Les mille et une définitions du théâtre, Olivier Py

Les mille et une définitions du théâtre d’Olivier Py.


D’entrée de jeu, l’auteur nous met en garde : « Pour lire ce livre il faut accepter : qu’il n’a pas de chronologie, qu’il peut être lu dans tous les sens» mais aussi « qu’il n’appartient à aucune forme littéraire » ou « qu’il est un scandale si grand qu’il peut passer inaperçu », « qu’une vie ne suffit pas à le comprendre » et enfin « qu’il est aussi une exégèse d’Hamlet».
En réalité, il s’agit principalement d’un recueil d’aphorismes donc par essence d’assertions, de bons mots, de propositions paradoxales. Olivier Py emboîte le pas à de prestigieux prédécesseurs, d’Hippocrate: « Ars longa, vita brevis » (L’art est long, la vie est brève) à Paul Eluard : » Le soleil ne luit pour personne. « 

Habile à manier l’antithèse, il lance des jolies formulations telles que :
« Le théâtre c’est le souvenir de l’avenir » ; «Le théâtre c’est un igloo au milieu du Sahara»,«un zèbre sans rayure» …

S’y ajoutent des briLes mille et une définitions du théâtre, Olivier Py dans analyse de livre imagesbes de dialogues : «le théâtre est une boussole dans les mains d’un humaniste -Je suis perdu pouvez-vous m’aider ? –Je suis perdu aussi. –Marchons ensemble. –Trouver la sortie de cette forêt a moins d’importance». On tombe aussi sur des analyses dramaturgiques  : « Me voilà au paradis mortel de ton corps désirable’, dit Roméo à Juliette mais en fait, il parle du théâtre, ce paradis mortel » ; «  Hamlet entend ‘tu dois ’. Mais il sait qu’il ne peut pas y répondre. Le spectre — est-ce vraiment son père ou sa propre parole — (…) dit ‘tu dois ‘. Mais le siècle dit ‘tu ne peux pas’. » ; « L’archétype du scénario de cinéma est Boy meets Girl. L’archétype du récit de théâtre est‘quelqu’un vient’ (… ) »
Bref, ce sont mille et un courts chapitres, égrainés en 242 pages, à feuilleter dans le désordre pour y puiser maximes et réflexions. Dans ce pêle-mêle, chacun trouvera son bonheur. Entre autres des moments poétiques comme : « Les oiseaux que l’on entend chanter à l’extérieur alors qu’on est sur scène donnent une définition exacte du théâtre. » et des phrases qui font mouche et resteront peut-être dans les annales : «Comme Merlin le théâtre est l’enfant du diable et d’une sainte ; «une horloge exacte qui ne donne pas l’heure».
Dans le lot, il y a aussi des formules qui tombent à plat : “Le théâtre, c’est l’érection du phallus universel», «une embellie pulmonaire», ou «un chimpanzé solennel». Et même si l’auteur a voulu s’amuser,  l’humour n’est pas toujours au rendez-vous.
D’aucuns reprocheront à Py sa mégalomanie, mais c’est la loi du genre :
l’aphorisme vise le péremptoire, se présentant comme un énoncé autoritaire et fermé ;  Maurice Blanchot ne le dit –il pas «borné»? Je dirais plutôt qu’il a de l’audace.

De plus, il reconnaît en toute modestie que, si son ambition est de définir le théâtre, mille et une propositions n’y suffisent pas : «Le théâtre est un tonneau des Danaïdes dont il faut toujours agrandir le trou … » Le titre de l’ouvrage n’évoque t’il pas une tâche sans fin ? Au risque que l’auteur s’y épuise et le lecteur aussi…
A lire quand même pour ses fulgurances ; le texte est également disponible en version numérique audio, lu par Elisabeth Mazev et Olivier Py.

Mireille Davidovici

Editions Actes Sud


Archive pour juillet, 2013

Place du marché 76

Place du marché 76 photo
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon. 

