Festival d’Avignon: Hamlet 60, d’après la traduction d’André Markowicz, mise en scène de Philippe Mangenot et Banquet Shakespeare, d’Ezéquiel Garcia-Romeu, d’après Shakespeare notre contemporain, de Jan Kott , et les tragédies de Shakespeare.
Ça commence par la fin : tout le monde meurt ou est mort, seuls survivent le jeune Fortimbras, fils du voisin, qui n’a pas eu grand chose à faire pour récupérer le royaume, et Horatio, à qui , dans un dernier soupir, Hamlet demande de raconter au monde la triste histoire des princes de Danemark. C’est la version de Philippe Mangenot, inspirée par la traduction rapide, agissante, d’André Marcowicz.
Donc, on ne traîne pas. Chacun des six comédiens s’empare à son tour d’un moment d’Hamlet, les épées imaginaires cliquettent au son de deux cuillers, les couronnes passent de tête en tête. Et pourtant, rien n’est perdu de cette histoire d’un prince indolent que réveille jusqu’à la folie le mariage de sa mère, la reine Gertrude, avec son beau-frère Claudius, et plus encore la conviction que son pressentiment était juste (O my profetic soul !) : c’est bien lui l’assassin, le spectre de son père vient le lui confirmer.
Hamlet est fou : fou d’amour pour Ophélie ? Allons, donc ! En soixante minutes –avec sablier et quelques suspensions du temps-, nous comprenons aussi bien qu’en cinq heures qu’il a fait le tour de l’amour en quelques jours, quelques heures, et qu’il en a trop attendu pour pouvoir le vivre, avec une famille pareille.
Au grand galop du spectacle, la poésie de Shakespeare se perd un peu, mais revient parfois en lambeaux éblouissants. Et chacun sait qu’Hamlet est une pièce « pleine de citations ». Le spectacle n’en manque aucune. À voir absolument : surtout si l’on assiste à Hamlet pour la première fois, cela donne envie de voir la pièce en cinq heures, et pour le plaisir de voir mourir deux fois Gertrude (du poison destiné à son fils et bu par erreur), Laërte (frère d’Ophélie, qui tient à la venger, car, on a oublié de le rappeler, elle s’est suicidée par noyade), Claudius et Hamlet lui-même (de la même épée, vous découvrirez comment), sans compter tous ceux qui ne meurent qu’une fois.
C’est de toutes ces morts royales que se repaît Banquet Shakespeare. Le spectacle, créé au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers la saison dernière, continue à tourner. C’est le mot juste, pour son dispositif circulaire, et pour l’amour de Shakespeare, via Jan Kott, qu’il fait tourner dans nos têtes.Au milieu du cercle du conte, à la tangente du cratère (la scène du Globe ?) d’où sortiront les spectres en miniature des tragédies de Shakespeare, la comédienne conteuse Odile Sankara, les appelle, invoque, et nous convoque à nous pencher sur « la triste histoire de la mort des rois ».
Peut-être faut-il avoir rencontré au moins une fois les Richard, les Henry, les Edouard, Duncan, Claudius, Lear et les autres. Tels quels, ces rois délicats et amers, sortis des mains d’Ezéquiel Garcia-Romeu et de Christophe Avril, reviennent inlassablement sur les lieux de leurs crimes.
Leurs mains minuscules s’agrippent à la surface de ce monde, puis retombent. La table du banquet de Macbeth surgit par magie, avec un unique verre de vin qui s’écoule comme du sang : on a juste le temps de se souvenir du spectre de Banquo, tué par son ami, et de tous les autres banquets fatals, dans un sombre tourbillon.
À Villeneuve–les-Avignon, le cloître carré de la Collégiale offrait un cadre parfait au spectacle. Ailleurs, il sera aussi fascinant : sa profonde poésie naît au centre du cercle.
Christine Friedel
Le Petit Louvre 13 h O5 et à Villeneuve-lès-Avignon jusqu’au 28 juillet.