Une Parade de Cirque

Une Parade de Cirque, anthologie des écritures théâtrales contemporaines de Croatie.

Une Parade de Cirque couvanthocroatevientdeparaitre5« Pourquoi le drame croate évoque-t-il le cirque et le carnaval avec autant d’insistance ? » se demande Natasa Govodic. Chercheuse et critique de théâtre en Croatie, elle a dirigée un volumineux ouvrage, rassemblant seize auteurs marquants du théâtre croate, de 1922 à nos jours. Un recueil original en ce qu’il axe autour de la symbolique du cirque son analyse et le choix des extraits de pièces présentées. « Dans les drames croates, le cirque est une sorte d’illusion : un semblant d’utopie et le lieu des catastrophes », écrit–elle dans sa préface. À commencer par le clown gris suicidaire de Kalman Mesaric (Le Clown, 1922) ou des ivrognes à moitié morts de Miroslav Krleza (la Foire royale,1915), deux écrivains représentatifs du théâtre expressionniste de Croatie. L’humour gris ou noir de ces auteurs,  et de ceux qui suivront,  distille une critique acerbe et distanciée d’une société que l’Histoire n’a pas épargnée. Plus récent, Le Roi Gorgodane de Radovan Ivsic a été joué dans toute l’Europe et souvent en France. La pièce écrite en 1943, interdite à plusieurs reprises, met scène un tyran ubuesque qui parle la langue clownesque de tous les criminels totalitaires. De même,  le cirque hante les œuvres de Ranko Marinkovic (Le Désert, 1982),  ou d’Ivo Bresan (La Représentation de Hamlet au village de Mrdusa-d’en-bas, 1965). Pour Slobodan Snadjer, «l’Histoire elle-même est un cirque, et la piste recouverte de la fine poussière des corps calcinés ». Figure majeure, écrivain engagé, il dénonce, dans La Dépouille du serpent (1994), les viols ethniques commis pendant la guerre ; il avait, avec son Faust croate,  (1981) défrayé la chronique en stigmatisant l’emprise oustacha dans la société croate contemporaine. On découvrira ici un extrait de l’Encyclopédie du temps perdu (2009) qui, à la manière d’un mystère  du Moyen Âge, propose les démêlés avec la mort, d’un ouvrier au chômage Parmi ces dramaturges, qui semblent tous,  aussi intéressants les uns que les autres, quelques femmes ont récemment rejoint le bataillon : Nina Mitrovic (Ce lit et trop petit ou juste des fragments, 2004) ; Asja Srnec Todorovic, (Respire, 2003) ; Ivana Sajko (Rose is a rose is a rose, 2008). Outre l’éclairante préface, on trouve, avant chaque extrait traduit, une présentation détaillée de l’auteur. Pour finir, une abondante bibliographie vient compléter ce tour d’horizon, ainsi que la théâtrographie des pièces croates qui ont été traduites, lues en public ou représentées en France depuis 1917. Les traducteurs sont également mentionnés. Ce qui donne envie de se plonger dans cette littérature dramatique originale si peu connue. On peut se procurer in extenso plupart des pièces présentées ici sous forme d’extraits à la Maison d’Europe et d’Orient. Dominique Dolmieu,  qui a contribué à la publication de cette anthologie a fondé, avec Céline Barcq, un pôle culturel dédié au théâtre d’Europe orientale. Il regroupe un centre de ressources, un maison d’édition (L’Espace d’un instant) et une compagnie (Théâtre national de Sydalvie). En dix ans d’existence, les éditions l’Espace d’un instant ont publié plus de  200 textes et 150 auteurs! Dont des anthologies d’écritures dramatiques (Caucase,  Biélorussie et  Turquie)…

Mireille Davidovici

Editions L’Espace d’un instant.

Maison d’Europe et d’Orient 3, passage Hemmel, 75012 Paris. T: 01 40 24 00 50 www.syldav.org


Archive pour juillet, 2013

Bandonéon À quoi bon danser le tango?

