Festival d’Avignon: bien lotis
Bien lotis de Philippe Malone, mise en scène de Laurent Vacher.
Bien lotis, fiction périurbaine, est une comédie sociale, issue d’une résidence en pays de Briey où, à la poursuite de son investigation autour des utopies urbaines, de 2010 à 2012, Philippe Malone, Laurent Vacher et le vidéaste Francis Ramm ont enquêté et collecté des témoignages, des récits de vie sur plusieurs générations de 1960 à nos jours. Le parcours des habitants est jalonné par différents types d’habitats, de la Cité radieuse de Briey-la-Forêt à la cité ouvrière, du village rural aux nouveaux lotissements…
Comment a été vécu le passage d’une utopie à une autre, de l’élan qui a suivi la « reconstruction », au virage libéral et au pavillon ? Philippe Malone a écrit Bien Lotis à partir de ces petites histoires véhiculées par la grande Histoire. La maison traditionnelle, d’origine, modeste, inscrite dans un territoire et une commune, fut remplacée par un habitat collectif aux appartements fonctionnels, où on accédait au confort à l’américaine.
Les façons de vivre, de travailler et de se loger changeaient, mais la courbe de l’emploi ne baissait pas. Plus tard, quand s’annoncera la crise économique, le chômage ramènera les travailleurs au foyer, hors de la société, avec les voisins pour seules relations.Restent les amitiés nouées aux débuts, quand on était plus jeune et avec un emploi garanti.
Les enfants, eux, échapperont à leurs parents et iront vivre ailleurs, dans un appartement jadis méprisé : la maison appartient désormais à un rêve passé.« Ma morale peut se résumer à ceci : dans la vie il faut faire… Urbanisme, humaine recherche loyale et créatrice… Nous devons nous tourner au-delà des petits égoïsmes, de toutes les petites choses. Il faut essayer de découvrir la vie, de suivre la vie… », écrivait l’architecte inventeur Le Corbusier.Les emménagements et déménagements successifs d’un couple dessinent cette petite vie quotidienne et sans prétentions : illusions, utopies et désenchantements.
Un journaliste à figure de diablotin mène l’enquête pour une émission TV qui doit être au top, s’il veut survivre à la nouvelle grille qui lui apportera encore argent et notoriété. Ces jeux médiatiques de questions/réponses envahissent le monde des téléspectateurs qui voient les candidats interrogés sommés de répondre, comme s’ils étaient des enfants irresponsables qui ne s’appartiennent pas. Milieu modeste: le mari s’exprime correctement mais l’épouse, intelligente mais plus « naïve », parle de « toupie » pour dire « utopie ». Indiscrétion et voyeurisme: le téléspectateur comme, du public ici, est au faîte d’une position personnelle plus enviable.
Le spectacle de Laurent Vacher, petit joyau dans un écrin fermé, est envahi par la régie générale à vue et la création sonore de Michael Schaffer, la création lumière et vidéo de Victor Egéa. La chambre intime est restituée sur la scène et des images font défiler les extérieurs.
Mais l’ensemble trop attendu, comme trop bien rôdé, souffre de sécheresse. Et surjoué : le couple paraît imbécile, ce qu’il n’est pas, et le spectacle tombe alors dans les travers qu’il dénonce. Ainsi l’épouse « joue » la petite fille face à l’animateur télé. Si ce n’est cette réflexion serrée sur l’urbanisme, l’évidence et la clarté de l’action nuisent à la scène.
Et les comédiens généreux (Christian Caro, Corrado Invernizzi, Martin Seize et Marie-Aude Weiss) se donnent sans compter. On pourrait même les toucher, ce qu’on ne peut faire à la télé…
Véronique Hotte
La Manufacture à 12h45 jusqu’au 27 juillet.