de notre  sensibilité pour l’éternité de l’éphémère …

 

Jean Couturier

Au théâtre des Champs-Elysées jusqu’au 7 juin


Archive pour 6 juin, 2013

du sexe de la femme comme champ de bataille

Du sexe de la femme comme champ de bataille de Matéi Visniec, mise en scène de Bea Gerzsenyi.

du sexe de la femme comme champ de bataille du-sexe-1-photo-bea-gerzsenyiPrintemps 94. La pièce, construite en courtes séquences, est un huis-clos entre deux femmes. Dorra,   une bosniaque,  la trentaine, soignée dans une clinique en Allemagne, près du lac de Constance, reste prostrée, après un viol subi pendant les guerres interethniques de son pays. Kate, médecin, originaire  de Boston, qui pourrait être sa mère, l’entoure et essaie de la faire sortir de son silence: “Vous sentez le printemps” ? lui demande-t-elle.
Au fil des séquences, la réalité se révèle, de plus en plus crue, et quand Dorra trouve l’énergie de la parole, “Non, dit-elle, ne me dis pas que le temps guérit tout…  Le temps ne peut guérir que les blessures guérissables”, c’est la haine qui s’exprime envers  son Dieu comme envers l’homme des Balkans, rude et âpre.
Kate, pleine d’humanité et de compassion, note en termes cliniques,  l’évolution du comportement de Dorra, dans un climat de confiance qui se construit, où elle va jusqu’à révéler ses propres failles, en parlant de son grand-père irlandais collectionneur, puis tailleur de pierres, et de l’émigration de sa famille aux Etats-Unis : “Trop de pierres, c’est ça l’Europe. Un jour, elle va sombrer sous le poids de ses pierres”, de la raison de son séjour en Bosnie, où, de psychologue venue accompagner les fouilleurs de charniers, elle se met à travailler jusqu’à se perdre….
A plusieurs reprises, Kate lit des fragments de son journal, écrit dans les différents lieux de Croatie et de Bosnie où elle est passée : “Le viol est une stratégie militaire pour démoraliser l’ennemi. Il a, dans le cas concret des guerres interethniques en Europe, le même but que la destruction des maisons, des églises ou des lieux de culte de l’ennemi, de ses vestiges culturels et de ses valeurs”, et elle écoute les enregistrements qu’elle en a faits, se parlant à elle-même et exprimant sa douleur face à ces témoins muets: “Tu ne pourras plus jamais retrouver ton calme si tu ne comprends pas pourquoi”.
Les moments de complicité qui finissent par se créer entre les deux femmes, conduisent à un état des lieux sur les Balkans, sévère et ironique: “Dans le bistrot minable où il se saoule la gueule, qu’il soit à Zagreb, à Belgrade, à Tirana, à Athènes, à Bucarest, à Sofia, à Ljubljana ou à Skopje, l’homme balkanique devient tout de suite internationaliste et généreux dans l’amour pour son proche”.
Les pays concernés,  passés à la moulinette de l’auteur, sont, à travers quelques traits spécifiques à chacun, volontairement caricaturaux. Chansons tsigane, albanaise ou roumaine, s’intercalent dans les  dialogues, grâce à la subtile présence d’une chanteuse qui semble venir d’outre-tombe (Anett Slarku). Dorra et Kate deviennent comme les deux faces troublées d’une même personne qui se dédouble, ou comme le positif et le négatif d’une photo. La blessure inouïe de l’une, ouvrant la béance des blessures de l’autre, et déclenchant, pour chacune, des bribes de mémoire.
L’histoire se ferme quand Kate renonce à sa mission et décide de retourner à Boston, près des siens, et quand Dorra retrouve son instinct de vie, selon la métaphore de l’arbre, où, quand on en abat un vieux, on en replante un  jeune. Elle finira par accepter cet enfant qu’elle n’a pas choisi. Dans le tableau final, quelques pierres tombent, les unes après les autres, symbole d’un monde balkan qui s’effondre.
Ecrite en 96, La femme comme un champ de bataille, sous-titrée Du sexe de la femme comme champ de bataille dans la guerre en Bosnie, inspirée du drame bosniaque, reste une œuvre de fiction, dit l’auteur, même si elle s’est inspirée de témoignages issus de la réalité. Né en Roumanie, auteur prolixe, Visniec a souvent écrit à chaud, et puisé dans l’actualité politique et sociale.
Bea Gerzsenyi, créatrice de la compagnie Faut Plancher, a été l’assistante de Tamás Ascher au Théâtre Katona de Budapest, elle a accompagné Josef Nadj, monté  Jean Genet et Elfriede Jelinek. Et  son  travail porte sur la question de la distance et de l’expression de la douleur et de la désespérance.
Quel degré de souffrance (au même titre qu’un degré Fahrenheit) peut-on s’autoriser à montrer et comment la partager ? La relation entre ces deux femmes, blessées, oscille entre pudeur et exacerbation, mais en dépit de sa tension extrême, reste juste. La mise en scène et la direction d’acteurs, sobres et précises,  s’inscrivent dans cette justesse de ton et les deux actrices ont une présence qui reste chargée de leurs non-dits.

Dorra, (Vasiliki Georgikopoulou), au seuil de la folie, malgré une intégrité physique et morale brisée  et Kate, (Simone Keresztes) meurtrie, mais forte de son expérience, essayent de se reconstruire. Au-delà de la Bosnie, elles nous parlent d’aujourd’hui, et d’autres régions du monde.

Brigitte Rémer

Spectacle vu le 1er juin, au Théâtre Casalis de Créteil. Et jeudi 6 juin à 20h30, Ambassade de Roumanie, 123, rue Saint-Dominique, 75007 Paris   T : 01-47-05-15-31, e-mail : resa@institut-roumain.org)

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