Festival d’Avignon : Place du marché 76, texte, mise en scène et images Jan Lauwers

La fin de cette représentation ne peut laisser le spectateur indifférent, soit il adhère totalement au propos et à l’esthétique de la pièce soit il la rejette en bloc.Elle  regroupe nombre  de traumatismes que notre société civilisée peut générer. Jan Lauwers est le narrateur de cette histoire rythmée par les quatre saisons, «Nous sommes la Need company et nous allons vous raconter une histoire». Une explosion de gaz a décimé une partie de la jeunesse d’un village, un an après une commémoration de cet évènement connaît un autre drame, un enfant survivant se suicide, (c’est le fils du plombier).
Depuis ce choc collectif,  la source du village s’est tarie comme les désirs charnels de ses habitants. C’est l’occasion pour chacun de se confesser et raconter sa vie passée. Sous l’emplacement de cette source Alfred le plombier,(allusion directe à l’affaire Dutroux) a séquestré et abusé d’une fillette, (un personnage joué par la propre fille de Jan Lauwers), pendant 76 jours…. Un jugement est prononcé qui brouille les pistes sur la  véritable responsabilité de cette homme, même si juste auparavant, la scène de tentative de viol vue en vidéo et explicite et violente.
Les habitants du village se vengent et pendent le pédophile, après l’avoir noyé;  pour l’auteur,«il faut détruire pour continuer la vie». C’est la femme du plombier complice de son mari fou, qui, selon lui, est la plus coupable. Après avoir été condamnée à être enfermée 76 jours, elle a finir par s’offrir comme prostituée à tous les hommes du village, par plaisir: «J’aime les hommes, dit-elle,  et j’aime les sexe».
De ce faux sacrifice va naître un enfant, un gros bébé gonflable qui  envahit l’estrade centrale,  ce qui va redonner vie au village. En parallèle à ces événements, des balayeurs de rue, immigrés et mal considérés par les habitants, en combinaison orange, couleur symbole de  sécurité pour l’auteur, viennent panser les douleurs et les plaies de cette micro-société. Chaque nouveau personnage qui décède, revêt une tenue orange, et se transforme en ange protecteur, (sauf le plombier). Ce mélodrame prend la forme d’un cabaret qui utilise toutes les modes d’expressions artistiques: danse,  chant,  marionnettes et musique jouée en direct.

Lauwers est le démiurge de ces 2h15 de cris, de pleurs et de joie, témoignant des malaises et des fractures de notre société. Sa mise en scène repose sur l’interprétation d’un cortège d’acteurs et d’actrices à l’unisson de sa folie organisée.
Comme chez Brecht,  le metteur en scène rappelle souvent que l’on est au théâtre, pour dire le caractère cathartique de cet art. Sa mise en scène est mouvante;  pour lui,« l’acteur est ici un signe de reproduction comme dans le théâtre conventionnel et de production comme dans la performance». Il fabrique des images troublantes, ou les acteurs ne jouent pas les personnages mais sont les personnages. La fin ambiguë clôturée par le balayeur pose la question de la rédemption, comment peut on oublier le passé et pardonner! Tous le monde chante à l’unissons,  «Le marché doit être propre, nous sommes les balayeurs, les chanteurs des morts».
C’est un beau travail, qui dénonce nos hypocrisies et les relations troubles d’une micro-société.  Place du marché 76  fait parfois penser à la pièce de  Pirandello A chacun sa vérité.  Il laisse le spectateur libre de son opinion mais  il manque ici l’émotion et la beauté de la langue du célèbre auteur sicilien. Jan Lauwers est un bon faiseur d’images mais, comme cette création est à la frontière de différentes formes d’expressions artistiques et que le texte n’a pas une grande puissance théâtrale, le spectateur risque d’y rester étranger…

Jean Couturier

Le spectacle a été joué au cloître de Carmes du 8 au 17 juillet.

Jean Couturier

Festival d’Avignon In, joué du 8 au 17 juillet au Cloître des Carmes

Hatched

Festival Paris quartier d’été: Hatched, chorégraphie et interpétation de Mamela Nyamza

 