Bandonéon À quoi bon danser le tango ? de Raimund Hoghe, photos de Ulli Weiss,

Bandonéon À quoi bon danser le tango? dans analyse de livre bandoneon-a-quoi-bon-danser-le-tango-de-raimund-hoghe-livre Lorsqu’au début des années 1980, ce livre paraît en Allemagne, avant les Histoires du théâtre dansé, Pina Bausch n’est connue que des initiés.
Raimund Hoghe est à l’époque son dramaturge, son conseiller et porteur d’idées. C’est le journal de répétitions de ce dernier et les photos de Ulli Weiss qui font l’objet de Bandonéon À quoi bon danser le tango ?
L’ouvrage témoigne du processus de création de la chorégraphe, une manière novatrice devenue familière au théâtre : « Entrer en répétition sans texte ou livret préétabli et construire la pièce pas à pas en fonction des contributions des danseurs et de tous ceux qui participent au travail ».
À La Lichtburg, l’espace des spectateurs est devenu la salle de répétitions du Tanztheater à Wuppertal – une grande pièce vide, des douzaines de chaises, de vieux fauteuils et des tables en bois, des canapés défoncés, des grands miroirs de vestiaire, une tenture en plastique, des lumières de salle de cinéma ténues.
Pina Bausch pose des questions. Avec une grande concentration, très calmement, la metteuse en scène, auteur et chorégraphe suit sa troupe qui cherche des réponses, des souvenirs et (re)découvre sa propre histoire.
Elle donne à chacun le courage de prendre position, de suivre ses propres pensées, sensations, associations d’idées… Même si on ne peut pas encore cerner la direction que prendra la pièce, les questionnements s’articulent autour d’un élément bien défini – qui reste inexprimé. « Faire quelque chose qui n’existe plus aujourd’hui. Etre gentiment méchant. Des moments de défaite. Des habitudes. Quelque chose du destin. L’humour noir. Des rituels de couples amoureux… »
Les questions de Pina Bausch sont des tentatives de découvrir sans révéler, percevoir et garder le secret : « Je ne sais pas ce qu’il sortira de mes questions, mais je ne veux rien de pathétique ni de sentimental ». L’envie qu’a Pina Bausch de parler d’images, de situations, d’histoires, se confronte à la sensation de ne pas réussir à l’atteindre par la parole, de ne faire que le réduire, et de ne jamais réussir qu’à transposer de façon très limitée le parallélisme des différentes réalités qui se crée sur scène : l’espace et l’enfermement de l’espace, les chansons des années trente et les sentiments qui ne sont pas si lointains, le jaune lumineux, le rose, le turquoise, le vert, le bleu, le violet des robes cocktail, les cheveux lisses et gominés des hommes et les relations encombrantes, les tentatives et les efforts désespérés et souvent blessants de tendresse…
Les répétitions donnent la possibilité de voir les choses sous un angle différent, les (res)sentir, les vivre autrement : « Dans la rue, la violence du visage des passants me saute aux yeux, les traces d’efforts pour se maîtriser, construire des façades, ne pas montrer de faiblesse », note Hoghe.
Pina Bausch demande comment on fait pour cacher qu’on est vulnérable. Le thème de l’enfance importe d’abord, comme l’amour et la tendresse, le désir, la peur, le deuil, et l’envie d’être aimé. La possibilité d’être à nouveau comme des enfants, de se comporter et de s’exprimer aussi directement, d’être sans masque, immédiats.
Aussi, les photos d’enfance des membres de la troupe sont-elles restituées à la fin de l’ouvrage, tandis que celles de Ulli Weiss ponctuent des instants de répétitions.
Les répétitions consistent en une tentative de retrouver ce qu’on a perdu, le lien avec la nature, la proximité, la compréhension. « Parler avec le vent ou avec l’eau comme on faisait autrefois. » Si Pina Bausch imagine qu’autrefois les gens parlaient avec les éléments, c’était aussi parce que la vie était plus solitaire qu’aujourd’hui – ils parlaient avec n’importe quoi parce qu’ils n’avaient pas à qui parler.
La chorégraphe pousse l’être à se livrer, y compris avec sa peur… La peur d’être repoussé, exclu, blessé, de ne plus être aimé. Les spectacles de Pina Bausch sont caractérisés par leur polysémie, les lectures multiples possibles de situations, d’attitudes, de mouvements en apparence sans équivoque. Plus on  les voit fréquemment, plus ils deviennent à la fois clairs et inexplicables. La chorégraphe privilégie une forme qui met en avant l’intime sans entrer dans la sphère privée, empêche l’auto-représentation et la mise à nu.
On manie
prudemment les tangos rapportés d’Amérique du Sud. Avec leur rigueur et leur dureté, leur clarté et leur concentration, leur simplicité et leur force, ils sont une entité propre. Une énergie ; pas de place pour les fioritures, le déguisement, la mascarade. Le tango est « une pensée triste qui se danse », quand il vous semble si facile de parler d’amour.
Dominique Mercy enfile pour la première fois un tutu – la robe classique des ballerines, vieux et jauni-trop petit. Il reste souvent à l’arrière. Quand il se retourne et sort, il attrape le tulle d’une main pour cacher sa nudité.
La première de Bandonéon est tout sauf un point final. Le travail, tout sauf clos. Deux mois après la première : « Nous sommes encore en route », dit la grande dame. La répétition est un art de réduire sans rapetisser. Même la langue. Nombre de paroles et de phrases sont superflues. Ce sont des images qui les remplacent.
Ce journal est un trésor pour qui veut comprendre l’art subtil de Pina Bausch.

Véronique Hotte

 L’Arche Éditeur,18€.

Festival Teatro a Corte à Turin.

Festival  Teatro a Corte à  Turin.

Le Festival de Teatro a Corte de Turin dirigé par Beppe Navello, offre sur 3 weeks ends de juillet depuis plusieurs années, des spectacles insolites, présentés dans de splendides demeures royales du Piémont, ainsi qu’au Théâtre Astra de Turin. Cette année une vitrine hollandaise était proposée parmi les 20 compagnies de 9 nationalités différentes. Un très bon cru  autour de cette ville à l’admirable architecture. Le festival s’est terminé sous la pleine lune au château de Venaria Reale avec la Page Blanche de Luc Amoros, pourtant pleine de couleurs.

Machina per il teatro inconsciente de Lui Angelini et Paola Serafini

Étonnant théâtre d’objets présenté dans le lieu d’accueil des spectacles du festival ! Nous sommes devant de bizarres comptoirs où sont posés objets, reliefs industriels, morceaux de rebut informes.
On nous invite à nous mettre par deux, face à face munis d’écouteurs. L’un écoute l’histoire d’un conte, et  l’autre qui nous fait face répond aux ordres en manipulant des objets, cuillères en bois, vis, boulons etc., avec des pinces, sans rien connaître du récit entendu par son partenaire de jeu.
On peut inverser les positions de cette étrange mise en abyme. C’était l’histoire du Petit Chaperon Rouge, mais on pourra aussi déguster Frankenstein, Pinocchio, Roméo et Juliette etc…
Lui Angelini et Paola Serafini,  les fondateurs de la compagnie, se consacrent à ce singulier théâtre d’objets depuis 1995 au centre du théâtre de figures de Cervia.
Ils ont fait le tour d’Europe, mais  joué aussi au Brésil, en Chine, en Israël, aux USA, depuis 2003 avec leurs MTI (machines de théâtre inconscient). Ils avaient auparavant fondé en 1978,  Assondelli & Stecchettoni, compagnies de marionnettes à gaines, avant de passer au théâtre d’objets.

The Animals and the children took thes streets,  (Les animaux et les enfants envahirent la rue), conception de la compagnie 1927,  texte et mise en scène de  Suzanne Andrade,  film, animation et scénographie de Paul Barritt , piano et jeu de Lilian Henley.

