Antigone

Antigone, d’après Sophocle, texte français d’Irène Bonnaud et Malika Hammou, mise en scène de Gwenaël Morin

Antigone antigone

  Metteur en scène et chef de troupe, Gwenaël Morin a quitté les Laboratoires d’Aubervilliers pour  diriger le Théâtre du Point du Jour à Lyon depuis janvier dernier, mais il n’en poursuit pas moins le même travail  de » théâtre permanent »  commencé en 2009.
La compagnie est prise tout entière par l’urgence d’explorer le répertoire en montant ,dans un désordre bienfaisant, des classiques comme Tartuffe, Bérénice, Hamlet, Lorenzaccio, Woyzeck,  des modernes comme Les Justes… et les tragiques grecs comme Philoctète ou Antigone de Sophocle,  créée au Festival d’Aurillac (voir Le Théâtre du Blog) et présentée cette année aux Nuits de Fourvière. Mettre en scène Antigone et sa résistance dans les ruines romaines du sanctuaire de Cybèle, se révèle judicieux: le théâtre « brut » de Gwenaël Morin peut  en effet s’y déployer en toute liberté.
Pour l’encadrement de la porte de Thèbes, il y a juste un panneau de mur de grosses pierres, dessiné  façon B. D. Le public, juché sur sur cette butte herbeuse et pierreuse , peut voir  la ville de Lyon qui s’étend au loin, et la scénographie égrène les signes identifiables et naïfs, « politiquement incorrects » du metteur en scène: petites poutres de pin, banderoles de tissu brandies à la manière des manifs juvéniles,  soleil dessiné en effigie que l’on élève ou bien rabat pour stimuler et revivifier métaphoriquement la vénération dûe aux dieux. Et une  photo agrandie d’amphithéâtre pour rappeler  l’antiquité.
Plus bas, une photo du cadavre de Polynice, frère d’Antigone qui n’a pas droit à une sépulture car il a fait appel à des armées étrangères pour s’emparer de la ville. Polynice et  son frère Étéocle- tous deux fils d’Œdipe et de Jocaste-se sont entretués pour prendre le pouvoir que le roi Créon, leur oncle, occupe à Thèbes depuis la disparition de leur père.
Le fidèle Étéocle, lui, vénéré par Créon,  peut être enterré. La photo, en  grand format noir et blanc, du corps abandonné d’une victime de guerre, au-dessus de laquelle tourne un vol d’oiseaux de proie, essaim d’ombres noires.
Pour restituer davantage le matériau initial de la pièce en y ajoutant une variation dramaturgique personnelle, les comédiens (Renaud Béchet, Julian Eggerickx) interprètent des femmes,  et les personnages masculins, sont le plus souvent joués par des actrices. Nathalie Royer incarne, elle, le vieux devin Tirésias et  Virginie Colemyn « est » Créon avec une  force virile majestueuse. Choix insolite mais pertinent: la gravité de la parole en jeu en ressort d’autant plus clairement, toujours en phase avec l’écoute du public.
Au décor dépouillé, correspondent des costumes  très simples : jupes pour les  comédiens femmes ou hommes, perruques grotesques et seins dessinés au feutre à même le corps pour rappeler la féminité. Pantalon et sweats noir et couronne royale en forme de tour pour le tyran Créon; casque de heaume comique pour le simple soldat: dignes ou triviales,  ces coiffes sont en carton  collées avec du  ruban adhésif.
Face aux protagonistes, veille un chœur, voix de la cité et de l’opinion, joué par des  amateurs, dont le coryphée (Ulysse Pujo) mène la danse et les chants douloureux, accompagné par le tambour fédérateur de Barbara Jung. L’ensemble est chorégraphié avec précision: mains et bras tendus pour supplier le tyran, ou bien pour fuir la cruauté royale menaçante, cris de colère face à l’horreur, et formulation de la raison.
Que faut-il défendre, les valeurs de la cité ou celles de la religion? Qui mérite l’amour, la radicalité intégriste d’Antigone ou la « laïcité » de Créon? Y-a-t–il un compromis  possible L’énigme reste des plus actuelles, entre  valeurs collectives à défendre et  vérités intérieures à sauvegarder. Ce que Gwenaël Morin a bien su faire incarner par ses comédiens en mettant en scène la célèbre pièce de Sophocle.