Hatched hatched_mamela_nyamza-john-hoggSa robe, tramée de pinces à linge, et la lessiveuse que Mamela Nyamza porte dignement sur la tête, parlent de sa condition, tandis qu’elle glisse latéralement, de jardin à cour, torse nu et de dos, avec de magistrales pointes, chaussons aux pieds.
L’image est forte, la danseuse est majestueuse.La vie quotidienne à peine suggérée se poursuit selon le même déplacement latéral et sur pointes. Le linge posé en couches successives sur la tête et qu’elle étend, rouge, comme le sang.  maillots et robes sur le fil à linge servent de pendrillons, lui laissant ainsi un espace pour changer de costume.
A l’avant- scène, le sol est recouvert d’un tissu grenat aux plis rangés, évoquant un filet de pêche posé là, dans toute sa circonférence.
La danseuse l’enfile, comme une robe de cérémonie, s’y enroule, mais, attachée au fil par une extrémité, s’y trouve emprisonnée. Ces moments, délicats dans le geste, entraînent des images indélébiles reliées au pays d’où elle vient, l’Afrique du Sud. Vision de morte vivante, sorte de momie à la verticale, elle se fond dans la nuit, à l’arrière du plateau.
Quand elle revient, entravée d’un tutu blanc et se débattant au sol, pleine de convulsions, celle qui lavait le sol à s’en décrocher les bras, semble quitter sa peau. Ses réminiscences d’enfance, entre joie et tristesse, par la robe qu’elle passe, ou le fil à linge qu’elle transforme en corde à sauter, sont retenus, pleins de pudeur. Quand elle quitte ses chaussons de danse, assise au centre du plateau et qu’elle fait vivre ses pieds nus, très naturellement,  elle demande cigarette et alumette aux spectateurs. Ce soir-là, pas de fumeur auprès d’elle.
Dernière image, elle retire les couches successives de ses atours et revêt le manteau rouge et cintré qui séchait encore au vent, et, tel un pantin désarticulé aux gestes secs et nerveux, elle est, en elle-même, le tragique.
Mamela Nyamza, chorégraphe et interprète, se raconte dans cette pièce : pratique de la danse classique dès l’âge de huit ans, au Cap puis à Prétoria, seule noire d’une troupe blanche qui ne parle que l’afrikaans. Puis, à l’école d’Alwin Ailey à New York, elle revit, au contact d’autres danseuses noires. Militante depuis toujours de la cause des femmes, la chorégraphe s’attaque, avec  les pièces qu’elle présente, aux sujet de société les plus osés. Parlant d’elle, elle parle de la femme, en Afrique du sud.
Sur le côté, absorbé par le paysage qu’il peint
sur une toile blanche et sous les yeux du public, son fils de treize ans, Amkele Mandla, la suit, un casque sur les oreilles et déconnecté de l’action mais discrètement présent, jusqu’à l’achèvement du tableau.
Il y a du silence dans cette pièce aux musiques bien dosées, du pur classique aux chants chorals d’Afrique, en passant par les sons de foule, de cloches ou de fête. Et le geste prime, épuré, fort et qui imprime émotion et respect.

Brigitte Rémer

Spectacle vu  le 16 juillet, Tours Aillaud à Nanterre;Théâtre 13/Seine, jusqu’au 20 juillet à 20h ;  le 21 juillet à 17h30, parc de l’Hôtel de Ville à Épinay-sur-Seine et  le 23 juillet à 18h, parc des Sévines à Gennevilliers.
Saisons Afrique du Sud – France : www.france-southafrica.com, et www.quartierdete.com

 

Chanson puzzle

Festival d’Avignon :  Chanson puzzle de  Noga et Patrick Bebey. 

Belle alliance de deux sourires : celui, éclatant, de la blonde helvète, et celui presque timide, du musicien camerounais.  Avec un piano un peu jazzy,  et quelques instruments africains (flûte, sanza…), ils créent à eux deux une musique vraiment populaire, que le public reprend parfois,  comme s’il la connaissait depuis l’enfance. Comme un Il pleut bergère qui aurait franchit les continents.
Mais ce n’est pas si simple, dans un métissage vraiment inédit. Les paroles sont parfois mélancoliques, avec une tendance quand même au happy-end, parfois drolatiques,en tout cas  toujours généreuses. C’est là que la chanteuse déploie le mieux sa bonne et belle voix, pleine, à l’aise dans les aigus, exacte dans l’articulation.
Les chansons mêlent le Français au Douala : une belle idée, stimulante, qui met pourtant un bémol- si l’on ose dire, s’agissant de musique- à notre plaisir. Mais elle est traitée avec modestie, si bien que  les timbres des différentes langues sont lissés, polis.
 C’est le défaut des qualités du spectacle… parfois trop bien élevé. On aime la présence simple et franche des deux chanteurs musiciens, mais on aimerait aussi  qu’ils s’autorisent à nous bousculer un peu.

Christine Friedel

Théâtre des Trois soleils à  21H

Apéros-polars

Apéros-polars, mise en scène Didier Ruiz

Apéros-polars 1370445568_affiche_apero_polar_300C’est tous les soirs, apéro aux Métallos ! Dans une ambiance bistrot,  nous voici embarqués dans l’univers du roman noir par Nathalie Bitan et Laurent Lévy. Et aujourd’hui, nous plongeons dans Des serpents au paradis d’après Alicia Gimenez Bartlett (éditions Rivages). Précédemment, deux soirées ont été consacrées à La petite écuyère a cafté, d’après un roman de Jean-Bernard Pouy, publié dans la fameuse série du Poulpe (édition Librio noir).