Ce voyage dans un quartier pauvre, à l’abandon, d’une grande ville du Mississipi, est à la fois allègre et féroce. C’est une comédie musicale gore, conduite par trois personnages dans des médaillons, en particulier une pianiste qui mène la danse.
On y voit des enfants drogués qui se débattent dans la jungle urbaine. Le très beau travail de Paul Barritt sur les projections qui jouent avec les actrices, donne un aspect ludique et irréel à ce spectacle sur les bas-fonds urbains. Un regret tout de même, l’humour noir du texte nous a échappé, même quand on maîtrise l’anglais…
Cette compagnie, créée en 2005, a donné,
dans le monde, plusieurs centaines de représentations de ce spectacle à mi-chemin entre cinéma muet, conte de fée, music-hall et cabaret. Elle avait aussi  monté en 2007  Between the devil au Festival d’Edinbourgh qui a connu quatre ans de tournées.

The dry piece de Keren Levi.

Nous pénétrons dans l’Officine di Grande Riparazioni, immense lieu ferroviaire récemment rénové, à la vaste pelouse. Le lieu, dont l’ accueil est immaculé, a gardé une âme forte. Keren Levi, née en Israël, est chorégraphe aux Pays-Bas; depuis 1997, elle y enseigne et réalise des créations, franchissant d’étranges limites. Après Territory (2004), Couple-like (2006) et Big Mouth (2009), ce spectacle a été créé en 2012 au Festival d’Utrecht.
Quatre jeunes femmes pénètrent sur le plateau, de part et d’autre d’un écran transparent. Elles se dépouillent de leurs vêtements, les plient soigneusement et, dans un silence absolu,  exposent leur nudité tranquille à peine voilée par l’écran.
Une musique surgit, puis des images vidéo stupéfiantes surplombent les corps nus qui se mélangent, se superposent, se caressent étrangement sans jamais faire apparaître la moindre trace d’obscénité. Le tissage fin entre les images, la musique, la danse, les lumières est stupéfiant. Des images de la shoah remontent dans notre mémoire, mais rien de violent ne jaillit du plateau. À la fin du spectacle, les danseuses remettent leurs vêtements pour venir saluer.
Keren Levi évoque ses visions de la nuit et du jour; elle a construit son spectacle  en le filmant avec une caméra vidéo, puis a repris certaines des improvisations qu’elle a, entre temps,  regardées,  impros de moins en moins maîtrisées au fil du travail, avec de plus en plus de liberté.
The dry piece est une belle étape dans la longue histoire de l’exposition du corps féminin. En version courte, elle sera jouée à Amsterdam,  le 8 septembre prochain


Attack de Gabriella Ceritelli.

Cela se passe dans une grande salle d’un château, dans la pénombre. On distingue un grand cylindre noir, une forme humaine en émerge lentement, et se colle aux parois, accouchement malaisé et douloureux sur une musique morbide.
Elle disparaît puis réapparaît en robe légère sur une balustrade, s’y suspend, en laissant traîner se longue chevelure. Impossible d’éprouver la moindre émotion devant ce solo qui nous enferme dans une claustrophobie inquiétante.
Pourtant, Gabriela Ceritelli,  qui vit et travaille à Turin,  s’est formée à différentes disciplines avec de grands maîtres comme Zygmunt Molik, Yoshi Oïda, Elsa Wolliaston entre autres.
Trop de formation tue peut-être la création, au moins celle-là !

Château de Raccognigi,  le 20 juillet.

Ilona Janti

Dans le parc, sous les arbres, Ilona Ianti évolue sur un filet de cordes tressées, telle une araignée, sur une musique de Bach interprétée par une violoncelliste.
Elle se hisse au sommet de l’arbre, se laisse glisser jusqu’en bas, à la renverse. C’est un bel oiseau violet qui virevolte sur les cordes, une création spécifique pour Teatro a Corte, laissant une grande part à l’improvisation.

Château de Raccognini

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La Balance de lévité  de Yoann Bourgeois, en collaboration avec Marie Fonte,

Nous formons un cercle dans le parc au soleil couchant autour d’un étrange dispositif, une machine « construite par Newton pour rédiger la loi universelle de gravitation ».
Marie Fonte s’installe sur une grande selle métallique au bout d’une grande tige avec un contrepoids, elle virevolte dans  avec grâce, se balance, danse dans un silence complet.
À la fin de la démonstration, Yoann Bourgeois entraîne le public dans des exercices d’équilibre, par couple sur les chaises. Pour ne pas basculer, il faut trouver le point juste et faire confiance à son partenaire.  

Château de Raccognini

Wasteland  d’Alexandra Broeder

Nous avions déjà accompli ce parcours mystérieux au festival d’Aurillac 2012. Nous embarquons dans un bus pour un long parcours qui nous emmène dans la banlieue de Turin. Le bus s’arrête pour laisser monter une petite fille aux nattes blondes, bottée, jeans et chemisier blanc, qui nous dévisage sévèrement. Deuxième arrêt, deuxième petite fille jumelle, puis les enfants viennent nous trouver un par un, pour réclamer notre téléphone portable.
D’abord réticents, nous nous laissons dépouiller, le bus pénètre dans un bois s’arrête, nous en descendons pour nous retrouver face à une douzaine d’enfants sérieux, mêmes costumes, mêmes visages sévères qui nous débarrassent de nos sacs, de tous nos accessoires et nous regroupent en rangs par deux.
On ne vous en dira pas plus, sinon que notre long parcours dans les bois tient d’une étrange déportation, douce et poétique, inquiétante même pour la deuxième fois. Alexandra Broeder qui réside  à Amsterdam, travaille exclusivement depuis 2007 avec des enfants qui conservent un sérieux imperturbable. Elle a été choisie pour participer à plusieurs festivals internationaux dont  Oerol dans l’île de Terschelling.
Il ne faut pas manquer l’occasion de participer à ce périple unique.

http://alexandrabroeder.wordpress.com//francais/

Page blanche  de Luc Amoros.

