Casimir et Caroline d’ Ödön von Horvath, traduction de Christophe Henri, mise en scène de Bernard Lotti.
Le Festival du Pont du Bonhomme à Lanester (Morbihan) a, pour cadre, le cimetière à bateaux de Kerhervy où un théâtre de plein air est installé à ciel ouvert sur le Blavet, qui avance et qui recule, au rythme des marées.
C’est une anse où se dessinent, à l’horizon, des épaves abandonnées aux flots, des carcasses rondes de fausses baleines de bois usé. Face à ce tableau de maître, véritable paysage de perspective marine, le public du Pont du Bonhomme a découvert Casimir et Caroline de l’auteur cosmopolite hongrois Ödön von Horvath (1901-1938).
La pièce, créée en 1932 à Berlin et à Leipzig, époque de crise économique et financière, sonne comme un écho, un rappel lointain et proche de notre présent immédiat. Pour Von Horvath lui-même, il ne s’agit pas d’une simple satire de la Fête de la bière mais de la ballade de Casimir, chauffeur au chômage et de sa fiancée ambitieuse, « Une ballade d’une douce tristesse, modérée par l’humour, c’est-à-dire par la plus banale des certitudes : nous devons tous mourir. »
L’auteur écrit en exergue un verset de la Bible : « Et l’amour jamais ne cessera. » Et Jacques Nichet qui avait monté Casimir et Caroline, cette ballade « rêvée », note que la pièce est l’exposé du démenti de l’exergue, puisque les amants vont se séparer. En fait, les jeunes gens s’aiment, « mais sont aveuglés par l’époque, par le chômage, par les trop petits salaires, par l’illusion de pouvoir s’en sortir seuls ».
Les protagonistes sont les victimes consentantes de leurs besoins du jour, proies faciles de fêtes foraines et d’amusements sans lendemain. Chacun veut s’en sortir individuellement, hors de toute conscience politique. Casimir fait le reproche à Caroline de frayer avec deux hommes âgés et de statut social élevé : « Ce n’est pas des fréquentations pour toi, ces gens-là ! Ils se servent de toi, pour leur plaisir ». Mais la jeune fille rétorque : « Tes sensibleries, ça suffit ! La vie est dure. Une femme avec de l’ambition, doit attraper un homme influent par sa vie sentimentale ».
La pièce, prémonitoire, conserve tout son mordant, surtout quand ses personnages sont en proie au délitement de leur énergie. Aux prises avec l’Histoire, le chômage, le mal-être, la solitude, la peur d’être incompris, ces jeunes gens sont à l’épreuve de la détresse et de l’alcool qui fait rêver…
Bernard Lotti parle, à propos de Casimir et Caroline, d’une parole pour ne pas dire, une parole qui cherche à cacher ce que l’on pense, et où le silence est vérité.Le metteur en scène a été inspiré par l’ambiance festive et estivale du cadre, lumières colorées, jeux de fête foraine, stands et buvettes, bière qui coule à flots, vols et petits arrangements de bandits en germe. Denis Fruchaud et Ana Kozelka, les scénographes ont imaginé un plateau en lattes de bois, avec, comme cadre de scène, une arche couleur cuivre qui laisse voir la mer au loin.
Autour, des marionnettes joliment articulées, des pantins de bois animés grimpent dans les hauteurs pour descendre en acrobates, ou bien assoient leur mélancolie sur un banc de fortune, entre juke-box et jeu de force, stand de glaces et bistrot de fortune. L’atmosphère, rieuse et populaire, donne d’autant mieux à voir les petites misères morales aigues qui transparaissent à travers les fanfaronnades naïves de chacun.
L’équipe enjouée et endiablée est composée de jeunes comédiens issus de l’école du Théâtre National de Bretagne, et élèves du Conservatoire de Brest. Se sont engagés dans l’aventure : Nicolas Sansier (Casimir), Margot Segreto (Caroline), Yassine Harrada (Juppmann), Tristan Rosmorduc (Franzel Mark), Christian Lucas (Tapp), mais aussi Mychel Chenier (Pick), Marina Keltchewsky (Erna) et Marieke Breyne (Elli).
L’enthousiasme collectif améliorera, chemin faisant, des enchaînements un peu lents parfois entre les scènes. La représentation tient déjà serré son pari festif de divertissement estival doux-amer.
Véronique Hotte
Festival du Pont du Bonhomme du 20 au 26 juillet à Lanester (Morbihan).
Crédit Photo : Alain Monot