Devant un décor miniature évoquant le théâtre du crime, une luxueuse résidence espagnole, El Paradis, les deux comédiens, au départ, inspecteurs de police, vont, par l’intermédiaire de petites figurines ou d’accessoires, incarner tous les personnages impliqués dans l’enquête. Qui a tué Juan Luis Espinet, brillant avocat, mari séduisant et bon père de famille, retrouvé noyé dans la piscine de la résidence, au lendemain d’une fête bien arrosée ?

L’inspectrice Petra Delicado et son adjoint Fermin Garzon arpentent la face cachée du paradis. Un bruitage accompagne leurs pérégrinations, comme lors d’un enregistrement. Car la mise en scène revendique le genre feuilleton radiophonique et, comme tout feuilleton, ce polar se décline en épisodes. Règle du jeu : quatre épisodes de trente minutes, à raison de deux par soir.

Au bout d’une heure, l’enquête de nos deux policiers piétine, il faudra revenir demain pour connaître le dénouement de cette sombre histoire située dans la jet-set barcelonaise.  Mais si vous avez manqué le début, pas de souci, comme à la radio, on vous donne le résumé des premiers épisodes…

Un autre apéro-polar : D’amour et dope fraîche  d’après Caryl Férey et Sophie Couronne,  se joue au Théâtre du Lucernaire. Avec un billet pour un apéro-polar de la Maison des Métallos, vous aurez droit au tarif réduit et inversement.

Mireille Davidovici

Maison des métallos  94 rue Jean-Pierre-Timbaud 75011. T :  01 48 05 88 27. Intégrales les 20 juillet et 27 juillet

Théâtre du Lucernaire : 53 rue Notre-Dame des Champs jusqu’au 31 août. T :  01 45 44 57 34

Festival d’Avignon: Todo el cielo la tierra

Festival d’Avignon: Todo el cielo la tierra, texte, mis en scène, scénographie et costumes d’Angélica Liddell, musique de Cho Young-Wuk, spectacle en espagnol,traduit par Christilla Vasserot, en  mandarin et norvégien surtitré en français.

 

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© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.

Sur le grand plateau de la cour du lycée Saint-Joseph,  peu d’accessoires, un  tumulus de terre brune avec des plantes et des arbustes bien verts, quelques tables et chaises tubulaires renversées, une estrade pour dix musiciens d’orchestre avec un beau piano à queue et, au-dessus de la scène, deux gros caïmans face à face et un autre, plus petit au milieu (merci, docteur Freud).
Trois jeunes femmes et deux hommes dont l’un est masqué. Cela commence par quelques vers de  Wordsworth :  « Et si rien ne peut ramener lʼheure / De la splendeur dans lʼherbe, de lʼéclat dans la fleur / Au lieu de pleurer, nous puiserons / Nos forces dans ce qui nʼest plus. »
Suivra un dialogue entre Peter et Wendy, inspiré du roman de James Matthew Narrie, Peter Pan. Et l’évocation de la tragédie de l’île norvégienne d’Utoya en Norvège quand un homme,  
en 80 minutes,  tua un par un, il y a douze ans déjà,  69 jeunes gens…
« Ils avaient, entre 16 et 26 ans », fait dire Angélica Liddell, à un personnage, « lʼâge auquel non seulement le sexe mais aussi lʼamour physique est possible. Dès que nous naissons, notre principal objectif est sexuel. Telle est l’origine de la tristesse humaine ».
Et l’écrivaine/metteuse en scène ajoute:  » Après, nous entrons dans lʼâge du ressentiment et nos maladies, notre laideur, notre insatisfaction ne peuvent être compensées que par le travail ou la reproduction, parfois par le crime. Nous sommes de plus en plus vieux, repoussants et déprimants, mais nous avons malgré tout besoin dʼêtre aimés. »