« Le monde n’existe que s’il est peint et chanté », disent les initiés aborigènes d’Australie. Luc Amoros,  qui se consacre depuis des années au renouvellement du théâtre d’ombres, opère une clôture splendide en cette nuit de pleine lune, du Festival Teatro a Corte. Un grand écran comportant neuf panneaux pivotants est tendu au coin des deux ailes du magnifique château de Venaria Reale. .
« Et si le monde n’était qu’une page blanche ? »… Six acteurs apparaissent devant les écrans, chargés de pistolets à peinture dont ils font un usage frénétiques, peignant des fresques à une vitesse ahurissante, ils vont déployer et jeter plusieurs centaines de m2 de films adhésifs. Ils jouent avec les couleurs, peignant des géographies idéales. « On dit de notre art qu’il est brut, comme le pétrole ? Non comme le champagne ! »
On traverse plusieurs périodes dans cette étrange peinture rythmée qui se déploie sur toute la surface, de la calligraphie chinoise à Gauguin à Tahiti. La musique de Richard Harmelle qui joue en direct à gauche de l’écran, rythme ces débordements savoureux,  et accompagne le chant d’Aude Ardoin.

  Château de Venaria Reale;  puis le  16 août au festival la Sarre à Contes, et le 28 août , au festival des RIAS à Bannalec.  

Edith Rappoport

Concert, pour la Journée internationale de Nelson Mandela

Concert, pour la Journée internationale de Nelson Mandela, avec le KwaZulu-Natal Philhamonic Orchestra et la chorale communautaire de Clermont.

Concert, pour la Journée internationale de Nelson Mandela dans actualites nmdnodateC’est à l’ombre de l’imposante Marianne en bronze des frères Morice, inaugurée le 14 juillet 1883, que s’est tenu ce grand concert à ciel ouvert, en hommage à Nelson Mandela. Qu’imaginer de mieux pour cette personnalité hors du commun, si ce n’est l’ombre des trois allégories qui y occupent une place d’honneur : Liberté, Egalité et Fraternité ?
Une grande tribune a été montée sur la place de la République joliment rénovée, pour fêter la Journée internationale Nelson Mandela, qui est aussi la date de son quatre-vingt-quinzième anniversaire.
Plus de cent trente musiciens et choristes de toutes nationalités, venus à Paris dans le cadre des Saisons Afrique du Sud–France 2012 & 2013, ont donné pendant deux heures trente un prodigieux concert, sous la baguette de Laurent Petitgirard.
Au coucher du soleil, une marée d’auditeurs-spectateurs assis à même le sol et beaucoup d’autres debout, ont suivi le parcours commenté de manière fort sympathique, par le chef d’orchestre, et les lumières de scène, petit à petit, ont pris le relais.
Après La Force du destin de Verdi en introduction, beau symbole en soi, on a entendu en première partie Ushaka KaSenzangakhona, un poème épique écrit par Themba Msimang et composé par Mzilikazi Khumalo, retraçant, à travers la carrière mouvementée du roi Zoulou Shaka, «l’histoire du peuple zoulou vue par le peuple zoulou». Solistes, choristes et orchestration tenaient, tour à tour ou tous ensemble, le rôle du narrateur.
La seconde partie comprenait des extraits de La Trilogie de Mandela, sur un livret de Michaël Williams et une écriture musicale d’Allan Stephenson, Mike Campbell et Peter Van Dijk. Même ferveur et intensité, entre de magnifiques solistes en dialogue avec le chœur,  et la brillante interprétation de l’orchestre.
nokia-1-026 dans actualitesAprès ces épisodes liés aux héros d’Afrique du sud, des arrangements furent proposés, de Haubrich et de Bosman, ainsi qu’un adagio de Khatchaturian.
Un final fulgurant, avec Yvonne Chaka Chaka, connue dans toute l’Afrique et surnommée la «Princesse Africaine», qui s’est produite pour plusieurs chefs d`Etat, dont Mandela,  et qui a fait swinguer toute la place de la République.
Pleine d’entrain, elle fait la synthèse des chants choraux xhosa, zulu et sotho, des musiques rurales, du ragtime et du blues. Le rythme qu’elle apporte et sa joie de vivre furent, ce soir-là, contagieux, sans oublier le «happy birthday» chanté pour Madiba-Mandela.
L’ovation finale et les rappels, à l’attention des instrumentistes, de noir vêtus, des choristes, habillés de blanc, des solistes, tous remarquables et du chef, en disait long sur un public qui ne voulait pas, malgré l’heure tardive, quitter la République. Laurent Petitgirard a alors spontanément offert sa baguette à un confrère chef d’orchestre sud-africain, qui, de main de maître, a dirigé l’hymne de son pays. Belle émotion, belle fraternité.

Brigitte Rémer

18 juillet, Place de la République, Festival Paris quartier d’été. www.quartierdete.com

