Festival Teatro a Corte à Turin.
Festival Teatro a Corte à Turin.
Le Festival de Teatro a Corte de Turin dirigé par Beppe Navello, offre sur 3 weeks ends de juillet depuis plusieurs années, des spectacles insolites, présentés dans de splendides demeures royales du Piémont, ainsi qu’au Théâtre Astra de Turin. Cette année une vitrine hollandaise était proposée parmi les 20 compagnies de 9 nationalités différentes. Un très bon cru autour de cette ville à l’admirable architecture. Le festival s’est terminé sous la pleine lune au château de Venaria Reale avec la Page Blanche de Luc Amoros, pourtant pleine de couleurs.
Machina per il teatro inconsciente de Lui Angelini et Paola Serafini
Étonnant théâtre d’objets présenté dans le lieu d’accueil des spectacles du festival ! Nous sommes devant de bizarres comptoirs où sont posés objets, reliefs industriels, morceaux de rebut informes.
On nous invite à nous mettre par deux, face à face munis d’écouteurs. L’un écoute l’histoire d’un conte, et l’autre qui nous fait face répond aux ordres en manipulant des objets, cuillères en bois, vis, boulons etc., avec des pinces, sans rien connaître du récit entendu par son partenaire de jeu.
On peut inverser les positions de cette étrange mise en abyme. C’était l’histoire du Petit Chaperon Rouge, mais on pourra aussi déguster Frankenstein, Pinocchio, Roméo et Juliette etc…
Lui Angelini et Paola Serafini, les fondateurs de la compagnie, se consacrent à ce singulier théâtre d’objets depuis 1995 au centre du théâtre de figures de Cervia.
Ils ont fait le tour d’Europe, mais joué aussi au Brésil, en Chine, en Israël, aux USA, depuis 2003 avec leurs MTI (machines de théâtre inconscient). Ils avaient auparavant fondé en 1978, Assondelli & Stecchettoni, compagnies de marionnettes à gaines, avant de passer au théâtre d’objets.
The Animals and the children took thes streets, (Les animaux et les enfants envahirent la rue), conception de la compagnie 1927, texte et mise en scène de Suzanne Andrade, film, animation et scénographie de Paul Barritt , piano et jeu de Lilian Henley.
Ce voyage dans un quartier pauvre, à l’abandon, d’une grande ville du Mississipi, est à la fois allègre et féroce. C’est une comédie musicale gore, conduite par trois personnages dans des médaillons, en particulier une pianiste qui mène la danse.
On y voit des enfants drogués qui se débattent dans la jungle urbaine. Le très beau travail de Paul Barritt sur les projections qui jouent avec les actrices, donne un aspect ludique et irréel à ce spectacle sur les bas-fonds urbains. Un regret tout de même, l’humour noir du texte nous a échappé, même quand on maîtrise l’anglais…
Cette compagnie, créée en 2005, a donné, dans le monde, plusieurs centaines de représentations de ce spectacle à mi-chemin entre cinéma muet, conte de fée, music-hall et cabaret. Elle avait aussi monté en 2007 Between the devil au Festival d’Edinbourgh qui a connu quatre ans de tournées.
The dry piece de Keren Levi.
Nous pénétrons dans l’Officine di Grande Riparazioni, immense lieu ferroviaire récemment rénové, à la vaste pelouse. Le lieu, dont l’ accueil est immaculé, a gardé une âme forte. Keren Levi, née en Israël, est chorégraphe aux Pays-Bas; depuis 1997, elle y enseigne et réalise des créations, franchissant d’étranges limites. Après Territory (2004), Couple-like (2006) et Big Mouth (2009), ce spectacle a été créé en 2012 au Festival d’Utrecht.
Quatre jeunes femmes pénètrent sur le plateau, de part et d’autre d’un écran transparent. Elles se dépouillent de leurs vêtements, les plient soigneusement et, dans un silence absolu, exposent leur nudité tranquille à peine voilée par l’écran.
Une musique surgit, puis des images vidéo stupéfiantes surplombent les corps nus qui se mélangent, se superposent, se caressent étrangement sans jamais faire apparaître la moindre trace d’obscénité. Le tissage fin entre les images, la musique, la danse, les lumières est stupéfiant. Des images de la shoah remontent dans notre mémoire, mais rien de violent ne jaillit du plateau. À la fin du spectacle, les danseuses remettent leurs vêtements pour venir saluer.
Keren Levi évoque ses visions de la nuit et du jour; elle a construit son spectacle en le filmant avec une caméra vidéo, puis a repris certaines des improvisations qu’elle a, entre temps, regardées, impros de moins en moins maîtrisées au fil du travail, avec de plus en plus de liberté.
