Festival d’Avignon: Théodore, le passager du rêve
Théodore, le passager du rêve, de Joëlle Ecormier et Aurélie Moynot, mise en scène d’Eric Domenicone.
On voyage, on voyage, avec Les Alberts ; ils arrivent de La Réunion et se sont posés au Théâtre du Tarmac, à Paris, pour la quatrième fois, avant d’aller au Festival d’Avignon. Aurelia Moynot, sculpteur qui travaille le papier, séduite par l’écriture de Joëlle Ecormier lui propose d’écrire un texte, à partir d’un environnement visuel qu’elle a imaginé.
Ensemble, elles rencontrent Vincent Legrand, le directeur artistique du Théâtre des Alberts, qui très vite comprend leur poésie: l’une crée les personnages-marionnettes et la scénographie, et l’autre adapte son texte pour la scène avec l’aide de la comédienne Sylvie Espérance. Puis Eric Domenicone le met en scène. Et l’alchimie prend, forte de ce bel ensemble tissé des différentes disciplines. Le résultat est un spectacle enchanteur, pour tout public à partir de 7 ans.
Aristophane, le chef de la Gare Ouest des Rêves, une hulotte érudite, accompagne Théodore pour lui faire visiter, comme il le demande avec insistance, sa vieille locomotive, d’ordinaire réservée aux seuls Rêveurs. Or, Théodore, chaussé de bottines aux boutons brillants, est un Éveillé. «J’ai rêvé pour la première fois de ma vie», dit-il, en pleine phase d’initiation. Cette invitation au voyage permet au spectateur de prendre place à leurs côtés, quai 19, dans les wagons du rêve, avec arrêts obligatoires. Et quels arrêts !
Au départ, ce sont des caisses qui construisent différents univers et qui recèlent quelques secrets. Un bric-à-brac très ordonné, et mille petites lumières à l’intérieur: cabinet de curiosités, monde plein d’illusions, paravents qui deviennent supports pour dessins, ombres et inventions en tous genres ; un phare et son gardien, le papillon de nuit, visité par Théodore, petite figurine filmée reprise sur écran, une technique qu’on retrouve, à plusieurs moments du spectacle ; un guichet tenu par une machine à écrire ; un porte-manteaux qui joue avec les mots, comme « gare » ou « pépin » et fait figure de marionnette ; l’aubergiste au fond de son bistrot plein de verres et de bouteilles dessinées ; la ravaudeuse, les «suspendus» frôlés et réparés ; l’abeille, l’avion et l’atelier ; la danseuse sur fil au foulard rouge, rejointe par Théodore et son parapluie, jeu d’ombre et de lumière avec la marionnette, recroquevillée au fond du pépin. Chevaux à bascule, moulin, miniatures en tous genres, la proposition visuelle est riche et le spectateur, blotti au fond du train, regarde les images comme s’il voyait, par la fenêtre, défiler le paysage.
Cette composition accompagne le récit porté par quatre comédiens: Sébastien Deroi, Stéphane Deslandes, Sylvie Espérance et Aurélia Moynot qui incarnent le texte donné en direct autour de la narratrice, et qui maîtrisent formidablement les peintures, figurines, objets animés et vidéos du spectacle . Les manipulateurs sont à vue, comme dans le théâtre bunraku, et le jeu s’enrichit d’une déclinaison de bruits, notes et tempos, clarinette et chambre d’écho. Chaque séquence appelle ainsi un commentaire complémentaires qui lui est propre, et ouvre sur un univers onirique, comme une eau rare et limpide. «Objets inanimés, avez-vous donc une âme» ? écrivait Lamartine…
Ici, l’imaginaire est de sortie et l’on voit l’envers du décor et l’illusion se fabriquer, dans une quête chimérique de l’absolu. Et, quand l’horloge de la gare Ouest des rêves rappelle à la réalité, le réveil est brutal.
Brigitte Rémer
Vu le 29 juin, au Tarmac; au Festival d’Avignon off jusqu’au 31 juillet, à 10h30, à La Fabrik’, 10 route de Lyon, Impasse Favot. Tél : 04-90-86-47-81.
www.theatredesalberts.com
Le texte publié chez Océans Editions.