Saisons Afrique du Sud – France : www.france-southafrica.com,

Correspondances

Correspondances, de Kettly Noël et Nelisiwe Xaba

Correspondances 1012-outoafrica_640Ce spectacle, enlevé et pétillant, est né de la rencontre entre deux danseuses, Kettly Noël, de Port-au-Prince et Nelisiwe Xaba, de Soweto. Légèreté, parodie de soi, humour et réflexion, en sont la clé.
La première s’est imprégnée des rituels vaudou d’Haïti; formée au jeu dramatique à Paris, elle a créé sa compagnie au Mali où elle fait un véritable travail de pionnière, dans l’art de dénicher puis d’accompagner les jeunes talents chorégraphiques.
La seconde, formée à la danse classique à Johannesburg puis au Ballet Rambert de Londres, a collaboré avec la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin et le plasticien Rodney Place, et présenté une pièce très remarquée sur la Vénus hottentote.
Quand deux pin-up se rencontrent, que se passe-t-il ? L’une perchée sur talons aiguille, fait collection de boîtes à chaussures et décrit l’univers de sa salle de bains aux miroirs magiques qui lui renvoient une image sexy : «miroir, génie du miroir, suis-je la plus belle» ?
L’autre arrive de la salle comme une star, et débarquant avec sa valise, embrasse, par-ci par-là, quelques spectateurs. Jeux d’approche, provocations, recherche de son territoire, chacune épie l’autre. Elles s’évitent, s’effleurent, se cherchent, se touchent, se battent, comme deux chiffonnières ou s’agressent comme deux guerrières. Parfois, elles font alliance.
Ces duos débridés et comiques sont troués de fenêtres sarcastiques, comme celle d’un discours officiel, sorte de soliloque en forme de pamphlet : «Monsieur le Président, je suis une femme de pouvoir, belle, soumise, fragile non, respectueuse… I’m a global woman… Je suis une reine» ! ou celle qui parle de premier et de troisième monde. La dérision, toujours présente, donne de la légéreté aux sujets qui pourraient fâcher.
Avec ironie et volupté, nos provocatrices réservent quelques surprises : de la valise sort une marionnette, malicieuse, qui entre dans la danse et prend un cours de grand classique entre ouvert-endehors-dedans, attitude, fondu, grand jeté, retiré, petit battu et pas de bourrée. Ou encore, sur fond de lumières rouges et vertes, Kettly Noël et Nelisiwe Xaba, en mini-jupes, dansent, perchées sur une table comme pour un show, prêtes à engloutir le monde.
A la fin, toutes deux jettent costumes et marionnette et se retrouvent en justaucorps. C’est d’un costume de bain dont auraient besoin nos deux trublionnes qui vont sagement boire le lait decendu du ciel par des trayons de vaches, s’asperger, se maquiller de breuvage blanc et s’y vautrer jusqu’à ce que le lait  transforme le plateau en champ de neige, en champ du rêve. Elles osent, et elles ont bien raison, offrant, par le ludique, quelques belles réflexions sur le métier de vivre, en Afrique.

Brigitte Rémer

Théâtre 13/Seine, 17 au 20 juillet à 21h30. Festival Paris quartier d’été. www.quartierdete.com

Afrique du Sud – France : www.france-southafrica.com,

Festival d’Avignon: Cour d’Honneur

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© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.


Festival d’Avignon: Cour d’Honneur, conception et mise en scène de Jérôme Bel. 

Le Festival d’Avignon, et,  en particulier, une représentation dans la Cour d’Honneur est une drogue dure qui crée un manque en cas de privation prolongée. C’est ce  que l’on pense en sortant de l’hommage de Jérôme Bel à ce lieu symbolique, même si il voulait y faire naître peut-être autre chose!
Comme toutes les drogues, le public le paye chèrement, en temps investi, réservations d’hôtel et de billets, et parfois aussi moments passés dans cette célèbre Cour, à avoir froid, à dormir ou à s’émerveiller,  pour avoir droit au rêve. C’est d’ailleurs le témoignage bouleversant  d’une spectatrice du off qui réveille le spectacle.  Témoin sur le plateau, ce soir-là, :  « Je ne pourrais jamais, dit-ellen venir dans la Cour d’Honneur; financièrement et culturellement,  je n’ai pas le niveau »; cela montre à quel point nous sommes tous complices de ce sectarisme intellectuel et culturel, nous, gens de théâtre, artistes, techniciens, administratifs ou journalistes.
Nous avons notre langage, nos références, ce qui était bien montré dans Le goût des autres d’Agnès Jaoui (2000), alors qu’en même temps,  nous entendons  en permanence un discours qui prône une ouverture à un vaste public ! Pourtant,  l’ambition de Vilar était autre, il suffit d’aller voir l’exposition à la Maison Jean Vilar pour s’en convaincre…
Voilà une piste pour Olivier Py, futur directeur du festival. Au jeu du « je me souviens », il a quand même existé un véritable spectacle grand public  et gratuit, oublié par les témoins accueillis par  Jérôme Bel. C’était  en 90, devant le Palais des Papes, La véritable histoire de France du Royal de Luxe. Plusieurs témoignages touchants se sont donc succédé,  en particulier,  ceux d’enseignants qui ravivaient leur mémoire,  en même temps qu’ils se livraient à une thérapie personnelle.
Quelques scènes rejouées en direct ont été très émouvantes et fortes, l’une des Bienveillantes de Jonathan Litell dit par le comédien polonais, Maciej Stuhr, pour le spectacle (A)pollonia de Krzystof Warlikowski  (2009), l’ascension de la façade de la cour jusqu’au sommet, par un des comédiens d’Inferno de Roméo Castelluci en 2008, ou l’intervention d’Isabelle Huppert qui rejouait  une scène via skype, (elle est  en Australie), de la Médée d’Euripide mis en scène par Jacques Lassalle en l’an 2000.
Un spectateur  intervient aussi à cette réunion d’ »anciens de la cour », le docteur Léopold, médecin de service qui veille à rassurer et à soigner si besoin, artistes techniciens ou spectateurs durant ces quelquefois longues heures de représentation…
Ce fut une soirée « entre nous » agréable mais anecdotique, qui nous a aussi rappelé de grands moments d’émotion,  en particulier Nelken ou Walzer avec les danseurs de Pina Bausch. La troupe du Tanztheater de Wuppertal, désormais  orpheline de sa chorégraphe, est encore bien vivante !
Encore une autre piste pour  Olivier Py qui met au point  sa future programmation de 2014.