Wendy arrive ensuite à Shanghai, où un policier lui demande pourquoi elle y est venue seule. On ne comprend pas bien la relation entre ces deux univers, même si Angélica Liddell a vécu quelque temps en Chine… La mise en scène a quelque chose d’un peu poussif, comme si elle n’arrivait pas tout à fait à donner une unité de ton à  ce scénario plutôt mal foutu. Même si on retrouve cette fureur et cette irrésistible envie qu’elle a, encore à 47 ans,  de régler ses comptes  avec la société mais aussi avec ses proches.
Et  la belle Angélica qui joue dans le spectacle,  dit les choses souvent de façon très crue et sans aucun état d’âme. En fait, tout au long de la pièce, et on le comprend très vite, c’est d’elle et de son corps qu’elle a envie de parler,  avec des mots précis, et dans une langue remarquable:  » Le plus terrible, dans la solitude, c’est qu’on ne peut pas éradiquer le désir d’être aimé. On veut être seul mais on a besoin d’être aimé. On déteste l’humanité mais on a besoin d’être aimé ». (…) « As-tu eu des rapports sexuels avec des hommes chinois? Est-il vrai qu’on t’a proposé de travailler comme prostituée à Shangai? »
w_todo_el_cielo_sobre_la_tierra__angelica_liddell_c_christophe_raynault_de_lage__festival_davignon_3522On retrouve ici, mais avec parfois les thèmes des précédentes pièces d’Angélica Liddell ( voir Le théâtre du Blog), la solitude, le manque et le besoin d’amour, les relations sexuelles, l’obsession de la mort, la haine féroce des géniteurs, l’acceptation de la souffrance. Mais dans toute la première partie du spectacle,  le texte, comme la  mise en scène,  n’a pas toujours la même virulence. On s’ennuie un peu.
Il y a ensuite l’entrée d’un orchestre classique qui va jouer une suite de sept valses de Cho Young-Wu,  compositeur sud-coréen de musiques des films de Park Chan-Wook. La valse des bicyclette Forever, La Valse de la splendeur de l’herbe, La Valse de l’origine de la tristesse de l’origine de la tristesse humaine, etc… dont la metteuse en scène dit qu’elle a en eu besoin pour créer toute une dramaturgie et pour que la musique jouée par  un orchestre, transforme lʼaction,  et l’action transforme la musique ».
On veut bien, mais tout se passe comme si ces sept valses semblaient être un concert dans le spectacle. Du coup, le fil rouge de la pièce déjà ténu disparaît. Mais cette succession de valses, avec notamment, un danseur et une danseuse chinoise,  est longue comme un jour sans pain et le  public manifeste  quelques signes d’impatience…
Puis, on change de registre, Angélica Liddell, reste seule, en petite robe noire et  armée d’ un micro, se lance dans un performance où on la sent  beaucoup plus à l’aise , criant à la face du monde ses angoisses
et ses douleurs existentielles. On sent que le public, qui, peut-être, la voit pour la première fois, est fasciné par cette boule de sensibilité et d’intelligence qui déboule sur le plateau…
Le catalogue de la grande dame espagnole est fourni: coups de fatigue insurmontables, désespoirs passagers et envie de mourir, manque d’énergie pour les actes quotidiens de la vie, incapacité à être heureuse,  soulagement d’être étrangère dans un pays qui n’est pas le sien, ce qui l’aide, dit-elle,  à supporter le sentiment de non-appartenance à la vie, amer constat de ne plus connaître que des gens aussi âgés  que soi, irréversible pourriture des relations, impossibilité pour elle de penser si on se met en même temps à aimer les gens, arrogance des soi-disant humbles et  des soi-disant généreux,  supplément de dignité des mères et des bigotes…
Elle se console,  comme elle peut,  avec « l’immense bonheur, dit-elle, de ne pas acheter de jouets à ses enfants pour Noël, de ne pas avoir leurs horribles dessins, et  la satisfaction de préférer être seule, de pas avoir d’amis, de  ne supporter personne et que personne ne la supporte.

Et, comme Angélica Liddell n’en est pas à une contradiction près, après avoir hurlé:  »   Fuck You! Mother!    » , elle avoue  se rendre compte qu’elle a « seulement la capacité d’aimer ». Après un dernière rasade de bière bue au goulot, et avant de revenir une nouvelle fois à  ses vieux exorcismes contre la souffrance et la mort grâce au sexe:  » Je m’engouffre dans les toilettes d’un grand  magasin, pour me masturber, pour me faire jouir, ça me soulage, ça me fait passer la peur de la mort ».   » Je ne veux pas être une de ces dames pleines d’espoir qui rêvent, qui puent la pisse mais qui gardent  l’espoir, qui se frottent le vagin à la première queue venue mais qui dans le fond nourrissent d’autres espoirs,  des secondes  chances et autre saloperies ». Après une dernière vision  obsédante des corps inertes  de l’île d’Utoya , elle constate que son « corps vivant était presque mort ». Angélica Liddel dit les choses crûment, comme rarement sur une scène européenne, et avec un formidable présence. Le public est fasciné.
C’est finalement, quand elle est seule sur le plateau qu’elle réussit, enfin délivrée d’une mise en scène souvent trop approximative, à dire le mieux cette perte de la jeunesse qui l’obsède et  qu’elle semble  tant redouter.
Alors, à voir?  Oui, malgré ces réserves (le spectacle de quelques 2h 40 sans entracte), malgré de  belles images, est vraiment  trop long et il faudrait qu’Angélica Liddell resserre d’urgence les boulons de toute la première partie. Mais, malgré une mauvaise sonorisation, la  fin, où elle est seule en scène, est vraiment excellent; seulement voilà…Il faut la mériter.

