Journal d’Amérique
Journal d’Amérique, de Bertolt Brecht.
Avant d’arriver en Californie en 1941, Bertolt Brecht et sa famille ( Hélène Weigel son épouse, Barbara et Stefan ses enfants et sa collaboratrice et maîtresse Ruth Berlau) ont d’abord séjournés en Scandinavie dès 33, juste après avoir fui l’incendie du Reichstag le 29 février et la tyrannie d’ Hitler. Mais les armées allemandes prennent du terrain! Les Brecht obtiennent alors un visa pour les Etats-Unis en mai 41, et, c’est sur un bateau suédois qui va de Vladivostok à Los-Angeles, qu’ils prennent connaissance de l’attaque de l’Union soviétique par l’Allemagne.
Brecht écrit son Journal d’Amérique de 41 à 47. La vie lui semble paradoxalement difficile sur le nouveau continent, « cette morgue de l’easy going ». Le dramaturge voit sa maison comme trop jolie, et son métier comparable à celui des chercheurs d’or : « Les chanceux dégagent de la boue des pépites grosses comme le poing, dont ensuite il est longtemps question, moi quand je me déplace, je marche sur des nuages comme un malade de la moelle épinière ». Grete (Margarete Steffin son autre collaboratrice et maîtresse) lui manque là-bas, « comme un guide qu’on lui aurait enlevé juste à l’entrée du désert ».
L’intérêt de son journal réside dans ce regard distancié à la fois sur l’Europe et sur les Etats-Unis que possède un exilé apatride. Ce récit de voyages et d’aventures (Scandinavie, Moscou, Vladivostok, Pacifique, Philippines, Californie, New York) laisse aussi transparaître la détresse du peuple allemand mais avec l’approche particulière d’un des nombreux intellectuels réfugiés aux Etats-Unis comme Max Reinhardt, Fritz Lang, Hans Eisler, Alfred Döblin, Henrich Mann….
Il s’agit aussi pour Brecht de se confronter à l’industrie du cinéma américain. Et il réfléchit évidemment sur le métier d’acteur et sur sa mission d’éveil politique : « Pour le comédien, il s’agit de l’émancipation, de l’acquisition du droit d’influer sur la forme à donner à la société, du droit d’être productif… L’artiste n’a pas seulement une responsabilité devant la société, il lui demande des comptes ».
Brecht reconnaît que la « nature » se reflète dans ses travaux : ville, paysage artistique, champ de bataille, fragment d’intérieur ou de paysage urbain dans Baal, Tambours, La Jungle, La Vie d’Edouard II d’Angleterre, Homme pour homme… Par contre, une pièce comme La Mère ne fait mention d’ aucun paysage; il n’y a que des rapports humains directs.
« Ici, aux Etats-Unis, dit Brecht, on est objet de la littérature pas sujet ». Le « stanislavskisme » signifie ici encore comme en Allemagne, une protestation contre le théâtre mercantile, « une poignée de comédiens sérieux bâtissent un temple, sur la place du marché, il est vrai ». Brecht travaille pour Hollywood mais sans grand succès, et cherche vainement des productions pour ses pièces.
Le regard sans pitié du metteur en scène engagé ne peut laisser le lecteur indifférent: la finesse de son analyse sur l’Allemagne et sur l’Europe , et sa vision d’une mise en cendres par des forces intérieures et extérieures restent étrangement d’actualité…
Véronique Hotte
L’Arche Editeur