The dry piece est une belle étape dans la longue histoire de l’exposition du corps féminin. En version courte, elle sera jouée à Amsterdam, le 8 septembre prochain
Attack de Gabriella Ceritelli.
Cela se passe dans une grande salle d’un château, dans la pénombre. On distingue un grand cylindre noir, une forme humaine en émerge lentement, et se colle aux parois, accouchement malaisé et douloureux sur une musique morbide.
Elle disparaît puis réapparaît en robe légère sur une balustrade, s’y suspend, en laissant traîner se longue chevelure. Impossible d’éprouver la moindre émotion devant ce solo qui nous enferme dans une claustrophobie inquiétante.
Pourtant, Gabriela Ceritelli, qui vit et travaille à Turin, s’est formée à différentes disciplines avec de grands maîtres comme Zygmunt Molik, Yoshi Oïda, Elsa Wolliaston entre autres.
Trop de formation tue peut-être la création, au moins celle-là !
Château de Raccognigi, le 20 juillet.
Ilona Janti
Dans le parc, sous les arbres, Ilona Ianti évolue sur un filet de cordes tressées, telle une araignée, sur une musique de Bach interprétée par une violoncelliste.
Elle se hisse au sommet de l’arbre, se laisse glisser jusqu’en bas, à la renverse. C’est un bel oiseau violet qui virevolte sur les cordes, une création spécifique pour Teatro a Corte, laissant une grande part à l’improvisation.
Château de Raccognini
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La Balance de lévité de Yoann Bourgeois, en collaboration avec Marie Fonte,
Nous formons un cercle dans le parc au soleil couchant autour d’un étrange dispositif, une machine « construite par Newton pour rédiger la loi universelle de gravitation ».
Marie Fonte s’installe sur une grande selle métallique au bout d’une grande tige avec un contrepoids, elle virevolte dans avec grâce, se balance, danse dans un silence complet.
À la fin de la démonstration, Yoann Bourgeois entraîne le public dans des exercices d’équilibre, par couple sur les chaises. Pour ne pas basculer, il faut trouver le point juste et faire confiance à son partenaire.
Château de Raccognini
Wasteland d’Alexandra Broeder
Nous avions déjà accompli ce parcours mystérieux au festival d’Aurillac 2012. Nous embarquons dans un bus pour un long parcours qui nous emmène dans la banlieue de Turin. Le bus s’arrête pour laisser monter une petite fille aux nattes blondes, bottée, jeans et chemisier blanc, qui nous dévisage sévèrement. Deuxième arrêt, deuxième petite fille jumelle, puis les enfants viennent nous trouver un par un, pour réclamer notre téléphone portable.
D’abord réticents, nous nous laissons dépouiller, le bus pénètre dans un bois s’arrête, nous en descendons pour nous retrouver face à une douzaine d’enfants sérieux, mêmes costumes, mêmes visages sévères qui nous débarrassent de nos sacs, de tous nos accessoires et nous regroupent en rangs par deux.
On ne vous en dira pas plus, sinon que notre long parcours dans les bois tient d’une étrange déportation, douce et poétique, inquiétante même pour la deuxième fois. Alexandra Broeder qui réside à Amsterdam, travaille exclusivement depuis 2007 avec des enfants qui conservent un sérieux imperturbable. Elle a été choisie pour participer à plusieurs festivals internationaux dont Oerol dans l’île de Terschelling.
Il ne faut pas manquer l’occasion de participer à ce périple unique.
http://alexandrabroeder.wordpress.com//francais/
Page blanche de Luc Amoros.
« Le monde n’existe que s’il est peint et chanté », disent les initiés aborigènes d’Australie. Luc Amoros, qui se consacre depuis des années au renouvellement du théâtre d’ombres, opère une clôture splendide en cette nuit de pleine lune, du Festival Teatro a Corte. Un grand écran comportant neuf panneaux pivotants est tendu au coin des deux ailes du magnifique château de Venaria Reale. .
« Et si le monde n’était qu’une page blanche ? »… Six acteurs apparaissent devant les écrans, chargés de pistolets à peinture dont ils font un usage frénétiques, peignant des fresques à une vitesse ahurissante, ils vont déployer et jeter plusieurs centaines de m2 de films adhésifs. Ils jouent avec les couleurs, peignant des géographies idéales. « On dit de notre art qu’il est brut, comme le pétrole ? Non comme le champagne ! »
On traverse plusieurs périodes dans cette étrange peinture rythmée qui se déploie sur toute la surface, de la calligraphie chinoise à Gauguin à Tahiti. La musique de Richard Harmelle qui joue en direct à gauche de l’écran, rythme ces débordements savoureux, et accompagne le chant d’Aude Ardoin.
Château de Venaria Reale; puis le 16 août au festival la Sarre à Contes, et le 28 août , au festival des RIAS à Bannalec.
Edith Rappoport