Philippe du Vignal

Le spectacle donné du 6 au 11 juillet dans la cour du lycée Saint-Joseph, sera repris au Théâtre de l’Odéon à la rentrée et au Parvis Scène Nationale Tarbes-Pyrénées.
Texte est édité aux Solitaires intempestifs.

 

Festival d’Avignon: Les mangeurs de lapin « remettent le couvert »

Festival d’Avignon: Les Mangeurs de lapin, conception et direction artistique de Sigrid La Chapelle, mise en scène d’Alain Gautré.

Festival d'Avignon: Les mangeurs de lapin Un rideau de velours rouge à paillettes en fond de scène, et sur le côté cour, un musicien( David Benadon qui a aussi composé la musique) au piano-synthé et à la batterie. Ils sont trois complices: Sigrid La Chapelle en complet noir de maître de cérémonie, Jean-Philippe Buzaud, clown filiforme  en  collant argent, grosse cravate blanche, chaussettes à damier noir et blanc et chaussures très très pointues, et Dominic Baird-Smith en kilt qui a quelque chose de Jacques Tati, sans aucun doute le meilleur des trois.
Le spectacle est une succession de sketches où il y a de tout du meilleur comme ces numéros de jonglage aussi  étonnants que remarquables de précision de Dominic Baird-Smith,  avec six ou sept raquettes de tennis  ou cette  pomme lancée  à partir d’une planche à bascule, qu’il  rattrape avec un couteau pointu accroché sur sa tête. Ou ces faux éléphants admirables de vie.
Il y a, revendiquée,  l’influence de Keaton, des Marx Brothers et de Laurel et Hardy mais aussi  du grand maître Lecoq, et un peu de Jérôme Deschamps.. Sigrid La Chapelle fait feu de tout bois et, dit-il, ce qui l’intéresse dans ce jeu collectif,  c’est de mettre au point  » un burlesque qui est un langage de maniaque, orgueilleux, mathématique et musical. (…) L’écriture burlesque exige un tempo très précis. Un quart de seconde plus ou moins, et vous passez à côté de l’effet. le burlesque ne supporte ni l’à-peu-près ni la médiocrité. »
Les numéros  se succèdent sans trop d’unité mais avec un réel savoir-faire de chacun, accompagnés de musique. La mise en scène d’Alain Gautré n’est pas du bois dont on fait les flûtes! Rythme cahin- caha et longueurs,  surjeu, numéros qui se répètent sans que l’on sache bien pourquoi, deuxième,  voire troisième degré et théâtre dans le théâtre: procédé maintenant usé jusqu’à la corde, et utilisation de micros  HF insupportables qui sont devenus un impératif catégorique que ce soit dans le in ou dans le off. Même, comme ici, dans un salle comme ici d’une centaine de places. Comme la musique est aussi sonorisée, au bout de dix minutes, c’est fatiguant et à la limite du supportable.
La plaquette  indique sans fausse modestie aucune que ces Mangeurs de lapin  » se révèlent d’authentiques virtuoses du rire et de l’absurde ».  Pas moins! C’est vrai que l’on rit parfois, mais le spectacle,  tel qu’il est actuellement, est un peu  prétentieux, manque d’unité  et est surtout  beaucoup trop long.  La maîtrise du temps n’est pas au rendez-vous et c’est un euphémisme. Dans un spectacle qui se veut comique, c’est plutôt ennuyeux .
« Utiliser le langage burlesque pour rendre un hommage au cirque et au music-hall « n’était sans doute pas une priorité absolue. Bergson avait bien raison quand il disait que  » les attitudes, gestes et mouvements du corps humain sont risibles dans l’exacte mesure où ce corps nous fait penser à une simple mécanique ». Ce qui manque en effet  à ce spectacle, c’est, comme souvent,  un rythme et cette  » simple mécanique », conçue comme véritable dramaturgie,  telle qu’elle existe chez les maîtres du cinéma comique. Et là, on est loin du compte.
On a parfois l’impression d’avoir affaire à un trio de copains qui s’exerce à huis-clos et à coup d’impros pour un futur spectacle, ce qui n’est  sûrement pas le but! 
Cela dit, le public, qui est, comme toujours dans le off, plutôt indulgent, semblait souvent content et riait de bon cœur,  nous beaucoup moins.  Ce n’était peut-être pas le bon jour…  Vous pouvez  donc tenter votre chance mais on vous aura prévenus.

