Fadjiri
Fadjiri, chorégraphie de Serge-Aimé Coulibaly.
L’homme au gilet blanc est enraciné dans le sol, habité d’une grande force dramatique. Son balancement est récurrent, comme son rire, qui devient douleur et cri.
On pense à Munch. Lui, fait référence au tableau du Prado, El Tres de Mayo peint par Goya en 1814. Ce n’est pas tant le contexte historique -les soldats français exécutent les combattants espagnols faits prisonniers-qui intéresse le chorégraphe, également concepteur et interprète du spectacle, que l’homme vêtu de blanc qui va être fusillé et lève les bras face au peloton d’exécution.
La force émotionnelle qui s’en dégage, l’a nourri. Coulibaly l’intériorise, elle l’inspire. Le spectacle débute avec une certaine lenteur et une grande intensité, avec la présence de ce Christ recrucifié. Une vidéo déroule des éléments d’eau, de feu, et de nuages sur les différents espaces de la scénographie : de formes et niveaux différents, ces plateformes souples où il marche comme dans le sable et s’enfonce, balisent son chemin initiatique. Mais avec qui l’homme communique-t-il ? C’est la bande-son qui le guide, enchaînant les musiques, éclectiques, du classique au vocal, des percussions à la world musique.
Fadjiri est une expression dioula, qui indique ce tout petit moment, juste avant l’aube, quand les esprits maléfiques sortent et que tout devient possible. Et le danseur, dans sa concentration aigüe, joue entre possession et dépossession de lui-même, passant par la transe, les tremblements, les chutes, le sémaphore, l’autodestruction.
Il est végétal, animal, et humain, en souffrance. Tout est intériorisé à l’extrême, il esquisse un geste et immédiatement le contredit, ses regards sont perdus et éperdus, ses gestes saccadés, parfois syncopés. Il sait être félin, avec quelques bonds puissants, puis esquisse quelques pas de danse sorte de remémoration, cherche ses vocabulaires, se crée des embûches dans un tracé en marche arrière, se jette de tout son long, et appuyé contre le mur, ressemble à un arbre mort.
Imprégné de Césaire, Serge-Aimé Coulibaly cherche du côté de ses racines burkinabé. Il a créé sa compagnie, Faso Danse Théâtre en 2002 et travaille aussi avec des chorégraphes comme Alain Platel, Rachaël Swain et Sidi Larbi Cherkaoui. Sa forte présence dégage une certaine étrangeté, et quand, dans Fadjiri, la marée montante envahit le plateau, il remonte le courant avec son énergie vitale, et il nous transmet comme une sensation d’éternité.
Brigitte Rémer
Le Tarmac, 159, avenue Gambetta. 75020, du 4 au 15 juin, du mardi au vendredi, à 20h, samedi à 16h. Tél : 01-43-64-80-80. www.letarmac.fr