 Jean Couturier

Spectacle joué dans la Cour d’honneur du Palais des Papes du 17 au 20 juillet. 

la colonie pénitentiaire

Festival d’Avignon:


La Colonie pénitentiaire
, d’après la nouvelle de Franz Kafka, mise en scène de Laurent Caruana

la colonie pénitentiaire Le texte bien connu de Kafka, écrit en 1916, se prête plus que d’autres de son auteur, à une adaptation théâtrale. Comme L’Ile  du Salut de  Mathias Langhoff ( 1996),  l’opéra de chambre  In the Penal Colony de Phil Glass. Ou  le film de Raoul Ruiz (1970).
Un explorateur de grande renommée,  mais qui n’est pas nommé, se rend dans une île où a été installée la colonie pénitentiaire d’un grand pays (pas non plus nommé). On l’invite à assister à l’exécution d’un condamné au moyen d’une machine inventée par le commandant de l’île, depuis décédé.
La dite machine, grâce à un fonctionnement des plus complexes,  inscrit
le motif de la punition dans la chair du pauvre condamné qui finit par en mourir dans d’atroces souffrances.
L’officier explique à l’explorateur de façon très détaillée,  le mécanisme de l’engin et lui demande de ne pas intervenir auprès du commandant mais l’explorateur fera quand même part de sa répugnance. L’officier n’arrive pas à le convaincre, libère le condamné, et prend sa place.
Mais l’appareil se met à fonctionner trop vite et le décès intervient très rapidement… L’appareil déréglé se détruit alors de lui-même.
Ici, sur le plateau, une lumière blafarde et jaune éclaire, comme sournoisement, un bureau et une sorte de chaise longue. C’est tout. André Salzet endosse les deux rôles
avec précision et une excellente diction, très bien dirigé par Laurent Caruana; il détaille toute la cruauté de cette fable avec  beaucoup d’intelligence et avec un  humour glacé; on retrouve dans cette nouvelle,  le climat du Jardin des délices, le fameux roman d’Octave Mirbeau dont Frans Kafka s’était inspiré.
André Salzet, qui s’est fait un peu une spécialité de l’adaptation au théâtre de textes littéraires (voir Le Théâtre du Blog), possède un solide métier, et malgré le caractère impitoyable du récit, les spectateurs adhèrent tout de suite au propos-même si le spectacle est un peu trop long-et écoutent, dans un rare silence, le récit de cette prophétie philosophique des temps nazis. Kafka, quelque  trente avant, avait tout pressenti de la barbarie à venir …
Victimes, bourreaux? On ne sait plus trop! Les deux hommes-intelligents sont  pris dans l’engrenage d’un système totalitaire où règne la cruauté et  le sado-masochisme. L’un tout à fait incapable d’empêcher quoi que ce soit, et l’autre guère plus lucide;  pris dans une sorte de piège totalitaire où s’efface la notion d’humanité. Un siècle plus tard, (voir toutes   les guerres actuelles et… à venir), cela fait froid dans le dos!
Rodé depuis longtemps, le spectacle donc au point, est, à coup sûr, un des meilleurs solos du off.

Philippe du Vignal


Théâtre au Coin de la lune 24 rue Buffon
jusqu’au 31 juillet  T:  04 90 39 87 29 et  les  28, 29 et 30 novembre  à 20h30 et 1er décembre à 17h00 Théâtre du Passeur – 88, rue de la rivière – 72000 Le Mans  T:02 43 76 65 82; et les  5 et 6 décembre  à 21h00  et 7 décembre à 17h00 et 21h00 Théâtre Portail Sud : 8, cloître Notre Dame – 28000 Chartres T:  02 37 36 33 06


 

Les Clowns

Les Clowns  texte et mis en scène de François Cervantès.


Les Clowns clowns0Catherine Germain en Arletti, petite bonne femme à la voix acidulée, Bonaventure Gacon en Boudu, fruste et ronchon et Dominique Chevallier en Zig, lunaire et hypersensible, font les clowns. Trois façons d’être au monde : «Boudu, c’est la grotte où il se terre ; Zig, appartient plus à l’espace des rêves, Arletti est plus liée à l’espace du théâtre», spécifie François Cervantès.
L’auteur-metteur en scène orchestre ces trois univers. Ils se croisent, se heurtent, se disputent ou s’accordent, dans un mouvement perpétuel pour le plus grand plaisir du public. A cours d’idée et de texte, les voilà qui dénichent dans un coin du théâtre
King Lear. Arletti propose à ses acolytes de jouer la pièce  : elle dirige les opérations et elle interprète le vieux roi. Zig sera un mixte des deux méchantes filles aînées et Boudu, la douce Cordelia.
Le texte est tout aussi concis que la distribution mais va à l’essentiel et décape la fable. Cervantès traduit Shakespeare en langue clown : ça se passe «en Angleterre, il y a très longtemps. Il y avait des bêtes et les gens, ils avaient les chocottes, ils restaient enfermés chez eux et ils claquaient des dents. »
Les régisseurs auront tôt fait de construire la muraille du château en cartons d’emballage, derrière laquelle s’enferme la mauvaise fille après avoir chassé son père. Lear erre dans la lande et parmi le public, sous les clameurs de l’orage. « Tu sais que ta sœur m’a fait du mal, bousille la», ordonne-t-il à Cordélia. Celle-ci attaque le château, juchée sur patins à roulettes … « On est mort, faut plus bouger, c’est fini, musique ! » annonce Lear-Arletti.
Les clowns, évoluent dans un monde parallèle au notre, où l’individu est pulsion, sentiment brut. Ils prennent les mots au pied de la lettre, les choses à cœur, et flirtent de cette la manière avec la philosophie.

François Cervantès écrit qu’ils sont « des poèmes sur pattes », des «livres de chair» et à ce titre privilégie autant le travail corporel que le texte. Pour la plus grande jubilation des spectateurs qui ne boudent pas leur plaisir, d’autant que le spectacle est non seulement drôle mais pétillant d’intelligence. On peut aussi y amener les enfants.

