Festival d’Avignon: Par les villages
Par les villages de Peter Handke, traduit de l’allemand par Georges-Arthur Goldschmidt, mise en scène de Stanislas Nordey.
Par les villages de Peter Handke est un « poème dramatique » écrit à Salzbourg en 1980/81, d’inspiration autobiographique, révélé au théâtre en France par Claude Régy en 83 à Chaillot, avec entre autres, Claude Degliame dans le rôle de Nora, et Andrewj Seweryn.
La pièce conclut une tétralogie littéraire : Lent Retour, La Leçon de la Sainte-Victoire et Histoire d’enfant.
Handke veut en finir, dit-il, avec le « vieux théâtre ». Avec ce qu’il appelle la « pièce parlée ». C’est aux mots seuls qui font ressentir le sentiment de l’existence que le dramaturge donne sa confiance. Des mots qui suivent la ligne souple et courbe de la nature, ses chemins de traverse et ses croisements de route familiers, la seule promesse de l’expérience de vivre.
À partir de l’unique épreuve énigmatique à laquelle chacun est confronté, l’humanité de l’être et de l’universalité du moi-je : « Oui, s’incliner devant une fleur, c’est possible. L’oiseau dans les branches, on peut lui adresser la parole et son vol donne du sens. Dans ce monde apprêté de couleurs artificielles retrouvez les couleurs vivifiantes d’une nature », profère la prêtresse Nora (Jeanne Balibar en majesté).
Par les villages parle de la vie qu’on ne voit pas à cause de sa trop grande proximité. Une telle cécité structurelle travaille au ratage de l’existence, au manqué et au loupé des rencontres. Ainsi, Passez par les villages pour vous rendre enfin aux invitations de la vie et voir s’épanouir les couleurs des feuillages, entendre le bruit des cours d’eau et sentir sur sa peau la caresse du soleil : « Non, nous ne pouvons pas ne vouloir rien être … Un homme qui vit regarde là où quelque chose vit encore. »
C’est une épopée du quotidien que le drame dessine : un frère aîné (Laurent Sauvage), écrivain et double de l’auteur, revient au pays natal où sont restés un frère (Stanislas Nordey), ouvrier, et une sœur (Emmanuelle Béart), employée de commerce. L’aîné – celui qui a réussi socialement et individuellement – revient pour finalement abandonner sa part d’héritage de la maison familiale à ses deux proches.
Le village avec ses baraquements d’ouvriers de chantier a bien changé : panneaux indicateurs, pancartes publicitaires et « civiques » ont tout envahi. Il n’en faut pas moins conserver l’esprit de la fête et de l’énigme heureuse d’être au monde. Puisque le chantier est terminé, les deux frères et la sœur, les ouvriers compagnons de travail du frère (Raoul Fernandez, Moanda Daddy Kamono, Richard Sammut), l’amie de l’écrivain (Jeanne Balibar) et la gardienne du chantier (Annie Mercier), se retrouvent une dernière fois pour échanger et parler, transmettre des bribes de mémoires et des impressions singulières qui n’appartiennent qu’à soi.
Les exploités de la terre ont droit, eux aussi, de vivre au plus près l’énigme de l’existence pour en découvrir l’âme à travers la contemplation d’un visage ou bien d’un paysage : « Notre abri c’est nulle part. La seule prière efficace, c’est la gratitude ». Aux sons de la musique d’Olivier Mellano à la guitare électrique, la mise en scène de Stanislas Nordey impose sa loi poétique, une déclamation à la fois naturelle et sacrée, un mouvement de basse continue de tension à la fois âpre et doucement exacerbée sur lequel les mots frappent juste et fort entre les cris des martinets tournoyants. Le public est au rendez-vous de la rencontre initiée par Nora : « Jouez le jeu – mais qu’il ait de l’âme. » Un art du théâtre dont le jeu nous désarme enfin.
Véronique Hotte
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Nous n’avons pas dû voir tout à fait le même spectacle… Il est vrai que c’était trois jours avant. Bien entendu, si l’on ne peut qu’admirer le style et la pensée d’Handke, l’intérêt de la mise en scène de Nordey nous a échappé…
Certes, il y la belle image ( merci Emmanuel Cloius) de ces bungalows de chantier peint en bleu et disposés en arc-de-cercle sur le plateau de la Cour d’honneur bourrée de public, où la nuit tombe doucement sur les hautes murailles, pendant que se succèdent les vols de martinets au-dessus de nos têtes (le miracle opère à chaque fois et quel que soit le spectacle!) .