Philippe du Vignal

Collège de la Salle, Théâtre du Gymnase, Place Pasteur  à 20h45 jusqu’au 31 juillet.

http://www.dailymotion.com/video/x121qt1

Festival d’Avignon: Le désir de l’humain.

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Festival d’AvignonLe Désir de l’humain, spectacle poétique et musical, d’après des textes d’Eugène Durif. Chef de troupe :  Jean-Louis Hourdin, composition de Karine Quintana.

Titre à deux entrées, pour un spectacle modeste : le désir de l’humain, c’est celui que ressent l’être humain, et aussi le besoin exprimé que l’homme soit humain, enfin. Sous la jolie abside de la chapelle du Théâtre des Halles, deux hommes et deux femmes, ou, si l’on veut, trois musiciens et un poète. Ils ne prétendent pas représenter,  à eux seuls,  toute l’humanité ; c’est déjà difficile d’être soi.
On pourra dire qu’Eugène Durif est « le poète de service »: il se met au service de la quête modeste de chacun, à commencer par lui-même. Au fil des années, à force de monter sur scène et de dire ses textes ou ceux des autres auxquels il tient- ce n’est pas son genre de dire n’importe quoi-il a trouvé sa voix. Le bonheur? Insolent ou mensonger. Mettons prudemment notre mouchoir par-dessus. La vie ? À prendre pour ce qu’elle est, très fugace, très précieuse, avec de minuscules merveilles. Influencés par le vocabulaire des supermarchés, nous aurions tendance à dire: à saisir . Il faut être plus juste: à caresser, à aimer.
On rit et l’on sourit, on respire et on se demande pourquoi avec si peu de théâtre –les quatre en question sans effets ni décors- on a tant de théâtre. La réponse est dans la qualité du travail de ces quatre.
Eugène Durif ose être un « aède », qui écrit comme on parle quand on est heureux ou malheureux, entre amis, du fond du cœur, et nous parle pour de vrai. Sans exhibition de virtuosité, les trois musiciens sont de super-pointures. On le devine, on le ressent à leur extraordinaire précision et  à leur justesse. C’est ça, la qualité : du travail bien fait, au sens où il est bien pensé, bien vécu et, mieux encore, juste.

Quand le souffle de la trompettiste Nathalie Goutailler lui permet d’être comédienne avec la même justesse, la même force (et la même douceur) qu’elle donne à son instrument. Quand ils chantent ensemble, ils atteignent la même vérité, parce qu’ils savent ce qu’ils ont à dire, dans le respect de leur art et du public. Et de leurs différences : le contrebassiste-chanteur Bruno Martins pourrait monter sur une scène lyrique, la compositrice-accordéoniste-chanteuse Karine Quintana a fait tourner des bals, ils sont chacun a sa vraie place, dans le même Désir de l’humain .
Voilà un spectacle réconfortant sans triche ni illusions, complètement contemporain. Du théâtre d’art, en ce que les fins et les moyens se collent à la peau. Total respect, et grande et saine respiration. On en redemande.

Christine Friedel

 Théâtre des Halles, 14h, jusqu’au 28 juillet. Bruno Martins chante aussi le matin à 11h au Petit Louvre les chansons d’Alain Leprest. Ça s’appelle Je hais les gosses.

 

 

Festival d’Avignon: Lettres de l’intérieur.

Festival d’Avignon : Lettres de l’intérieur, de John Mardsen, adaptation et mise en scène Marie Dupleix.

Festival d'Avignon: Lettres de l'intérieur.  lettresUn jour, Mandy, quinze ans, décide de répondre à l’annonce de Tracy, quinze ans elle aussi, qui cherche une correspondante. Petites histoires de filles, de chiens et de chats, de lycée, joies du basket… Mandy est joyeusement éblouie par la famille  » idéale » de sa correspondante, jusqu’au jour où elle s’aperçoit que finalement, elle ne sait rien d’elle.
La vérité apparaît : Tracy écrit d’une prison pour mineurs, et, apparemment, elle n’est pas là pour avoir pris le bus sans ticket. De l’autre côté, ce n’est pas rose non plus : le frère de Mandy accumule des signes de violence extrêmement inquiétants, que les parents refusent de voir.
L’auteur distille les indices avec une extrême habileté, installant un suspense d’autant plus efficace qu’il est fondé à la fois sur la vérité de la société australienne (qui ressemble beaucoup à ce que nous savons des Etats-Unis) et sur la justesse de ton des deux adolescentes qui  y vont,  à fond les ballons, que ce soit dans le rose ou dans le noir. Exigeantes, extrêmes, obstinées, elles ont la radicalité de leur âge, la peur au ventre, parfois, le rire aux dents. Elles se lancent dans l’absolu de l’amitié malgré le mensonge et les fuites de Tracy, jusqu’à en être profondément changées.

