Le Dindon de Feydeau mise en scène de Philippe Adrien
Le Dindon de Georges Feydeau mise en scène de Philippe Adrien.
Ce Dindon avait été mise en scène par Adrien il y a deux ans, à la Tempête (voir l’article d’Edith Rappoport dans Le Théâtre du Blog) et est repris aujourd’hui au Théâtre de La Porte Saint-Martin, avec la même distribution ou à peu près, et dans le même décor intelligent et raffiné de Jean Haas. Soit une boîte noire avec un plateau tournant où peuvent coexister deux univers opposés-du coup vite introduits-comme un salon familial et une chambre d’hôtel de passe,
Nous vous épargnerons le scénario-toujours compliqué chez Feydeau mais qui est loin d’une mécanique implacable -le mot ne plaît guère à Adrien- et il a raison.
Il s’agit bien en effet d’une dramaturgie très construite avec des procédés comiques , des dialogues d’une grande virtuosité et des personnages hauts en couleur: Il y a ainsi un Londonien qui a l’accent marseillais, une médecin retraité et sa femme sourde, une jeune Anglaise, survoltée et obsédée par le sexe, une gentille petite pute mondaine qui connaît toutes les ficelles, un commissaire de police chargé de constater les adultères commis dans un hôtel borgne, deux belles jeunes femmes, jusque-là fidèles à leurs maris qui n’arrêtent pas, eux, de coucher sans aucun état d’âme, avec toutes celles qui passent à leur portée.
Mais les femmes dans ce jeu pervers sont bien plus adroites, plus intelligentes quant aux moyens à mettre en œuvre quand il s’agira aussi bien de goûter au fruit défendu avec les premiers qui les dragueront. En fait, à la fin, on ne sait plus très bien qui trompe qui… Le constat de Feydeau est amer: les hommes servent de cible idéale quand leurs épouses ,ou leurs amantes d’un moment, commencent à vouloir se venger. Et ils seront vite emportés dans un tourbillon infernal où se profile une catastrophe sentimentale et/ou sexuelle, où l’argent est souvent moteur….
C’est l’univers de Nana que Zola écrivit à la même époque mais, quand Feydeau met en scène avec précision cette galerie de grands bourgeois, toujours accompagnés de quelques domestiques ou prolétaires, c’est dans la plus pure tradition française de la comédie de l’arroseur arrosé, et du cocu cocufié.Il y a dans Le Dindon comme dans ses autres pièces, une réflexion plus intense sur le genre humain qu’il n’y paraît et, parfois, avec des coloris assez sombres! Quant aux intrigues imaginées par Feydeau, elle appartiennent à une autre société que la nôtre mais les affaires récentes qui ont agité le petit monde politico-économique français sont bien du même tonneau. Mais, dommage, nous n’avons pas actuellement notre Feydeau!
Avant même que ne commence vraiment la pièce, il y a une scène muette vraiment formidable: comme un morceau d’anthologie, où on retrouve le cinéma muet et Buster Keaton: le plateau tourne avec ses personnages qui semblent désemparés et qui se cognent à des portes qui se referment tout à coup, subtile métaphore de cette pièce, à la fois comique et profondément noire pour qui sait y aller voir…
Ces grands bourgeois sont loin d’être stupides mais se font simplement embarquer dans une série d’intrigues, erreurs, quiproquos et imbroglios qu’ils ont eux-même, par leur comportement délirant, contribué à forger mais qu’ils ne peuvent plus ensuite maîtriser.
Et la suite? Pendant, disons, les trente premières minutes, le spectacle fonctionne assez bien et on rit de bon cœur ,même si déjà perce le style de comique clownesque un peu facile avec lequel les personnages de Feydeau n’ont pas grand-chose à voir.
Philippe Adrien adore déconstruire les codes du théâtre bourgeois mais sa mise en scène a du mal à passer de la petite salle avec gradins de la Tempête, à celle beaucoup plus grande d’un théâtre de boulevard qui a vu naître Cyrano. Et le très beau plateau tournant que Jean Haas a créé, situé plus haut sur une scène déjà un peu haute, n’a plus toute la place qu’il mériterait.
Comme cette salle-ce soir là, peu remplie, est aussi plus grande, les comédiens pour être convaincants, se croient obligés de surjouer constamment, de rouler des yeux et de criailler sans arrêt, ce qui est la pire des idées. Et on ne sait plus très bien alors, si c’est au premier ou au second degré qu’il faut voir les choses…
Du coup, les deux heures vingt cinq (sans entracte comme à la Tempête) de cette pièce inégale et un peu longuette, surtout en son milieu, finissent par peser. Le public, lui, semble étonné mais apprécie cette version du Dindon à des années-lumière de celle de la Comédie-Française en 68, elle toute droite sortie du XIX ème siècle: il applaudit aux entrées ou sorties des comédiens quand la scène lui a plu, chose classique dans le théâtre privé mais totalement impensable à la Tempête…
Alors à voir? Cela dépend de ce que vous en attendez mais c’est un spectacle assez décevant et qui souffre à l’évidence d’un atterrissage sur un terrain non prévu au décollage. Bref, la malédiction de la reprise a encore frappé…
Philippe du Vignal
Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris (III ème).