Mais ensuite on retrouve le système Nordey qui a ses limites : raides face public, sans guère bouger pendant de très longues minutes, les comédiens d’expérience et qui font partie de sa famille habituelle: Laurent Sauvage, Annie Mercier, Jeanne Balibar, Emmanuelle Béart, Richard Sammut (lui-même joue Hans) sont priés de débiter leur monologue amplifié par des micros HF. Que soit sur le plateau ou sur le toit des bungalows. Des micros HF pour dire du Handke sur un plateau de 35 m d’ouverture! Cherchez l’erreur…
Que jouer dans la Cour d’Honneur se demande avec une fausse naïveté Stanislas Nordey qui répond: « Un grand poème dramatique ». On veut bien mais il faudrait donner à ce théâtre de la parole une mise en scène d’une autre envergure, quand on vous propose la Cour d’Honneur, ce cadeau qu’attendent tous les metteurs en scène..Et là, on est vraiment loin du compte
On ne voudrait pas jouer aux vieux cons mais tant pis: Régy, lui, il y a quelque trente ans, avait mieux réussi son coup à Chaillot, et le texte nous paraissait plus clair, et dit avec beaucoup plus de nuances. malgré l’insupportable statisme de la mise en scène, que l’on ne pardonnerait pas à un metteur en scène débutant, la première heure passe encore à peu près, mais la seconde pas du tout, et il reste ensuite presque deux autres! Beaucoup de spectateurs sommeillaient, et nous nous y sommes ennuyés.
A l’entracte, désolé mais comme il était prévu que c’était Véronique Hotte qui devait faire le papier, moins patients qu’elle, nous avons déclaré forfait. Il faudrait revoir la pièce quand elle sera jouée à la Colline… Mais ce sera sans nous. La vie est courte… Plus jamais Nordey!
Philippe du Vignal
Par les villages de Peter handke, mise en scène de Stanislas Nordey, Cour d’Honneur du Palais des Papes jusqu’au 13 juillet. Et du 5 au 30 novembre au Théâtre de la Colline.
Merci, Philippe du Vignal, de votre commentaire. Il y a une langue de bois hallucinante autour de ce spectacle dont on clame partout la génialité et la beauté, alors qu’une cour d’honneur qui se vide du tiers des spectateurs à l’entracte et un monologue final (Jeanne Balibar mains dans les poches, diction aberrante, transformant le texte de Handke en mauvais « Aimez-vous les uns les autres » de 45 minutes….) pendant lequel les gens se lèvent progressivement et s’en vont sans scrupule en dit déjà beaucoup. Tous des ignares, sans doutes. Très bien, je préfère être de ceux-là que de tous ceux qui se gargarisent en ne disant de cette pièce que ce qui en est dit dans sa présentation officielle et les interviews donnés par Nordey. Je n’ai entendu, parmi les spectateurs, qu’une phrase qui tentait un bilan positif de cette épreuve: « c’est un texte magnifique ». Peut-être. Mais j’avoue avoir du mal, après ça, à me convaincre à lire la pièce.
au Théâtre du Blog comme à la Dispute sur France Culture les avis divergent, on aime ou on déteste (le théâtre et le personnage)!
J’avoue qu’après avoir subi le massacre d’Incendies (après avoir entendu le bonhomme dire, en substance, que Wajdi Mouawad, c’est lui qui l’a découvert) et après m’être copieusement ennuyé devant ses jérémiades petites bourgeoises dans « Clôture de l’amour » (ce doit être un spectacle de (pour) femmes…) je vais moi aussi le laisser un moment…
Oh! là! Bientôt Jacques Livchine, côté violence, va se prendre pour Angélica Liddell. Notre amie Véronique Hotte a un point de vue que je respecte mais que je ne partage pas du tout sur la qualité de ce spectacle prétentieux dans sa forme et d’un ennui pesant. Et ce n’est pas histoire de générations; des jeunes gens assis près de moi trouvaient le temps bien long
Le texte de Handke pour être inégal n’en est pas moins un beau texte de Handke. Pour le reste, la mise en scène de Nordey n’est pas du bois dont on fait les flûtes. Et le spectacle ne devrait jamais avoir eu les honneurs de la Cour.
Philippe du Vignal
ça clive, je clive. Je ne peux pas imaginer qu’une seule personne en france et ailleurs puisse avoir pris le moindre plaisir à ce pavé, cette tartine, ce pudding, joué faux volontairement, mal écrit, sentant le prêche d’Eglise, et aussi ennuyeux que la plus mauvaise messe. Mais si vous êtes sincère, je ne peux même pas le croire. Parce que tout ça sont des bonnes idées sur papier. « on va jouer ça statique, face public comme une tragédie antique, une tragédie qui aurait pour sujet la condition ouvrière ». Oui, c’est formidable comme idée, mais le plateau il dit sa vérité. Cela -ne- passe -pas. Le public ne veut pas avoir l’air trop con, le Monde et Libé ont dit « quel grand poème dramatique », alors le public il dit « on m’a dit que c’était bien » et voilà.
Nordey est heureux, il a dit hier au poste « je sais que j’emmène le public au bord de l’ennui, c’est volontaire ». Faut -il que l’art ennuie, nombreux sont ceux qui pensent qu’une grande oeuvre est avant tout ennuyeuse et que le divertissement est vil. C’est ce qui permet au public de théâtre de garder de la distinction et d’éloigner de lui ce qui pourrait paraître populaire. Tout a été déjà théorisé sur ce problème, par Brecht, et vous savez il y a eu Beno Besson, qui a été rejeté justement parce que Brecht lui avait réclamé un peu de fantaisie, pour ne pas avoir un Berliner Ensemble trop austère. Mais si vous dîtes vrai, et que vous vous êtes laissé emporter par ce ton funèbre, c’est que vraiment , nous ne faisons pas partie du même monde.