John Mardsen est pessimiste pour ses personnages et optimiste pour l’humanité : oui, l’amitié, l’amour peuvent changer les êtres;  oui, cela aide les adolescents à devenir adultes et à dessiner un monde où la violence n’aurait plus sa place.
La compagnie des Mistons partage cet optimisme en travaillant–comme l’indique son nom , emprunté à Truffaut- pour le jeune public. Mais celui du off,  à onze heures du matin, a plutôt l’âge des grands-parents: un conseil, réveillez vos ados, et emmenez-les voir Lettres de l’intérieur, ils vous en remercieront (ce qui n’est pas facile pour un ado). Comme vous, ils auront ri, pleuré, devant deux comédiennes épatantes et une scénographie juste est efficace.

Christine Friedel

Théâtre Arto, jusqu’au 31 juillet.

Le Pouvoir des folies théâtrales de Jan fabre

Le Pouvoir des folies théâtrales de Jan fabre de-macht.-2012-1

 

Festival d’Avignon: Le pouvoir des folies théâtrales conception, mise en scène, scénographie, chorégraphie et lumière de  Jan Fabre.

 

  Jan Fabre, qui fut « artiste associé »du festival en 2005, revient avec une pièce qui date de… 1984: créateur polymorphe, formé à l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers, il s’est défini comme «un guerrier de la beauté». Il est connu pour ses multiples provocations artistiques-dont l’érection de sa propre statue dorée qui avait beaucoup irrité les habitants d’Avignon, au point d’être plusieurs fois endommagée, (elle est aujourd’hui à l’abri à l’Ecole d’Art).
Il reprend ici  une de ses créations-marathon de 4 h 30 qui est  sans  doute  la plus ambitieuse et la plus emblématique de son œuvre. La salle  à l’italienne de l’Opéra-Théâtre convient à merveille à Jan Fabre qui veut dénoncer ici les fastes et les dorures du théâtre bourgeois du XIXème siècle. Il évoque l’histoire du théâtre avec la création en 1876 de L’Anneau du Nibelung de Wagner qui,  pour la première fois, fit éteindre la lumière de la salle durant une représentation, donnant alors à l’objet scénique  une vraie dimension esthétique.
  Il évoque aussi Les Habits neufs de l’empereur, un conte d’Andersen qui y dénonçait le mensonge du paraître au travers d’un personnage nu mais détenteur du pouvoir. Ultime référence historique- mentionnée à la fin comme au début du spectacle : une femme, fessée violemment,  énonce : «1982 , c’est du théâtre comme c’est à espérer et à prévoir». 1982, c’était aussi  l’année  de la première création scénique majeure de Jan Fabre à Bruxelles…
Pour lui,  «faire du théâtre,  c’est faire de l’expérimentation sur scène». Il choisit donc de  créer de l’art et de la beauté selon ses propres critères, en mêlant  nudité et cruauté, grotesque et beauté.
Durant ces longues heures,
Jan fabre multiplie les références  musicales: Richard Wagner, Richard Strauss ou Wim Mertens, ou picturales avec de  nombreuses toiles peintes-dont, à la fin, Le Verrou de Fragonard- qui sont projetées en fond de scène. Ses danseurs,  ou plutôt ses performeurs,  qu’il a collectionné  au cours de ses différentes créations,  sont les véritables moteurs visuels de cette succession de tableaux.
 C’est grâce à eux que cette reprise du spectacle maintient le public en éveil…mais difficilement ! De nombreux spectateurs n’ont  pas résisté en effet à cette succession de scènes, qui évoquent les  grandes œuvres de la danse ou du théâtre., et se sont enfuis discrètement après deux heures de spectacle…
 Mais Jan Fabre a ses partisans,  et la partie du public qui restée jusqu’au bout était  comme hypnotisée par le pouvoir de ses images. Celui qui se définit comme un mystique contemporain,  nous montre à quel point la beauté est fragile. Pour lui,  « c’est comme un papillon,  quand vous le touchez , vous le détruisez». Reste à savoir si, durant sa carrière , il n’a pas détruit aussi quelques-uns de ses danseurs,  symboles de beauté !  

Jean Couturier

Opéra-Théâtre, spectacle joué les 15 et 16 juillet.


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