Mireille Davidovici


Théâtre de la Cité Internationale : 17 boulevard Jourdan 75014  jusqu’au 3 août à 20h30 ; dimanche 17 h Festival Paris quartier d’été 2013 Tél : 01 44 94 98 01 et Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon du 3 au 7 décembre. 

Festival d’Avignon: Exhibit B

Festival d’Avignon : Exhibit B,  conception et mise en scène de Brett Bailey.

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© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.

Cette « exposition » débute en réalité dans le sas d’attente: on impose au  groupe de vingt spectateurs,  silence,  interdiction de toucher les œuvres et entrée individuelle,  afin de mieux réguler le flux de la visite.
Dès le premier tableau, le choc est brutal:  un homme et une femme noirs sud-africains, le corps couvert de terre ocre, sont exposés comme des statues, au milieu d’une dizaine de têtes d’antilopes naturalisées. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’interaction visuelle entre le visiteur et « l’objet humain exposé », c’est à ce regard qu’il sera confronté en permanence.
Nous sommes  dans un zoo humain, avec des personnages bien vivants, comme à  la fin du XIX eme siècle et au début du XX ème, dans différents pays d’Europe- dont la France encore coloniale de l’époque-ci,  mais, ici, les tableaux humains sont assez éloignés les uns des autres pour induire un vrai recueillement devant chacun.
Après la découverte du corps de  la célèbre Venus Hottentote, on peut voir Soliman qui nous regarde allongé sur un catafalque. Le corps de ce Nigérien, qui porte le numéro 1721, fut naturalisé et exposé au public, jusqu’en 1840, dans une collection d’histoire naturelle de Vienne…
Nous découvrons ainsi à quel point la caution, dite scientifique, a permis la validation de ce type d’exposition, dans un but anthropomorphique.  « Il n’est pas anodin, dit
Brett Bailey,-un blanc sud-Africain, dont le pays a connu l’apartheid, régime de discrimination systématique des noirs jusqu’en 1994-que les centres de recherche des anciennes puissances coloniales détiennent encore des milliers de squelettes de citoyens de leurs ex-colonies. Ces ossements qui, dans de nombreuses cultures, ont un pouvoir spirituel. Butin macabre résonne comme un symbole mythique de l’équilibre des pouvoirs dans le monde post-colonial ».
Au milieu de l’exposition, son metteur en scène prend parti, et pose la question de l’immigration clandestine; il expose, comme des objets trouvés, un réfugié congolais, un immigrant erythréen et un immigrant somalien attachés par des câble à son siège d’avion!.
Ce travail sur la mémoire de notre belle Europe civilisée est à voir absolument. Dernier tableau bouleversant: dans une cage,  une femme de ménage  en robe à fleurs,  qui porte le numéro 0435766, classée métisse, est assise avec son seau et son balai.  Sur une pancarte est écrit: « Les noirs ont été nourris »; en contrebas, sur une autre pancarte,  à peine visible, indique  la fin de cette belle « exposition »-en harmonie parfaite avec le cadre solennel  de l’église des Célestins. Il y est inscrit la mention:  « The Divisional Council, Whire area », invitant ainsi le visiteur à sortir….

Jean Couturier

Église des Célestins jusqu’au 23 juillet   

L’économie du spectacle vivant

L’économie du spectacle vivant  d’ Isabelle Barbéris et Martial Poirson.

L’économie du spectacle vivant dans analyse de livre 9782130609452Les auteurs, se penchent d’abord sur les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776) d’Adam Smith, père du libéralisme, qui compare les professions théâtrales à une forme de « prostitution publique ». L’économiste écossais dénonce un stigmate ancien attaché aux comédiens depuis leur excommunication pour rendre d’autant plus légitime un surcroît de rémunération destiné à compenser le préjugé « dont l’activité souffre auprès de l’opinion ».
 Ainsi, l’ensemble des professions du spectacle (théâtre, musique, chant, danse) considère son salaire à la fois comme la gratification pécuniaire d’un talent jugé exceptionnel, fonction de sa rareté relative au sein de la société ; et comme la compensation financière du préjudice dont la profession est entachée.
Domaine dédié au « travail improductif », le spectacle vivant n’est pas réductible à un produit fini qui matérialiserait la finalité d’un travail artistique.  La création se volatilise en effet, au moment même où « la déclamation de l’acteur, le débit de l’orateur ou les accords du musicien… » se produisent.
Or, si le chantre du dogme libéral, Adam Smith, considère que le spectacle vivant ne contribue pas à la richesse de la nation, puisque son utilité n’est pas mesurable selon les règles habituelles de l’échange, il n’en justifie pas moins l’intervention publique.
Que l’on parle de théâtre, de danse, de musique, d’opéra, de variété, de one-man-show, de performance, de marionnette, de cirque, des arts de la rue, de music-hall, de café-concert, de cabaret, la délimitation de ce qu’on appelle le spectacle vivant ne va pas de soi.
Les formes théâtrales connaissent aujourd’hui une « hybridation » anarchique, obéissant à l’essor des festivals internationaux, et du fait de certaines pratiques artistiques et sociétales – activités sportives, événementielles, cinématographiques, audiovisuelles ou militantes.
Ce terme : économie du spectacle désigne en fait des réalités diverses :  superproductions à budget énorme, tels les musicals anglo-saxons, le fonctionnement de l’Opéra de Paris,  celui des grands orchestres ou des théâtres nationaux déficitaires ; les productions de théâtres privés « jouant sur les têtes d’affiches et les cycles longs d’exploitation pour atteindre un seuil de rentabilité ; ou les fragiles équilibres budgétaires de petites salles de spectacle à audience restreinte, s’adressant à un public ciblé… »

La loi de 1999 uniformise  le cadre juridique de l’économie du spectacle vivant qui est défini « par la présence physique d’au moins un artiste du spectacle percevant une rémunération lors de la représentation en public d’une œuvre de l’esprit ».

