Barbe bleue, espoir des femmes
Concours des jeunes metteurs en scène au Théâtre 13: Barbe-Bleue, espoir de femmes de Dea Loher*, traduction de Laurent Mülheisen, mise en scène d’ Alain Carbonnel.
Dea Loher, née en 1964, fut étudiante à Berlin, notamment auprès d’Heiner Müller, et elle puise, à l’instar de son professeur, aux sources de la mythologie (Manhattan Medea) ainsi que dans l’histoire contemporaine de l’Allemagne, de la Pologne (Sanka) ou de l’Amérique du sud (La vie sur la Praça Roosvelt). Elle aborde aussi des sujets plus intimistes comme ici dans Barbe-Bleue, espoir des femmes, publié en 1999 en Allemagne.
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Il s’appelle Henri Barbe-Bleue, il est roux (Thibaut Corridon), et plutôt doux, marchand de chaussures de son état. L’amour le guette à tous les coins de rue, mais ce sera pour lui une quête de plus en plus désespérée, tant l’amour entre homme et femme est pour lui inaccessible.
La première victime s’appelle Juliette (Ophélia Kolb), c’est elle qui le demande en mariage alors qu’il ne se connaissent que « depuis une heure et cinq minutes »; puis elle s’empoisonne sur le champ car il n’a pas su dire qu’il l’aimait « au-delà de toute mesure » Expéditif !
« Ce ne sont que des mots, mais où est le sentiment qui va avec ?», demande Henri, désemparé, à Anne (Virginie Gritten), sa deuxième rencontre. Anne qui justement liste les beaux mots et les laids. Pour elle, « le sentiment vient avec les mots », elle lui propose donc de les trouver ensemble mais il ne pourra que l’étrangler sans autre forme de procès, entamant ainsi une carrière de serial killer malgré lui, au gré de ses rencontres féminines.
Une seule aura la vie sauve, l’Aveugle, sorte d’innocente extralucide à laquelle il se confie et qui finira par l’abattre. Elle a un statut à part dans la pièce : elle poursuit avec l’assassin un dialogue tout au long de la représentation et livre sa vision de l’amour dans un long monologue, véritable morceau de bravoure.
Organisées en chœur, les sept comédiennes accompagnent l’action par leurs commentaires, récitatifs, chants et didascalies, avant d’être chacune à son tour mise à mort par cet homme dont le mobile est simplement son incapacité à les aimer comme elles l’entendent.
Ce parti pris de mise en scène introduit une distanciation qui sied au style de la pièce. En effet, Dea Loher casse toute émotion dans cette suite de confrontations inattendues plutôt cocasses que tragiques ; elle crée des situations émotionnelles déconcertantes qui privilégient le suspense et opère dans son écriture même un décalage entre le cru et le poétique.
Cette ambigüité engendre le comique, même si, derrière cette légèreté se cache, sous un certain cynisme, une profonde désespérance.
L’auteure n’a-t-elle pas dit de l’amour que c’est « un sentiment qui fait des ravages et qui engendre mort et souffrance « ?
La mise en scène joue sur ce double registre. Un joyeux bric-à-brac encombre le plateau, en nous renvoyant aux greniers de notre enfance à la fois bienveillants et inquiétants, et aux réminiscences des contes de fées qu’on a aimé parce qu’ils font peur. Ce décor a quelque chose ludique, que soulignent les changements de costume à vue, les éclairages et la bande-son et surtout le regard des comédiennes, toutes parfaitement justes, en particulier Dominique Jacquet dans Eve.
Alain Carbonnel, sorti de l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg en 2007, a su relever le défi que pose cette œuvre complexe, où les personnages se noient dans de perpétuelles contradictions et où les situations se retournent sans cesse. Il a réussi à élucider cette écriture labyrinthique, au risque parfois d’un certaine redondance.
Quand on connaît les conditions imposées aux équipes techniques et artistiques pour ce prix du Théâtre 13, (aucun budget prévu pour les lumières et décors, et la rémunération des comédiens), on ne peut que saluer un travail qui trouvera son rythme de croisière.
Mireille Davidovici
Prix Théâtre 13 Jeunes metteurs en scène Autres spectacles en compétition :
Hôtel Palestine de Falk Richter, mise en scène de Fabio Godinho 14-15 juin. Münchhausen, le spectacle, écriture collective, mise en scène d’Elsa Robinne 18-19 juin. L’Anniversaire d’après C.T. mise en scène de Johanna Boyé 21-22 juin. Love and Money de Denis Kelly mise en scène de Benoît Seguin 25-26 juin. Alice, texte et mise en scène d’ Anaïs Laforêt et Aïda Asgharzadeh 28-29 juin.
Théâtre 13/Seine, 30 rue du Chevaleret 750013 Réservations : 01-45-88-62-22