Véronique Hotte

Nuits de Fourvière à Lyon jusqu’au 12 juin. T : 04-72-32-00-00


Archive pour 9 juin, 2013

Cyrano de Bergerac

Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, mise en scène de Georges Lavaudant

Cyrano de Bergerac  cyranoPour Lavaudant, Cyrano de Bergerac est la pièce de clôture symbolique de notre romantisme du XIX ème siècle. Avant Ubu de Jarry, dont le texte d’une modernité évidente,paraîtra un an après Cyrano.
Avec Cyrano, brillent en effet les derniers feux d’un théâtre en alexandrins, façon Hugo : envolées lyriques sur les valeurs positives à défendre, avec, d’un côté: amitié, amour, et fidélité  que se jurent les Cadets de Gascogne, protection des plus faibles, ainsi le poète-pâtissier innocent Ragueneau (Olivier Cruveiller).
Et de l’autre côté, un combat déclaré aux valeurs négatives-félonie, sottise des petits marquis courtisans (Molière, à l’honneur toujours !), vanité du pouvoir et de la reconnaissance financière ou politique. Sont bafoués les gens comme de Guiche (Gilles Arbona) qui saura se positionner loyalement au siège d’Arras. Au nombre des attaques encore:  l’art, le mauvais théâtre, l’exagération déclamatoire des comédiens asservis à une ligne artistique désuète, représentée par le jeu suffisant de Montfleury (Pierre Yvon).
En échange, la vérité d’un seul comédien, celle de Cyrano, emporté, « naturel « , convaincant et fougueux-faiseur de théâtre dans le théâtre-et forcément porteur de vérité avec panache (Patrick Pineau),  bon enfant rageur et généreux, à la voix cassée, et au nez protubérant, caractéristique du personnage sympathique mais non conciliant, dont la laideur est toute relative, avec son large chapeau  et son épée fidèle. Cyrano est un Matamore des planches, un fier-à-bras de tous les temps qui, sans difficultés, vaincra toujours sur la ligne d’arrivée les beaux Christian (Frédéric Borie), dont le verbe ne sait pas donner sans compter et pour lequel la poésie est une planète inconnue.
L’amour toujours relève de la recette heureuse de ce morceau de bravoure qu’est Cyrano. Magdeleine Robin dite Roxane (Marie Kauffmann) est la précieuse, amoureuse de Christian, cousine  de Cyrano que ce dernier aime de toute son âme, une âme qu’il transfère à l’amant par le subterfuge du rôle qu’on souffle à l’acteur. Une leçon moqueuse de théâtre avec la fameuse  scène du balcon…quand la parole chuchotée de Cyrano fait obtenir à Christian un baiser inespéré.
La mise en scène ne déroge pas à la tradition ! Avec de beaux décors de Jean-Pierre Vergier  sur la scène ronde de l’Odéon:  des rangées de buis, éclairées la nuit par quelques lumières de cinéma à la Méliès et où résonnent des musiques dramatiques de films. Au centre, un haut buisson,  tournette pour rendez-vous d’amour ou bien territoire militaire,  pour le siège d’Arras.
Les autres comédiens (François Caron, Astrid Bas, Emmanuelle Reymond, Laurent Manzoni, Alexandre Zeff, David Bursztein) se sont tous aussi  engagés avec une belle humeur au service de la pièce,… Un moment sans prétention et joyeux de théâtre populaire.

Véronique Hotte

 Nuits de Fourvière jusqu’au 12 juin. T. : 04-72-32-00-00. A la MC 93 à Bobigny du 4 au 22 octobre  et du 4 au 15 décembre  aux Gémeaux de Sceaux

 

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