Et,  si la culture est présentée comme une exception au regard de la science économique, le spectacle vivant peut faire figure d’ « exception à l’intérieur de l’exception ».
Les auteurs déplorent ainsi un déficit théorique au sein de la production scientifique et un non-traitement de l’impact économique du spectacle. Seuls, des spécialistes de sociologie, de droit, d’histoire, de politique culturelle, d’arts du spectacle ou de management culturel,  se penchent sur la question économique du spectacle : d’un côté, la mise en perspective historique, et de l’autre, « les enjeux d’actualité d’un secteur théâtral frappé de plein fouet par l’économie de l’incertitude, la nature de la profession de comédien ou l’évolution du régime d’intermittence ».
La réticence à comprendre simultanément théâtre et économie provient d’un double  positionnement antithétique : d’un côté, la vision de la « critique artistique  » qui s’attaque à la culture managériale, et de l’autre, la vision des économistes qui considèrent le spectacle vivant comme un secteur atypique, voire archaïque.
Ce rejet idéologique s’atténue du fait du rapprochement croissant des arts vivants avec les arts plastiques et la performance, amplement financiarisés.
Barbéris et Poirson s’arrêtent sur les spécificités de l’héritage français qui posent la question de la survie d’un répertoire qui peine à être concurrentiel à l’intérieur d’un système festivalier international où les produits sont standardisés au sein d’esthétiques post-dramatiques privilégiant des formes visuelles non centrées sur les textes (où le marché ignore la barrière des langues), multi-médiatiques et consensuelles, en connivence avec un populisme pos- moderne, selon le philosophe post-brechtien Frédéric Jameson.

L’économie française du spectacle vivant semble hésiter entre un paradigme interventionniste, du fait de la prépondérance du secteur public sur le secteur privé, et un paradigme ultralibéral acquis à « la flexibilité, à la concurrence exacerbée, à l’économie du projet, du risque, de l’incertitude ». Les effets conjugués de la mondialisation et de la crise entament le consensus de l’après-seconde guerre mondiale sur le statut d’exception des biens et services culturels.
On voit que  la norme marchande se substitue aux politiques culturelles et qu’une économie immatérielle croissante (numérisation, etc…) s’impose à de nombreux secteurs d’activité. « Nous observons l’éclipse relative d’une conception communautaire de la création, fondée sur l’existence de groupes, de troupes ou collectifs, sur la capitalisation du savoir et sa transmission, au profit d’une conception atomisée et individualisée du travail artistique. »

Ainsi, l’économie de projets se met en place à partir de rencontres éphémères, au détriment de la transmission d’un savoir-faire. Marcel Duchamp est l’inspirateur de cette valorisation du processus de conception et d’acte d’exposition. La post-modernité, l’ « art performance » à la Duchamp, institue le geste individualisé de destruction créatrice,  dont la valeur est,  avant tout,  spectaculaire.

L’artiste performeur se présente, lui, après le sacre du metteur en scène, comme l’incarnation de ce nouvel « ethos » permettant à l’artiste de spectacle vivant de signer son œuvre, contrairement au comédien. Le performeur, lu,  en tant que nouvel agent économique, répond, à près de deux siècles d’intervalle, à la condamnation sociale et économique du comédien, marquant ainsi d’obsolescence la posture plus sacrificielle mais aussi plus héroïque de ce dernier.
En outre, une économie de l’attention du spectateur ne cesse de voir le jour : «  teasers », newsletters, presse gratuite…  pour promouvoir des spectacles relevant de plus en plus de l’esthétique de la sidération et d’une saturation des effets : les spectateurs sont ainsi  invités à vivre une expérience sensible globale.
Devenu « post-dramatique », le spectacle vivant, tel l’ « art performance », entrecroise, et  de façon indissociable,  les questions esthétiques, économiques et idéologiques. Parler d’ « investissement » de préférence à   « dépense » en matière de financement de la culture, constitue bel et bien un changement d’orientation. Cependant, cette réorientation n’est pas sans présenter un risque de transformation de la culture en valeur marchande.
La contamination de la culture par l’économie consiste à miser sur l’économie créative plutôt que sur la création ; elle prend alors le risque de légitimer un retrait des pouvoirs publics et un abandon de certaines initiatives innovantes, étant donné le niveau élevé du facteur risque.
Dans le dossier du Monde daté du 19 juillet 2013, sur « Le théâtre face à la querelle des nominations », et, comme en écho à L’économie du spectacle vivant, Christophe Triau note que la véritable question de la création théâtrale est celle du temps, qui, seul, permet l’approfondissement, la remise en question et l’extension de l’esthétique de chaque artiste : « Le milieu théâtral actuel est pris dans le même rythme du libéralisme que les autres domaines : logique concurrentielle, modes et tendances à durée très brève, obligation de réussite immédiate, adulations et lâchages, logique du projet…
Un temps de crise peut devenir utile s’il permet, non pas par une destruction mais dans une remise en mouvement et l’invention d’autres modalités, d’accoucher d’autres pratiques et d’autres moyens ».
Ariane Mnouchkine prône, de son côté, la recherche commune de :  l’égalité, du théâtre, du progrès, de l’humanité. « Or, pour cette grande quête artistique et humaine, dit-elle, il faut de tout. De grands paquebots bien sûr, pour veiller au grain, mais aussi toute une nombreuse flotte de petits voiliers versatiles et téméraires avec à leur bord des équipages infatigables, aventureux et passionnés par l’art du théâtre et le service du public. De jeunes artistes, insensibles au poison de la résignation économiste, mais déterminés à changer le monde avec le meilleur outil qui soit pour cela, l’art en général, et le théâtre, en particulier. »

À bon entendeur…

Véronique Hotte

 Que sais-je ? PUF, 2013. 9 €

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